Il devait être la grande star « romantique » de l’UTMB 2025. Mais Anton Krupicka pourrait bien ne pas venir. Derrière l’excuse de la blessure, le traileur américain pointe du doigt un malaise plus profond : la professionnalisation extrême du trail, ses dérives commerciales, et un circuit UTMB World Series qui, selon certains, a trahi l’esprit d’origine de ce sport. Alors, simple choix personnel… ou début d’une rupture plus large ?
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Quand l’ultra-trail devient ultra-marketé
Le trail est né dans la poussière, l’humilité et le silence. Il est aujourd’hui chronométré au millimètre, sponsorisé jusqu’aux lacets, surmédiatisé, et intégré dans un circuit mondial sous la bannière UTMB World Series. Pour certains, c’est une formidable évolution ; pour d’autres, une trahison.
Anton Krupicka, icône d’une génération amoureuse de la montagne avant d’être compétitive, vient de lancer un pavé dans la mare. Dans une interview donnée à Esprit Trail Magazine, il confie que, malgré sa présence à Chamonix pour La Sportiva, rien ne garantit qu’il prendra le départ.
« Ce n’est plus une question de course, mais de motivation intérieure. »
Ce que Krupicka révèle, c’est un malaise générationnel
Les jeunes athlètes grandissent dans un monde où VO2max, taux de glucides et optimisation technologique dictent les entraînements. Mais certains anciens — ou « romantiques » — du trail, comme Krupicka ou Zach Miller, s’interrogent : a-t-on encore le droit de courir pour soi ? Peut-on encore aimer la montagne sans badge, sans dossard, sans drone ?
À l’inverse, l’UTMB World Series s’inspire du modèle Ironman : un circuit mondial, des points à cumuler, un accès réservé aux qualifiés, des règles strictes, des courses qui se ressemblent toutes… Pour briller, il faut suivre. Et pour suivre, il faut parfois se vendre.
Une fracture qui dépasse Krupicka
Sa fracture de stress cet hiver l’empêche peut-être de courir. Mais sa fracture avec le système, elle, est bien plus symbolique. Ce n’est pas un appel au boycott, mais une prise de recul. Un pas de côté que beaucoup n’osent pas faire, de peur de perdre leur place dans la lumière. Krupicka n’a plus besoin de la lumière : il a la montagne.
Il n’est pas le seul à dénoncer la dérive commerciale du trail
Et Anton Krupicka est loin d’être isolé. Depuis plusieurs années, d’autres figures majeures du trail running expriment leur malaise face à l’ultra-professionnalisation du sport. Kilian Jornet, malgré sa notoriété et ses sponsors, n’a jamais caché son rejet du format UTMB World Series. En 2021, il a clairement appelé au boycott et a fondé NNormal, une marque indépendante, éthique et minimaliste, en rupture avec le modèle dominant. Il milite pour un retour à des courses plus locales, moins dossardisées, et avec un impact écologique réduit.
Pau Capell, vainqueur de l’UTMB 2019, a également reconnu dans plusieurs interviews avoir perdu en plaisir à force de courir pour des objectifs imposés. Il parle d’un besoin de « s’éloigner du calendrier » pour retrouver du sens. Même Mathieu Blanchard ou François d’Haene, pourtant très intégrés dans le système, ont laissé entendre leur fatigue mentale face à la logique de course sponsorisée à répétition.
Et puis il y a tous les autres. Ceux qu’on ne voit pas, mais qui s’expriment sur les forums, les groupes Facebook, au détour d’un ravito. Ils dénoncent un trail devenu élitiste, coûteux, formaté. Ils regrettent les années où on s’inscrivait pour vivre une aventure, pas pour cocher une ligne de contrat. Dans ce contexte, Anton Krupicka devient malgré lui un symbole : celui d’un refus calme, mais ferme, de cette nouvelle norme.
L’affaire Krupicka n’est pas une anecdote. C’est un signal faible mais puissant : le trail, dans sa version hyper-professionnalisée, pourrait bien finir par éteindre la passion qu’il prétend célébrer. Et si, au lieu de chercher à « gagner » l’UTMB, on recommençait juste à courir pour soi ?
Résumé, ce qu’il faut retenir
Le possible forfait d’Anton Krupicka pour l’UTMB 2025 ravive un débat de fond dans le monde du trail : ce sport est-il en train de perdre son âme ? Blessé cet hiver, le traileur américain avance ses doutes physiques, mais surtout une perte de sens face à l’hyper-professionnalisation actuelle. Selon lui, le trail est de plus en plus dominé par les logiques de performance, de sponsoring et de formatage imposé par des circuits mondiaux comme les UTMB World Series.
Et il n’est pas seul à exprimer ce malaise. D’autres grandes figures comme Kilian Jornet, Zach Miller, François d’Haene ou Mathieu Blanchard ont eux aussi exprimé leur fatigue mentale ou leur volonté de revenir à une pratique plus simple, plus libre, plus en lien avec la montagne qu’avec les objectifs de marque.
Même des athlètes très intégrés au système, comme Blanchard ou d’Haene, n’échappent pas à ce tiraillement.
Mathieu Blanchard, après l’UTMB 2024, a reconnu publiquement « avoir du mal à supporter la pression médiatique » (Wikipedia) et a confié dans une interview être sorti « mentalement détruit » de sa saison 2022.
