Le trail n’a jamais été aussi populaire… et c’est peut-être bien son plus grand danger. La discipline, née d’un esprit libre et proche de la nature, attire aujourd’hui des millions de pratiquants, des sponsors par centaines et un marché en pleine explosion. Plus de 4 200 courses en France, des ventes de textile et de matériel en hausse record, des lives suivis par des centaines de milliers de spectateurs… Mais à force de croître, le trail court-il le risque de perdre son âme ?
Les chiffres du trail
Depuis quelques années, les statistiques parlent d’elles-mêmes : la planète trail connaît un essor spectaculaire. Au niveau mondial, la communauté des pratiquants progresserait de près de 12 % chaque année. En France, le phénomène est encore plus marqué, avec un nombre de coureurs qui aurait plus que doublé depuis 2022. Le pays compte désormais plus de 4 200 épreuves de trail par an, dépassant largement les 3 600 courses sur route recensées. À cela s’ajoute un phénomène nouveau : la diffusion en direct des grandes compétitions attire désormais des centaines de milliers de spectateurs, un scénario inimaginable il y a encore quelques années.
Cette ferveur attire logiquement sponsors et marques. Salomon, Hoka, Nike, Adidas, Millet… toutes enregistrent des ventes records sur leurs gammes dédiées au trail. L’essor concerne aussi la nutrition sportive, les lampes frontales, les montres GPS, mais également les podcasts, comptes Instagram et médias spécialisés. L’enseigne Ekosport a par exemple vu ses ventes de textiles outdoor grimper de 67 % en 2024, les montres connectées progresser de plus de 50 % et les bâtons de trail bondir de près de 40 %.
Un marché qui grignote sur les autres sports
Cette expansion ne vient pas uniquement de nouveaux pratiquants : elle résulte aussi d’un transfert depuis d’autres disciplines. De plus en plus de coureurs sur route ou de randonneurs adoptent un équipement de traileur, dynamisant ainsi l’ensemble du marché. Pour Romain Millet, directeur général de Millet, la tendance est nette : « Le trail-running s’invite dans des univers voisins, ce qui stimule les ventes. » Selon lui, aucun signe ne montre un essoufflement à court terme.
Les traileurs
En parallèle, le trail séduit une génération de jeunes athlètes prêts à bouleverser leur vie pour devenir élite. Certains quittent leurs études ou leur emploi pour s’entraîner à plein temps, misant sur des contrats avec les marques. Mais ces choix sont risqués : la discipline est très concurrentielle et les contrats offrent rarement plus que quelques milliers d’euros annuels assortis de dotations produits. « C’est insuffisant pour en vivre sereinement. Chez nous, nous ne sponsorisons que des athlètes qui ont déjà une activité professionnelle », précise Romain Millet.
Les trails
Côté événements, l’offre explose. Les distances s’allongent, comme avec l’ultra SwissPeaks de 700 km, et les dossards s’écoulent en quelques minutes. L’UTMB, victime de sa popularité, a instauré un système qui oblige les coureurs à participer à d’autres épreuves de son circuit pour espérer obtenir un dossard à Chamonix. Résultat : le dispositif filtre les inscriptions tout en fidélisant les athlètes à ses courses organisées dans le monde entier.
Pourtant, de nombreuses courses indépendantes prospèrent. L’Ultra Spirit de François et Carline d’Haene, par exemple, mise sur l’expérience collective et la responsabilité environnementale, avec un format en équipe dans le Beaufortain et une volonté de limiter l’impact écologique.
Le trail évolue vers des formats plus diversifiés, parfois étalés sur plusieurs jours, et mise davantage sur les courses locales pour limiter l’empreinte carbone et soutenir les bénévoles, maillons indispensables de l’organisation. Pourtant, la question centrale demeure : comment préserver l’âme de ce sport tout en accompagnant un marché en pleine explosion ? Même les figures qui défendent un retour aux valeurs simples – Kilian Jornet, Xavier Thévenard ou Baptiste Chassagne – restent, malgré elles, intégrées à un système dominé par les logiques économiques, preuve que la frontière entre passion et business est devenue floue.
En voulant séduire toujours plus de pratiquants, d’investisseurs et de sponsors, le trail s’est transformé en produit. Les courses s’enchaînent aux quatre coins du monde, les athlètes multiplient les déplacements comme des sportifs de haut niveau médiatisés, l’équipement se renouvelle au rythme des collections, et les réseaux sociaux transforment chaque sortie en opportunité marketing. Ce sport, autrefois libre, proche de la nature et sobre, se retrouve prisonnier de sa propre réussite. En d’autres termes, l’essor fulgurant qui l’a porté est aussi en train de lui ôter ce qui faisait son essence. À force de croître, le trail a tué le trail.
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