States of Elevation : un défi hors norme mais ultra-calibré.
States of Elevation n’est pas une course, pas une tentative officielle de record : c’est une aventure personnelle.
Et sur le plan sportif, c’est un chef-d’œuvre. Traverser les “fourteeners” du Colorado enchaîne des noms mythiques : Capitol Peak, Snowmass, Maroon Bells, Pyramid Peak, Castle Peak, Mount Massive, Mount Elbert… Du très lourd, du très technique, du très exigeant. Kilian enchaîne crêtes aériennes, descentes interminables et longues sections à vélo, jour après jour, sans lever le pied.
Mais tout est raconté de façon millimétrée.
Les récits arrivent en différé, les publications sont léchées, les chiffres sont soigneusement mis en avant. La marque NNormal, que Kilian a cofondée, profite de chaque étape pour mettre en avant ses chaussures et ses maillots. COROS est omniprésent, puisque tous les fichiers GPS proviennent de sa montre. Même les liaisons à vélo deviennent une vitrine parfaite pour son Trek Madone de plus de 11 000 €. Bref, rien n’est laissé au hasard.
À force de trop contrôler, ne risque-t-on pas de tuer l’émotion brute qui faisait vibrer ses fans ?
Le coup de la panne de trop
La goutte d’eau ? Cette nouvelle “panne” de téléphone en plein milieu de la traversée des Elk Mountains. Plus aucune photo, aucun suivi en direct, aucune vidéo sur le moment. L’information arrive plus tard, via un message d’équipe : le téléphone est tombé, il est hors d’usage. Résultat : on saura ce qu’il a fait, mais plusieurs jours après, une fois les données GPS synchronisées.
À force, cela ressemble à un scénario. Cette répétition commence à fatiguer : encore un silence au moment où l’histoire devient palpitante. C’est frustrant, et cela coupe le lien émotionnel que l’on avait avec l’aventure. On ne vibre plus en direct, on lit un résumé. C’est propre, c’est calibré, mais c’est froid.
Storytelling contre authenticité
Kilian a toujours su mettre en scène ses exploits – Summits of My Life en était déjà la preuve. Mais aujourd’hui, le storytelling semble avoir pris le pas sur l’instant vécu. Chaque image, chaque message semble servir la construction d’un récit plutôt que le partage brut de l’effort. Ce n’est plus simplement Kilian qui court dans les montagnes : c’est Kilian qui construit une saga autour de Kilian qui court dans les montagnes.
Cette approche divise. D’un côté, ceux qui admirent la perfection du dispositif : après tout, c’est inspirant, et cela donne des contenus magnifiques. De l’autre, ceux qui regrettent une perte de spontanéité. La répétition des pannes, l’absence de suivi en direct, la communication ultra-maîtrisée font perdre un peu de cette magie qui a longtemps fait de Kilian une légende à part.
States of Elevation reste un projet colossal. Mais à force de tout scénariser, Kilian risque de transformer une aventure sauvage en série Netflix parfaitement produite. Et c’est peut-être là que certains décrochent.
Au sommet du doute
Oui, l’exploit est réel. Oui, la charge d’entraînement est monstrueuse. Oui, Kilian reste un athlète hors norme. Mais ce qui faisait sa force était cette impression d’assister à quelque chose de brut, d’imprévu, de vécu avec lui. Aujourd’hui, tout semble contrôlé, verrouillé, publié à la seconde près pour maximiser l’impact.
Au moment où il attaque le mythique Nolan’s 14 – quatorze sommets de plus de 4 000 mètres en moins de soixante heures – il reste à voir si la magie opérera encore. Car ce qui se joue ici n’est plus seulement un défi sportif, mais la capacité de Kilian à reconnecter ses fans avec l’émotion pure de l’aventure. Et ça, aucun sponsor ne pourra le faire à sa place.
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