Ce qui rend la Diagonale des Fous unique, ce sont les Réunionnais

Ecouter cette déclaration d’amour à la Diagonale des Fous

Ce soir, à 20h (heure de Paris), l’hymne de la Diagonale des Fous retentira au départ de Saint-Pierre.

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La beauté de la Diagonale des Fous ce n’est pas son parcours légendaire

Le parcours de la Diagonale des Fous est certes mythique, un tracé insensé de près de 170 à 175 km qui traverse l’île de La Réunion du sud au nord, en diagonale à travers les montagnes. Partant du bord de mer à Saint-Pierre, les coureurs gravissent les pentes des volcans, plongent dans les cirques les plus sauvages (Cilaos, Mafate, Salazie), longent des crêtes vertigineuses et redescendent jusqu’à l’arrivée à Saint-Denis. Ce parcours extrême a donné son nom à la course et fait rêver plus de 7 000 participants chaque année. Il relie les plus beaux paysages de l’île, classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui lui vaut d’être souvent citée parmi les plus belles courses de la planète. L’expression « Diagonale des Fous » elle-même est née en 1994 lorsqu’un journaliste, admirant depuis un hélicoptère les coureurs filer en file indienne à travers la Plaine des Sables, a qualifié cette traversée insensée de « diagonale des fous » – un nom resté depuis.

Pour autant, le parcours seul n’explique pas tout: d’autres ultras à travers le monde proposent aussi des tracés exceptionnels, dans d’autres décors grandioses.

Ce qui se vit sur la Diagonale va bien au-delà d’une simple description topographique. Le sentier est magnifique, oui, mais ce n’est finalement que le théâtre – la scène sur laquelle va se jouer une expérience humaine hors du commun.

La beauté de la Diagonale des Fous ce n’est pas sa FOLIE, sa difficulté inouïe

La Diagonale des Fous est réputée pour être l’une des courses les plus difficiles au monde. Les chiffres donnent le vertige : environ 170 km de distance pour plus de 10 000 mètres de dénivelé positif cumulé. Les coureurs enchaînent les ascensions et descentes techniques sans quasiment de répit, de la chaleur humide du littoral aux crêtes d’altitude où les températures chutent la nuit. La météo tropicale peut être impitoyable : certaines années, la chaleur caniculaire a éprouvé les organismes, tandis que d’autres éditions ont connu le froid nocturne, la pluie torrentielle ou la boue glissante.

La difficulté de la Diagonale des Fous ce n’est pas l’interdiction des bâtons de trail

Ajoutons à cela une règle drastique : l’usage des bâtons de trail a longtemps été interdit sur le Grand Raid (par crainte qu’une chute ne transforme ces bâtons en armes dangereuses). Les organisateurs imposent donc aux coureurs de tout gravir et descendre à la seule force des jambes et des bras, ce qui augmente encore la difficulté. Le taux d’abandon est naturellement élevé – historiquement, seule la moitié environ des partants parvient à boucler la Diagonale. Les plus rapides mettent plus de 23 heures de course non-stop, et les derniers bouclent en plus de deux jours et deux nuits.

En somme, c’est un défi physique et mental absolument extrême, au point que la légende espagnole Kilian Jornet l’a qualifié de « plus dur ultra-trail du monde », tout en le décrivant aussi comme « le plus beau ». Et pourtant, là encore, la difficulté titanesque ne suffit pas à expliquer pourquoi cette course suscite un tel engouement. Des ultras très durs, il y en a d’autres ailleurs. La Diagonale est redoutable, mais sa spécificité tient moins aux chiffres de dénivelé qu’à l’esprit qui l’entoure.

L’originalité de la Diagonale des Fous, ce n’est pas l’organisation (jadis critiquée pour son « amateurisme)

On pourrait croire que l’organisation d’une telle épreuve, rodée depuis plus de 30 ans, ferait la renommée du Grand Raid. Certes, l’association organisatrice et ses bénévoles accomplissent un travail immense pour tracer les sentiers, sécuriser le parcours et gérer la logistique colossale.

Pour autant, l’organisation du Grand Raid a connu des couacs mémorables, notamment à l’époque de Robert Chicaud, le président emblématique qui dirigea l’épreuve pendant trois décennies.

À tel point qu’on a pu, non sans ironie, qualifier l’organisation d’« amateur » à plusieurs reprises durant ces années-là.

Quelques épisodes ont marqué les esprits.
– En 1994, lors de la 2e édition de la course, Jacky Murat franchit la ligne d’arrivée en premier – avec plus d’une heure d’avance sur le suivant – mais ne sera pas reconnu comme vainqueur. À l’époque, l’équipe d’organisation, surprise par son arrivée ultra-rapide, le disqualifie pour un prétendu oubli de pointage sur le parcours. Ce coureur réunionnais, pourtant vainqueur de fait ce jour-là, n’a jamais figuré au palmarès officiel 1994 – une polémique restée dans les annales du Grand Raid.

