Il y a plus dur que l’ultra-trail. Ce n’est ni un Ironman, ni un Hyrox, ni un marathon sous les tropiques. Ce qui est plus dur, aujourd’hui, c’est de ne rien prouver.
C’est de résister à la tentation du défi permanent, à la surenchère de la souffrance, à l’esthétique du sang, de la sueur et des chronos Instagram. L’ultra-trail est exigeant, c’est vrai. Mais il est devenu, pour beaucoup, une échappatoire confortable. Une douleur choisie. Une douleur valorisée. Ce qui est plus dur, bien plus dur, c’est d’écouter son corps quand il dit stop. C’est de refuser une inscription. C’est de dire non à la pression sociale de la performance. Dans un monde qui célèbre le dépassement de soi comme une religion, l’acte le plus radical, c’est peut-être de ne pas dépasser. D’être. Juste être.
L’ultra-trail et le piège du “toujours plus”
Il y a quelques années, terminer un ultra-trail de 100 kilomètres suffisait à susciter respect et admiration. Aujourd’hui, ce n’est parfois qu’une étape vers autre chose : un 200 kilomètres, une Barkley, un dénivelé de 10 000 mètres, ou un défi en duo avec rameur, haltères et burpees en prime. Le corps devient un laboratoire de test. Le mental, une zone à pousser jusqu’à ses limites. Le problème ? Ce dépassement de soi n’a plus toujours de sens.
On s’inscrit, on coche une case, on poste. Et puis on recommence.
L’ultra-trail ne fait plus peur
Dans l’imaginaire collectif, l’ultra-trail reste l’ultime épreuve d’endurance. Mais aujourd’hui, une course de 100 km ne suffit plus à impressionner. Parce que l’ultra s’est démocratisé. Parce que les réseaux sociaux montrent des finishers tous les week-ends. Parce que le vrai défi, c’est maintenant de faire “différent”, “plus dur”, “plus stylé”. Le trail long devient un point de départ, pas un aboutissement.
Résultat : on voit naître des formats de plus en plus hybrides, violents, sans forcément prendre le temps de construire une vraie base physique. C’est moins l’effort que l’effet recherché.
Le corps dit stop, mais on like quand même
Ce nouveau rapport au sport s’appuie sur deux moteurs très puissants : la dopamine… et les likes. Le plaisir chimique de l’effort est indéniable. Mais il devient vite une addiction. Un shoot. Un besoin. Et les réseaux sociaux, en miroir, entretiennent cette spirale. Plus de kilomètres, plus de photos finish, plus de reels “prépa marathon en 8 semaines” ou “comment j’ai fait 1h20 au semi sans plan”.
Mais ce que l’on voit moins, c’est l’envers du décor : les blessures chroniques, les douleurs lombaires ignorées, les cycles hormonaux perturbés, les nuits écourtées, les sacrifices familiaux ou sociaux.
L’ultra moderne solitude
Derrière cette course effrénée à la performance, il y a aussi une immense solitude. Le coureur ou la coureuse qui multiplie les dossards dans l’année ne fuit pas que la sédentarité. Il fuit parfois un vide intérieur. Il fuit l’ennui. Il fuit un quotidien trop normé. Et le sport devient un refuge, une béquille, voire un anesthésiant.
Ce n’est pas l’ultra-trail en lui-même qui est en cause. Ce sont les attentes démesurées que l’on fait peser sur ce type d’épreuve. On ne vient plus simplement y chercher un défi sportif. On vient y chercher une identité.
Une préparation souvent bâclée
Les professionnels de santé sont clairs : l’activité physique est bénéfique, à condition qu’elle soit adaptée. Or, le problème récurrent dans ces nouvelles formes de compétitions, c’est l’impréparation. Courir un trail long, se lancer dans un Hyrox ou tenter un marathon sans structure ni cohérence d’entraînement, c’est mettre son corps en danger.
Beaucoup de coureurs enchaînent les défis sans penser aux conséquences physiologiques : surmenage articulaire, troubles digestifs, fatigue chronique, déséquilibres hormonaux, surentraînement, chute de libido… La liste est longue.
Ce n’est pas plus dur. C’est plus flou.
L’ultra-trail est difficile, oui. Mais aujourd’hui, ce qui devient plus dur encore, c’est de savoir pourquoi on court. Ce qui devient plus dur, c’est de faire une pause. De dire “non”. De ne pas s’inscrire à cette nouvelle épreuve juste parce qu’elle buzz sur Instagram ou Strava.
Ce qui devient plus dur, c’est de pratiquer un sport pour soi, et pas pour valider une image de soi.
En résumé, l’ultra-trail a beau paraître inaccessible, il ne l’est plus vraiment.
Il est balisé, cadré, applaudi. C’est une souffrance convenue. Mais ce qui est plus dur que tout ça, c’est ce qu’on ne voit pas sur Strava. C’est prendre le risque de ne pas briller. C’est refuser d’accumuler des dossards comme on aligne des trophées. C’est la lucidité, le doute, l’équilibre. La vérité, c’est qu’il est plus facile aujourd’hui de se lancer dans un 100 km que d’apprendre à se reposer sans culpabiliser. Plus facile de se broyer dans un Hyrox que de se contenter d’une séance de marche. Ce qui est plus dur que l’ultra-trail, ce n’est pas un autre défi. C’est de ne pas en avoir besoin.
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Il invite à une réflexion sur nos motivations profondes et les dérives potentielles d’un rapport déséquilibré au dépassement de soi.





