Quand l’exposition médiatique fragilise les espaces naturels
ACHETER LE NOUVEAU LIVRE DE KILIAN JORNET
Alpes, au-delà des limites
La popularité des réseaux sociaux a fait exploser l’intérêt pour les activités outdoor, du bivouac sauvage au trail en crête. Mais à mesure que les paysages deviennent des décors de contenu, les dérapages se multiplient. Et face à cette pression nouvelle, les autorités n’ont d’autre choix que de hausser le ton.
Il y a quelques années encore, seuls quelques passionnés connaissaient l’existence de la cascade de Saint-Chély-du-Tarn.
Aujourd’hui, ce joyau de la Lozère n’existe plus dans sa forme originelle. Le rocher emblématique, rendu célèbre par les publications Instagram à répétition, s’est effondré. La faute à l’érosion, certes, mais aussi à la surfréquentation. En quelques saisons, ce lieu est devenu une « destination virale » : les pas répétés, les vibrations, les selfies massifs ont précipité l’usure naturelle du site. Et dans un retournement quasi ironique, c’est l’effondrement lui-même qui est devenu un nouveau prétexte à stories et vidéos.
Le constat est clair : l’influence débridée a des conséquences bien réelles. Et ce n’est plus uniquement une affaire de mœurs ou d’esthétique numérique. C’est désormais une question de protection des milieux, de droit, d’ordre public.
Le cas du Puy Mary : quand la vidéo devient une infraction
À quelques centaines de kilomètres de là, en Auvergne, un autre exemple a récemment bousculé la tranquillité du Parc des Volcans. Un youtubeur moto, suivi par des dizaines de milliers d’abonnés, s’est filmé sur des chemins classés, interdits aux véhicules motorisés. Bilan : une plainte, deux infractions relevées, une image désastreuse pour les acteurs du territoire, et un effort de sensibilisation réduit à néant.
La particularité de cette affaire n’est pas tant l’infraction en elle-même — rare mais réelle — que sa mise en scène publique et la puissance de diffusion qui l’accompagne. Un contenu illégal peut aujourd’hui cumuler des centaines de milliers de vues en quelques heures, inspirer des comportements déviants et provoquer des dégâts irréversibles sur des milieux déjà fragilisés. « Il est en dehors des voies ouvertes à la circulation et surtout, il en fait la promotion », résume un garde du parc. On ne saurait mieux dire.
Du Mont Blanc à la justice : la traque des « bivouacs médiatiques »
Même les hauteurs du Mont Blanc n’échappent pas à cette dérive. Depuis la mise en place d’un arrêté de protection des habitats naturels (APHN), la voie normale est soumise à des règles strictes. Pourtant, chaque été, des vidéos fleurissent montrant des bivouacs improvisés au sommet, des pratiques interdites filmées sous tous les angles. Là aussi, les autorités sont contraintes d’agir. Le maire de Saint-Gervais, Jean-Marc Peillex, en a fait une croisade personnelle, multipliant les plaintes — y compris contre des marques comme The North Face ou Sunslice — et déclenchant de vives réactions dans le monde de l’alpinisme.
Mais qu’on approuve ou non les méthodes de Peillex, son constat est difficile à balayer : face à des influenceurs qui transforment les sommets en décors de clip, les limites légales sont sans cesse franchies, puis revendiquées. Et dans un monde où chaque vidéo est un levier d’audience (et parfois de revenus), le respect des règles passe souvent au second plan.
Et le trail dans tout ça ?
Le trail n’est pas épargné. Bien au contraire. Les réseaux sociaux regorgent de vidéos où des coureurs tracent hors sentier, coupent les lacets pour « gagner du temps », posent leur drone en zone Natura 2000, ou grimpent au sommet d’un pic interdit pour « la beauté du plan ». Ce ne sont pas toujours des comportements délibérément destructeurs, mais la logique est la même : se montrer, marquer l’instant, créer du contenu. Tant pis si cela va à l’encontre de la réglementation ou de l’éthique des pratiques outdoor.
Là encore, l’effet boule de neige est immédiat : ce que montre un influenceur devient désirable. Ce qu’il valorise devient un objectif. Et ce qu’il transgresse devient, aux yeux de certains, une norme. Il suffit de quelques comptes bien suivis pour transformer un coin reculé en haut-lieu touristique, sans que ni les sentiers ni les communautés locales ne soient préparés à cette fréquentation brutale.
Vers une régulation nécessaire… et inévitable
Les exemples se multiplient. Les conséquences aussi. Les autorités locales, qu’il s’agisse de parcs naturels, de communes de montagne ou de services de l’État, n’ont plus d’autre choix que de réagir. Pour protéger les lieux, mais aussi pour envoyer un message : non, l’outdoor ne peut pas devenir un espace sans règles. Oui, publier un contenu illégal peut avoir des suites judiciaires. Et non, l’influence n’est pas un passe-droit.
Certaines communes s’organisent déjà. Des chartes sont en cours de rédaction. Des campagnes de sensibilisation apparaissent. Des signalements sont plus systématiques. Et dans les cas les plus graves, la justice est saisie. Il ne s’agit pas de diaboliser les réseaux sociaux ou les créateurs de contenu, mais de rappeler que la montagne, les sentiers, les sites classés ne sont pas des décors jetables.
En résumé quelques cas récents
– Effondrement de la cascade de Saint-Chély-du-Tarn en Lozère, surexposée par les influenceurs
– Youtubeur moto poursuivi pour avoir roulé sur les sentiers interdits du puy Mary (Parc des Volcans)
– Multiples plaintes déposées par le maire de Saint-Gervais contre des bivouacs illégaux sur le mont Blanc
– Débats houleux sur la judiciarisation de la pratique alpine face à la surexposition médiatique
Concernant les influenceurs outoor, la responsabilité est collective
La montagne n’a jamais eu autant de visibilité. C’est à la fois une opportunité et un danger. L’influence peut aider à faire aimer la nature, à démocratiser le trail, à sensibiliser. Mais elle peut aussi accélérer les dégradations, promouvoir des comportements à risque, ou tout simplement mépriser les règles en place.
Il est temps que chacun – pratiquants, influenceurs, collectivités – prenne conscience de l’impact de ses actes. La montagne n’est pas une scène de théâtre. Et si on veut qu’elle continue à exister pour tous, il faudra parfois renoncer à une vidéo, à un plan parfait, à une publication virale. Car les sommets méritent mieux qu’un buzz éphémère.
Lire aussi
- Comment va s’entrainer Guillaume Grima pour la Yukon Arctic Ultra ?
- Nouveau : l’Ultra Trail du Puy Mary Aurillac va proposer un 50 km
- L’Ultra-trail puy Mary Aurillac licencie son employée à cause de la Covid-19. sest annulé
- Pourquoi les traileurs sont de moins en moins les bienvenus sur les sentiers
- Trail : quand le parcours de repli ajoute 7km
- Un ENORME coup de chapeau à Claire Bannwarth qui remporte l’ULTRA 01