– Plus récemment, l’édition 2021 a été marquée par une sérieuse pénurie d’eau sur certains postes de ravitaillement, au plus fort de la chaleur. Des coureurs de fond de peloton, arrivés à Coteau Kerveguen en début d’après-midi, ont découvert avec stupeur des bidons vides et rien à boire pour poursuivre l’effort.
– D’autres pointages de l’édition 2022 ont également souffert de stands « bien dégarnis, voire vides », selon des vétérans amers qui ont parlé de leur « pire Grand Raid niveau organisation ».
– En 2022, la scène a même viré à l’absurde : le vainqueur Benat Marmissolle a été bloqué à quelques mètres de l’arrivée par un bénévole qui ne l’a pas reconnu. Pris à tort pour un coureur de la Mascareignes, il a été stoppé brièvement dans sa lancée, avant qu’un agent de sécurité ne réalise son erreur et le laisse franchir la ligne. Un incident improbable, retransmis en direct sur Réunion La 1ère, et qui a fait le tour des réseaux.

– Autre sujet de mécontentement régulier : les inscriptions en ligne. La Diagonale des Fous est victime de son succès et les serveurs d’inscription ont souvent peiné à encaisser l’afflux de candidats. En 2023 encore, lors de l’ouverture des ventes de packages dossard+voyage, le serveur a saturé dès les premières minutes, empêchant de nombreux aspirants de s’inscrire. Ce scénario, qui se répète quasiment chaque année, fait râler les traileurs et donne une bien mauvaise image de l’organisation du Grand Raid.

Bien sûr, il faut rendre justice aux organisateurs actuels : ces dernières années, beaucoup d’efforts ont été faits pour améliorer l’expérience. Robert Chicaud a passé la main en 2021 à une nouvelle équipe dirigeante, et la professionnalisation est en marche.

N’empêche, l’efficacité de l’organisation n’a jamais été le facteur qui distingue vraiment la Diagonale. Les coureurs ne reviennent pas chaque année pour la logistique ou le site web – ils reviennent pour autre chose de bien plus profond.

La renommée de la Diagonale des Fous, ce n’est pas la simple beauté de l’île

On ne va pas se mentir : La Réunion est une île d’une beauté à couper le souffle, et le Grand Raid en est une fantastique vitrine.

Les « fous » de la Diagonale ont la chance de traverser des lieux naturels parmi les plus spectaculaires au monde : le volcan du Piton de la Fournaise au lever du soleil, le cirque de Mafate accessible uniquement à pied, les crêtes du Maïdo au petit matin, les forêts tropicales et cascades perdues…

Un concentré d’images de carte postale se déroule sous leurs yeux tout au long du parcours. D’ailleurs, plus de la moitié du tracé emprunte des sentiers entretenus au cœur du Parc national de La Réunion, inscrit à l’UNESCO, ce qui garantit des paysages préservés et grandioses.

Pour beaucoup, c’est « l’ultra-trail le plus beau du monde » (dixit Kilian Jornet). Et pourtant, là non plus réside le véritable trésor du Grand Raid.

D’autres courses évoluent dans des décors splendides – les Alpes, les Andes ou l’Himalaya offrent aussi leur lot de panoramas extraordinaires.

La beauté ne fait pas tout. Le plus somptueux paysage, s’il est traversé dans l’indifférence ou la morosité, ne créerait pas la même magie. Or, sur la Diagonale, il se passe quelque chose de rare : la montagne vibre au rythme des battements de cœur d’un peuple entier. Les sentiers s’illuminent de milliers de petites flammes humaines dans la nuit. La nature elle-même semble habitée par une ferveur particulière pendant ces quelques jours d’octobre. Cette émotion-là ne vient pas des pitons et des cirques – elle vient des hommes et des femmes qui vivent là.

LA BEAUTÉ DE LA DIAGONALE DES FOUS, ce sont les Réunionnais, l’âme du Grand Raid

Oui, la clé de l’âme unique de la Diagonale des Fous, c’est bien le peuple réunionnais.

On le dit et on le répète à qui veut l’entendre : l’atout numéro un du Grand Raid, c’est l’ambiance insufflée par les habitants de La Réunion, leur ferveur, leur bienveillance et leur incroyable hospitalité.

Pendant toute la durée de la course, l’île vit au rythme des coureurs. Les Réunionnais sortent en masse de chez eux pour encourager leurs fous. Ils installent des tentes au bord des sentiers, allument des braseros dans la nuit, préparent du bouillon chaud et du café, offrent des bananes, des bonbons piment, un cari, un sourire, un mot d’encouragement à chaque coureur qui passe.

C’est un véritable élan populaire qui embrase l’île tout entière. Les écoles ferment plus tôt, les radios locales diffusent en direct les pointages des coureurs de tête, et même des non-initiés se passionnent pour la progression des “zourites” dans Mafate ou vers le Piton des Neiges. Dans chaque village traversé, une fête improvisée s’organise.

On a le sentiment que chaque Réunionnais, du plus jeune au plus âgé, fait un peu partie de la course. 

Ils appellent les coureurs par leurs prénoms inscrits sur les dossards, ils chantent, ils jouent du maloya pour redonner du courage en pleine nuit.

