Comment se dire pro-climat, tout en prenant l’avion pour aller courir et en incitant à la consommation ?
Derrière les discours bien rodés et les engagements de façade, certains comportements interrogent. Encore plus lorsqu’ils viennent des élites du trail.
Loin d’un procès d’intention, il s’agit ici d’interroger la cohérence d’un modèle.
Le trail élite vante la nature… tout en contribuant à la fragiliser
Le trail moderne, dans sa version élite et globalisée, se heurte à une contradiction majeure : vanter une connexion profonde à la nature tout en multipliant les déplacements aériens, les partenariats commerciaux et les équipements à usage court. Ce paradoxe n’épargne personne, pas même celles et ceux qui prennent la parole publiquement pour défendre la montagne.
Certaines figures du trail professionnel incarnent cette tension permanente entre conviction personnelle et réalité du terrain. Parmi elles, une athlète comme Hillary Gerardi illustre parfaitement cette dualité. Sa trajectoire, son engagement et sa sincérité personnelle méritent le respect. Mais certaines de ses déclarations récentes, croisées à ses choix de vie d’athlète, mettent en lumière une tension plus large. Celle qui traverse l’ensemble du trail professionnel : peut-on défendre la montagne et continuer à fonctionner dans un système qui la fragilise ?
Kilian Jornet incarne à lui seul ce tiraillement
En 2020, dans une interview accordée au Nouvel Observateur, il déclarait très clairement :
« Ces dix dernières années, j’ai voyagé si frénétiquement en avion que mon mode de vie a été catastrophique pour l’environnement. J’ai été le plus mauvais exemple. »
Ces mots forts semblaient marquer un tournant. À l’époque, il venait de lancer sa fondation environnementale, affichant la volonté de réduire son impact et de devenir plus cohérent avec ses valeurs. Mais cinq ans plus tard, le constat est plus ambivalent. L’année 2025 l’a vu enchaîner les massifs dans le cadre du projet States of Elevation, avec une logistique lourde, des milliers de kilomètres, et des transports multiples, dont l’avion.
Ce projet, certes spectaculaire et ambitieux, illustre à nouveau l’écart entre les déclarations et la réalité du terrain. La contradiction persiste.
Hillary Gerardi, entre engagement affiché et contradictions assumées
Dans une interview publiée par Trail Runner Magazine, Hillary Gerardi affirme ne pas pouvoir rester indifférente face à la crise environnementale et ajoute : « Je ne peux pas ne pas me soucier des enjeux liés au changement climatique. » Elle insiste également sur l’importance d’« agir à la fois sur le plan individuel et systémique », revendiquant ainsi une volonté de s’engager à son échelle.
L’image publique d’une athlète engagée devient alors ambivalente. L’exemplarité écologique, même relative, suppose un alignement plus fort entre les paroles et les actes.
Critique de la surconsommation, mais promotion d’une marque
Hillary Gerardi affirme courir depuis plusieurs années avec le même t-shirt, valorise la sobriété, refuse le renouvellement inutile. Ce discours, largement relayé, construit une image d’athlète responsable, à contre-courant de la mode du matos jetable.
Mais ce positionnement, aussi séduisant soit-il, s’inscrit dans une logique commerciale. En tant qu’ambassadrice d’une marque, elle participe à un système fondé sur la visibilité, l’image, l’incitation à consommer. Même si Black Diamond produit du matériel durable, il reste question de vendre. D’être vu. De promouvoir.
Afficher une sobriété individuelle tout en prenant part à une mécanique publicitaire globale n’est pas simplement une contradiction. C’est une forme d’hypocrisie structurelle. Un discours de frugalité qui sert, malgré lui, des intérêts marchands. Et dans un monde où les gestes individuels sont constamment instrumentalisés, cette ambiguïté devient problématique.
Former les autres ne suffit pas à se transformer soi-même
Hillary Gerardi met en avant son engagement à travers le programme “Ordinary”, qu’elle coanime avec Protect Our Winters. L’initiative, bien construite, vise à former des binômes athlètes/marques sur les enjeux climatiques, avec l’objectif de toucher plusieurs centaines de sportifs d’ici les Jeux olympiques.
