Courir, ça rend heureux ? Pas forcément. Une étude publiée en 2025 dans la revue scientifique Acta Psychologica, signée par Leo Lundy – chercheur et ultra-marathonien ayant couru plus de 400 marathons – vient bousculer une croyance bien ancrée dans l’univers du running : la course d’endurance ne protège pas toujours la santé mentale.
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Dans cet article intitulé The psychological toll of multi‑marathoning, les chercheurs ont interrogé 576 coureurs réguliers, tous engagés dans des pratiques de longue distance. Résultat : un quart d’entre eux présentait des niveaux d’anxiété ou de dépression supérieurs aux moyennes observées dans la population générale. Et ce, malgré le fait que la majorité se disait convaincue que la course leur faisait du bien.
L’étude, disponible sur ScienceDirect et référencée sur PubMed, ne décrit pas un simple “blues post-course”. Elle montre un état psychologique globalement plus fragile chez les coureurs les plus engagés, ceux qui vivent pour leurs chronos et structurent leur quotidien autour de la performance.
Le high du runner en question
Le fameux « runner’s high » – cette euphorie presque mystique ressentie après une sortie intense – est devenu un argument marketing autant qu’une promesse implicite de bien-être. Mais les données récentes viennent nuancer ce mythe.
Selon une autre étude, cette fois menée par l’université de Linnaeus en Suède, les émotions ressenties après une course sont souvent contrastées : perte d’énergie, mélancolie, ambivalence émotionnelle, et parfois dépression réactionnelle. Rien à voir avec le shoot d’endorphines permanent que l’on nous vend.
Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on plane une heure à l’arrivée que tout est réglé. Pour beaucoup, une fois les applaudissements retombés, c’est le silence… et le vide.
La dépression après un marathon
À force de tout miser sur la performance, la compétition, le nombre de kilomètres et les records personnels, certains coureurs tombent dans une spirale de solitude, d’isolement et de frustration chronique. Ils deviennent prisonniers de leur propre exigence.
La pression n’est pas seulement intérieure : Strava, les groupes WhatsApp, les clubs, les réseaux sociaux créent une course permanente au « plus entraîné », au « mieux préparé », au « plus méritant ». Mais à quel prix ?
Beaucoup de coureurs ne supportent plus l’idée de ne rien publier, de ne pas s’entraîner, de faire une sortie sans GPS. Ils ne courent plus pour eux, mais pour exister aux yeux des autres.
La course à pied est souvent vue comme une activité solitaire, mais ses effets ne le sont pas. En réalité, elle transforme les dynamiques de couple, parfois jusqu’à la rupture.
Entre les week-ends d’entraînement, les stages de prépa, les soirées passées à planifier les ravitos ou les séances, la personne en face se sent de plus en plus exclue. Elle ne reconnaît plus celui ou celle qu’elle aime.
Cette phrase revient souvent. Et elle traduit un mal profond. La passion devient un mur. L’ultra un motif de distance. Et quand l’autre ose parler, on l’accuse de ne pas comprendre la discipline, l’effort, l’engagement. On le fait taire.
Symptômes pré-curseurs
Beaucoup de coureurs ne s’en rendent même pas compte. Leur entraînement, leur rigueur, leur obsession des allures sont en réalité des tentatives de reprendre le contrôle sur leur vie intérieure. Un deuil, un burn-out, une séparation, un mal-être chronique… la course devient alors le pansement mental.
Et tant que le corps tient, on ne se pose pas de questions. On court, encore et encore. On ne s’arrête pas. Parce qu’en s’arrêtant, on sait qu’on va ressentir ce qu’on évite depuis le début.
La ligne d’arrivée devient alors un seuil émotionnel. Un moment de bascule, où le corps s’arrête… mais pas la tête. Et c’est souvent là que le mal surgit.
Eviter la dépression après un marathon
Il ne s’agit pas de rejeter la course à pied. Bien au contraire. Ce sport peut être un formidable vecteur d’équilibre, de dépassement de soi, de santé physique. Mais il ne faut pas confondre souffrance et progrès, contrôle et discipline, refuge et passion.
Voici quelques pistes simples pour garder le lien avec soi-même :
Et si on changeait de lunettes ? Si on redéfinissait ce qu’est “réussir” en course à pied ?
Réussir, ce n’est pas toujours faire mieux que la fois d’avant. C’est aussi savoir s’arrêter à temps. Réussir, c’est finir une course et être encore en lien avec les autres. Réussir, c’est se sentir fier de son entraînement… mais capable de rater une sortie sans sombrer dans la culpabilité.
La course peut être un art de vivre. Mais pour qu’elle le reste, il faut lui redonner du sens. Pas juste des chiffres.
Dans le trail, la question est encore plus complexe. On glorifie la souffrance, les longues heures de solitude, l’ultra comme une ascèse. Et c’est vrai que cette discipline révèle des forces mentales uniques. Mais à trop vouloir montrer qu’on est fort, on finit par ne plus savoir demander de l’aide.
La culture trail gagnerait à valoriser la lucidité, l’écoute, la récupération, la prévention, et pas seulement le courage et la combativité.
On devrait pouvoir dire : “je me sens fragile”, sans que cela remette en cause notre légitimité de coureur.
Il faut oser le dire : certains courent pour fuir. Et ce n’est pas honteux. C’est humain. Mais à force de fuir, on s’épuise. La course devient une fuite en avant. Et parfois, c’est le corps qui lâche. Parfois, c’est le mental qui se brise.
Alors oui, continuons à courir. Mais sans se perdre. Et sans faire semblant que tout va bien.
Dans le trail aussi, on peut être en souffrance mentale.
Ce n’est pas réservé aux marathoniens chronométrés sur bitume. Les traileurs enchaînent les ultras, repoussent les limites, s’isolent pendant des heures, glorifient la douleur. On parle d’adversité, de dépassement… mais rarement de santé mentale. Pourtant, les signaux sont les mêmes : besoin de contrôle, fuite émotionnelle, addiction à l’effort. Il est temps de comprendre que le trail, aussi “nature” soit-il, n’est pas épargné par cette mécanique silencieuse de l’épuisement psychologique.
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