De son côté, François d’Haene revendique aujourd’hui une approche recentrée sur le plaisir : « les statistiques ne comptent plus, je veux de bons moments en montagne » (iRunFar). Il organise également des événements alternatifs comme Ultra Spirit, sans dossard, sans chrono, à contre-courant du modèle dominant (UltraRunnerMagazine).
Dans ce contexte, le refus potentiel de Krupicka de courir l’UTMB devient un geste symbolique. Moins qu’un abandon, c’est un message adressé au monde du trail : et si courir ne devait plus rimer avec performance mais avec liberté retrouvée ?
FAQ – Où va le trail ? Enjeux, changements et fracture dans le monde de la course en montagne
🏔️ Le trail, c’était quoi à l’origine ?
À l’origine, le trail running était une pratique marginale, quasi artisanale. Il s’agissait de courir en nature, en montagne, sur des sentiers techniques, avec peu de moyens, beaucoup d’humilité, et un esprit de liberté. Le chronomètre n’était pas toujours la priorité. On y allait pour l’aventure, le dépassement de soi et la communion avec la nature, plus que pour un classement ou un contrat.
⚙️ Pourquoi parle-t-on d’un changement d’ère dans le trail ?
Depuis les années 2010, et surtout après le boom de l’UTMB, le trail a connu une explosion de popularité. Ce succès a entraîné l’arrivée de :
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Marques de plus en plus puissantes (Salomon, Hoka, The North Face…),
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Circuits mondiaux structurés et privatisés (UTMB World Series),
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Médias spécialisés et chaînes de diffusion live,
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Professionnalisation des élites, entraînant une logique de performance continue.
Résultat : un sport autrefois libre devient normé, monétisé, globalisé.
💸 C’est quoi, cette « dérive commerciale » du trail ?
Ce qu’on appelle « dérive commerciale », c’est l’idée que :
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Le trail devient un produit,
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Les coureurs sont des influenceurs sous contrat,
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Les courses sont pensées pour être vendues (inscriptions chères, formats uniformisés),
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Le calendrier est dicté par les sponsors,
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Les marques ont parfois plus de pouvoir que les fédérations.
On voit aussi apparaître des formats « premium », des points obligatoires pour s’inscrire à certaines courses, et une multiplication des circuits avec des droits d’entrée élevés.
🏟️ Pourquoi l’UTMB cristallise-t-il les critiques ?
L’UTMB est devenu un symbole. D’abord légendaire pour son exigence et son cadre, il est aujourd’hui vu par certains comme un mastodonte commercial. Son partenariat avec Ironman et la création des UTMB World Series ont été perçus comme une privatisation du calendrier mondial :
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Pour participer à l’UTMB, il faut désormais passer par certaines courses « labellisées »,
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Les points ITRA ont été remplacés par un système « Running Stones »,
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Certaines courses historiques non alignées (ex : Diagonale des Fous, Tor des Géants) sont exclues du circuit,
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Des organisateurs locaux dénoncent une « colonisation commerciale » des sentiers.
🧗 Qui dénonce cette évolution ?
Des figures majeures du trail :
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Anton Krupicka, qui refuse de courir sans envie et critique le système,
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Kilian Jornet, qui a quitté l’UTMB World Series et fondé sa marque indépendante,
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Zach Miller, qui milite pour un trail libre, simple et humain,
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François d’Haene, qui crée des événements alternatifs comme Ultra Spirit,
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Mathieu Blanchard, qui a confié sa lassitude face à la pression constante du haut niveau.
Mais aussi une partie du peloton amateur, qui se sent exclue par les prix, les conditions d’accès et la perte de spontanéité.
🧠 Quel impact sur les athlètes professionnels ?
La professionnalisation apporte de la reconnaissance et des revenus, mais aussi :
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Une pression mentale accrue : obligation de performer, de communiquer, d’être présent sur les réseaux,
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Des blessures à répétition dues à la fréquence des courses,
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Un épuisement psychologique, avec parfois des abandons précoces (ex : Jim Walmsley en 2023),
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Un désalignement entre les valeurs personnelles et les exigences contractuelles.
🌍 Quel avenir pour les petites courses locales ?
Les circuits comme l’UTMB World Series créent une concentration d’attention, de budgets, de visibilité sur quelques événements phares. Cela rend la vie difficile pour :
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Les petites organisations locales, qui ne peuvent rivaliser,
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Les bénévoles, de plus en plus rares,
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Les modèles associatifs, fragilisés par la concurrence commerciale.
En parallèle, certains festivals résistent avec succès (ex : Échappée Belle, GRP, Grand Raid de la Réunion) en misant sur l’authenticité et la communauté.
🥇 Les élites sont-elles toutes d’accord avec ce système ?
Non. Il y a une fracture entre :
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Ceux qui embrassent la logique du haut niveau (sponsors, science, objectifs de performance),
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Et ceux qui recherchent plus de liberté (projets off, FKT, traversées, projets personnels).
Le trail vit ce que l’escalade a vécu avec les JO : un tiraillement entre authenticité de terrain et logique compétitive formatée.
🛠️ Est-ce irréversible ?
Pas nécessairement. Plusieurs tendances coexistent :
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Le trail business poursuit sa croissance (nouveaux formats, massification),
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Mais un mouvement alternatif se renforce : courses off, aventure, projets non chronométrés, localisme, éthique, low impact…
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Les marques les plus lucides s’adaptent (NNormal, Patagonia…),
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Le public reste attaché à l’esprit trail et pourrait faire pression pour préserver l’âme du sport.
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