Mais cette implication, aussi structurée soit-elle, ne change rien à la réalité du système dans lequel elle s’inscrit. Le trail élite reste profondément carboné : calendriers éclatés, logistique lourde, matériel hautement technologique, croissance événementielle permanente.
Dans ce contexte, multiplier les discours d’engagement sans remettre en cause les fondations finit par sonner creux. À force d’accumuler les messages inspirants tout en conservant les privilèges et les routines d’un sport mondialisé, l’écologie affichée vire à la stratégie de communication. L’engagement devient façade. La sincérité se perd dans les mécaniques de sponsoring. Et la frontière entre mobilisation réelle et greenwashing assumé devient difficile à tracer — même pour celles et ceux qui croient bien faire.
Casquette Verte, Louvet, Clemquicourt : l’indifférence vaut-elle mieux que l’hypocrisie ?
À l’inverse, certains traileurs refusent tout vernis militant. Pas de posture, pas de discours, pas de prétention. Leur franchise brutale crée un effet de clarté.
Casquette Verte, par exemple, n’a jamais revendiqué de dimension écologique. Ses récits sont personnels, souvent drôles, mais ne cherchent pas à moraliser. Dorian Louvet non plus ne s’inscrit dans aucune dynamique engagée… au contraire. Et depuis peu, Clemquicourt, semble se détacher de ces codes.
Cette attitude ne vaut pas absolution. L’impact environnemental reste réel. Mais ce désintérêt assumé, cette absence de discours, peut apparaître plus honnête que certaines promesses floues. Mieux vaut parfois une absence d’engagement qu’une écologie de façade.
Attention tout de même.
Casquette Verte, Dorian Louvet et d’autres assument de se ficher de l’écologie : c’est au moins cohérent. Mais quand ça vire à la moquerie envers ceux qui soulèvent les vrais enjeux du trail, ça devient problématique.
Antoine Charvolin prouve qu’un autre trail est possible
Classé parmi les meilleurs traileurs français, il refuse pourtant de prendre l’avion. Il décline des invitations prestigieuses aux États-Unis, non par désintérêt sportif, mais parce qu’il refuse d’alourdir son empreinte carbone. Ce choix n’a rien d’un slogan. Il ne s’accompagne d’aucune fondation, d’aucune campagne d’image. C’est un engagement simple, direct, assumé. Une ligne de conduite qui place l’éthique au-dessus du prestige, et la cohérence personnelle au-dessus des podiums.
Il est donc possible de faire autrement. De dire moins, mais de faire plus. De courir vite, sans courir partout. De représenter ce sport avec fidélité, sans multiplier les contradictions. À l’heure où les élites s’enferment parfois dans des discours creux, il serait peut-être temps d’écouter ceux qui n’en font pas… mais qui agissent.
Sources citées
- Interview Hillary Gerardi, Wider Magazine, décembre 2025
- Le Dauphiné – Kilian Jornet : « J’ai été le plus mauvais exemple »
- Trail Runner Magazine – Climate Heroes and Hypocrites
- Ultradamo – Hypocrisy in outdoor gear
- HÉconomist – L’impasse écologique des compétitions de montagne
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Mentions éditoriales importantes : Notre article ne remet pas en cause l’honnêteté ni l’engagement personnel des athlètes cités, mais propose une analyse journalistique, argumentée et documentée, de la communication publique dans le monde du trail.
Les faits rapportés s’appuient sur des sources vérifiables (entretiens, déclarations publiques, initiatives médiatisées), dans le strict respect du droit à la critique, de la liberté d’expression et de l’intérêt général.
L’intention de ce texte est d’ouvrir un débat constructif sur les contradictions systémiques entre sport professionnel, écologie et marketing. La démarche s’inscrit dans la bonne foi, sans volonté de nuire ou d’atteindre la réputation de quiconque. Elle vise uniquement à éclairer des enjeux collectifs et des tensions structurelles qui relèvent de l’intérêt général.
Toute demande de droit de réponse ou de correction sera bien entendu étudiée avec sérieux.





