Le sens méconnu de la proprioception.
La proprioception, souvent qualifiée de 6e sens, est en réalité notre 1er sens essentiel. Sans elle, notre capacité à nous déplacer, à nous situer dans l’espace et à ressentir notre propre corps serait grandement altérée.
Qu’est-ce que la proprioception ?
On a une connaissance implicite de la position exacte de nos pieds sous la table, de l’inclinaison de notre buste. Nous ressentons nos efforts inconscients pour maintenir l’équilibre lorsque le train freine à la station suivante. Comment parvenons- nous à marcher sans regarder vos pieds, à danser, à écrire, à saisir de petits objets, même les yeux fermés ?
Toutes ces informations et actions sont rendues possibles grâce à la proprioception, l’un de nos sens les moins connus mais parmi les plus importants. Nous avons la capacité de connaître en tout temps notre position dans l’espace ainsi que de nous sentir à l’intérieur de notre corps. Cette capacité est le fruit d’un dialogue constant entre notre système nerveux central et périphérique.
récepteurs sensoriels
La proprioception repose sur des récepteurs sensoriels appelés propriocepteurs, présents dans tous nos muscles, notre peau, nos tendons et nos ligaments. Nos muscles oculaires et les plantes de nos pieds en sont particulièrement riches. Imaginez de petits ressorts à l’intérieur de nos muscles qui informent en permanence notre cerveau de leur état de tension. Ces multiples capteurs sensoriels font partie de ce que l’on appelle le système nerveux périphérique.
Ces millions de capteurs recueillent des informations qui s’ajoutent à celles recueillies par notre vision et notre système vestibulaire, responsable de notre sens de l’équilibre. Un autre repère essentiel pour notre cerveau est la gravité. Depuis notre plus tendre enfance, nous avons acquis la certitude que les objets tombent toujours dans la même direction. Avec notre sens de l’équilibre, nous sommes en mesure de déterminer instinctivement ce qui est vertical ou non. Notre cerveau combine avec précision toutes ces informations, internes et externes, pour former ce que l’on appelle un schéma corporel.
La construction du schéma corporel tout au long de la vie
Le schéma corporel est la représentation mentale et sensorielle de notre anatomie. C’est un outil de géolocalisation en 3D de notre corps, de sa corpulence et de sa place dans l’espace. Il nous permet de nous déplacer avec précision, d’anticiper nos actions et de savoir où commence et où se termine notre corps.
Il est important de souligner que le schéma corporel se construit progressivement tout au long de notre vie et est en constante évolution. À la naissance, ce schéma est très rudimentaire, voire inexistant. Le nourrisson ne fait pas encore la distinction entre lui-même et le vaste monde qui l’entoure. C’est la répétition de gestes et d’expériences variées qui permet à l’enfant de développer peu à peu une représentation mentale de son corps.
L’adolescence est une autre période clé de cette construction, qui se déroule à un rythme accéléré. Avec la puberté, le corps grandit, se développe et se couvre de pilosité. Ces changements physiques apportent une multitude d’informations proprioceptives qui contribuent à une meilleure connaissance de notre corps. Les nouvelles expériences, telles que la pratique sportive, la sexualité ou encore la prise de risques, permettent d’affiner encore davantage ce schéma corporel.
À l’âge adulte, le schéma corporel est généralement bien établi, mais il continue d’évoluer. Face à de nouvelles expériences, une pratique sportive différente ou encore une prise de poids, par exemple, la proprioception s’adapte. En cas d’accident qui limite notre mobilité, la finesse de la proprioception peut diminuer, rendant parfois nécessaire une rééducation pour restaurer la proprioception dans la partie du corps affectée. Le schéma corporel se transforme sans cesse.
Les conséquences de l’absence de proprioception
L’absence ou la perte partielle ou totale de proprioception a un impact considérable sur la motricité. Le témoignage de Ginette en est un exemple frappant. Cette Canadienne est déafférentée, c’est-à-dire qu’elle a perdu toute sensibilité corporelle à l’exception de sa tête, probablement suite à une réaction auto-immune. Dans une vidéo documentaire réalisée par Vincent Amouroux, elle partage les difficultés qu’elle rencontre au quotidien. Lorsqu’elle peut contrôler ses gestes en les regardant, Ginette parvient, avec concentration, à saisir de petits objets, comme un verre, et à boire son contenu. Cependant, sa dextérité manuelle, déjà hésitante, disparaît totalement dès lors qu’elle ferme les yeux. En essayant de signer son nom, son bras dérive au-dessus de la table, incapable de se poser sur la feuille, dessinant dans le vide la forme d’une lettre. Elle se sent comme en apesanteur, flottant dans le vide. Son expérience rappelle celle d’un astronaute échappant à la gravité terrestre.
La physiologie de la proprioception
Les mécanismes précis de la proprioception restent encore largement méconnus des chercheurs. Cependant, certains ont identifié différents types de propriocepteurs, ainsi que le gène Piezo2 qui code une protéine sensible à la pression physique. En 2016, une équipe de scientifiques américains a étudié les réactions de deux jeunes filles présentant des mutations de ce gène, ce qui les empêchait de percevoir pleinement la position de leur corps dans l’espace. Elles étaient incapables de toucher leur nez du doigt ou de marcher les yeux fermés.
Plusieurs années auparavant, les récepteurs Piezo1 et Piezo2 avaient été découverts par Ardem Patapoutian, qui a reçu le prix Nobel de médecine en 2021 pour ses travaux.
Comment améliorer notre proprioception ?
À tous les sédentaires, sachez que pour développer une proprioception précise, il est nécessaire de bouger, en général, de rester actif le plus longtemps possible et le plus souvent possible. Si les effets bénéfiques de l’exercice physique sur la santé en général, la neurogenèse et la mémoire sont de mieux en mieux connus, il est également important de comprendre qu’il favorise aussi la proprioception et l’entretien de notre schéma corporel. Christine Assaiante, chercheuse en neurosciences, recommande de rester actif le plus longtemps possible, de pratiquer une activité physique en groupe et de ne pas isoler la composante sensori-motrice du social et de l’affectif.
Les végétaux aussi possèdent une proprioception !
Il est intéressant de noter que les végétaux sont également dotés d’une proprioception. Les chercheurs en biomécanique végétale savaient déjà que les plantes s’adaptent à la gravité, ce qui leur permet de pousser droit. Cependant, on a récemment découvert qu’elles sont capables de percevoir leur posture par rapport à la force gravitationnelle et de la corriger si nécessaire. Par exemple, un arbre courbé par le vent fait appel à sa proprioception pour se redresser.
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