Surtout, il y a cette chaleur humaine indescriptible.

Les trailers métropolitains ou étrangers n’en reviennent souvent pas : où ailleurs vous acclamera-t-on ainsi, vous qui n’êtes qu’un anonyme lantern rouge arrivant au petit matin exténué ? Ici, à La Réunion, chaque finisher est un héros. Des scènes de liesse se produisent à toute heure : à 3h du matin au détour d’un sentier, une famille en pyjama et doudoune applaudissant et criant « Allez courage ! » à s’égosiller ; à 14h sous un soleil de plomb dans un îlet reculé, un groupe d’enfants offrant des morceaux de mangue fraîche aux coureurs en sueur ; à 22h sur une crête venteuse, des dizaines de frontales formant une haie d’honneur lumineuse et des bénévoles lançant des chants créoles pour accueillir les arrivants… Il faut le voir pour le croire, et on en a souvent les larmes aux yeux tant c’est beau.

Le vivre-ensemble réunionnais est souvent cité en exemple, et pour cause.

Sur cette île métissée où cohabitent depuis des siècles des communautés d’origines variées, l’entraide et le respect sont des valeurs fortes. Ce tissu social unique se retrouve en filigrane dans la foule du Grand Raid : peu importe d’où l’on vient, ce soir tout le monde encourage tout le monde, sans distinction. Les Réunionnais vous accueillent chez eux sur le bord d’un sentier comme un membre de la famille. Le surnom de l’épreuve, « la course des fous », ils le portent avec tendresse : pour eux, ces fous sont des champions, et ils sont fiers de les voir traverser leur petit coin de paradis.

Au fil des éditions, le Grand Raid est ainsi devenu bien plus qu’une course : c’est un patrimoine vivant, une affaire de cœur.

Les coureurs le disent souvent : « On vient pour la course, on revient pour l’atmosphère ». En 2022, on estimait plus de 40 000 spectateurs éparpillés tout au long du parcours pour vibrer avec les coureurs – un chiffre énorme pour une île de seulement 860 000 habitants. La Diagonale des Fous, c’est la fête de toute une île, où la performance sportive passe presque au second plan derrière la communion humaine.

Et c’est à l’arrivée que cette communion atteint son apogée. Le stade de La Redoute à Saint-Denis, point final de l’aventure, est un lieu d’une intensité unique au monde.

Dès le vendredi soir et jusqu’au dimanche midi, les tribunes et les pelouses se remplissent pour accueillir jour et nuit les arrivées des héros du Grand Raid, du premier au dernier. L’ambiance à La Redoute est indescriptible. Chaque coureur qui entre dans le stade est porté par une clameur libératrice. On voit des sourires épuisés, des larmes de joie, des accolades avec la famille, des bénévoles qui félicitent d’une tape dans le dos. Les hauts-parleurs diffusent l’hymne du Grand Raid, repris en chœur. Peu importe le classement, il n’y a que des vainqueurs à La Redoute : vainqueurs sur eux-mêmes, vainqueurs dans le cœur du public. Les derniers finishers, en particulier, sont célébrés comme des légendes vivantes – et nombreux sont ceux qui avouent que c’est dans ces ultimes moments, quand l’émotion collective est la plus forte, qu’ils ont vraiment compris pourquoi cette course est si spéciale.

En résumé ce soir, quand le départ sera donné et que la 37e Diagonale des Fous s’élancera dans la nuit, nous suivrons bien sûr la course avec passion.

Nous regarderons les étoiles du trail se mesurer aux sentiers réunionnais, nous analyserons les allures, nous guetterons les premiers abandons ou coups de génie. Mais surtout, nous vibrerons à distance en pensant à cette ferveur unique qui embrase La Réunion. Nous savons que sur le bord des chemins, derrière chaque frontale allumée, il y a un sourire, une main tendue, une voix qui crie « Larg pa, tienbo, courage ! ». C’est cette humanité-là qui donne tout son sens à la folie de la Diagonale. Les Réunionnais, dans leur incroyable générosité, ont fait de cette épreuve une légende vivante. Et quand, dans quelques jours, les coureurs repartiront chez eux la médaille au cou, ils emporteront bien plus qu’un exploit sportif : ils auront senti battre le cœur de La Réunion en même temps que le leur. Car ce qui fait la Diagonale des Fous si spéciale, ce n’est ni le tracé, ni le chrono, ni le trophée – ce sont les Réunionnais, tout simplement.

Sources

• L’épopée de Jacky Murat, vainqueur non reconnu en 1994
• Pénurie d’eau sur la Diagonale 2021
• Bugs d’inscriptions 2023 au Grand Raid
• Historique de la Diagonale des Fous et de son nom
• Règlement du Grand Raid et matériel obligatoire
• Article de La Réunion La 1ère sur l’ambiance et les bénévoles
• L’impact populaire du Grand Raid sur l’île
• Description du parcours et du classement UNESCO
• Témoignages de finishers sur l’ambiance unique
• Analyse de la difficulté technique de la Diagonale

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