Critique de l’immédiateté, de l’éloge de la patience
S’il existe une critique à faire sur le trail comme effet de mode (voir « faut-il se plaindre du trail comme effet de mode ? »), elle serait liée à l’impatience des coureurs. Ce désir impatient d’immédiateté, résumé maladroitement par YOLO pour les jeunes et Carpe Diem pour les plus érudits, se retrouve partout, et donc aussi dans la course à pied.
Il me met assez mal à l’aise car trouve ses racines dans un hédonisme inquiet et s’exprime dans une apologie du paraître au détriment de l’être.
Parce que ça fait bien, pour voir des beaux paysages, ou parce que vous avez vu des vidéos sur Youtube qui vous ont donné envie, il faut tout faire, et vite ! Et il faut que les autres le sachent, mais ce n’est pas ici le sujet.
Vouloir accomplir ses idéaux plus vite possible sous prétexte qu’on peut mourir demain me paraît aussi dangereux que
stupide.
Pourquoi dangereux ?
– Lancez-vous sur l’UT4M avec six mois de running dans les pattes et vous comprendrez où est le danger.
– Faites un trail nocturne sans jamais vous être entraînés de nuit (même sur des sentiers familiers) ; si un crétin monocellulaire a la bonne idée d’arracher des balises et que vous vous perdez, vous verrez…
Au-delà du danger physique évident que cela peut engendrer, il peut être utile de s’interroger sur la philosophie sous- jacente à ce culte de l’immédiateté. C’est la recherche du plaisir rapide et de l’accomplissement de soi quasi-immédiat. Je suis plutôt convaincu que le plaisir est par nature sans fin et bien représenté par le mythe du tonneau des Danaïdes.
Autrement dit, le plaisir n’est jamais rassasié et poussera à toujours plus (avec les dangers que cela peut engendrer). Et il mènera à l’épuisement (il y a une littérature abondante et d’assez bonne qualité sur le burn-out des sportifs en général et des ultra-traileurs en particulier qu’une simple recherche Google vous permettra de trouver).
Contre cet hédonisme, et sans vouloir tomber dans le moralisme (après tout, si quelqu’un veut se tuer dans la montagne, grand bien lui fasse), je serais plutôt à faire l’éloge de la patience. On a tendance à l’oublier, mais déjà courir un marathon est un effort physique assez considérable.
Faire un trail (et un ultra de surcroît) l’est également. Courir (et/ou marcher) pendant plus de quarante heures n’est pas naturel et demande une maturité (tant mentale que musculaire) qui ne peut s’acquérir que par l’expérience.
Si vous doutez de cela, regardez les moyennes d’âge de finishers sur les marathons et ultras (entre 42 et 44 ans pour l’UTMB et la diagonale des fous, 39 ans pour la Saintélyon, 41 ans pour le marathon de Paris), et l’adage « tout arrive à point à qui sait attendre » prendra tout son sens.