Météo trompeuse, favoris affûtés… mais toujours un règlement absurde
Jeudi 16 octobre 2025 à vingt heures, 2500 coureurs vont s’élancer depuis Saint-Pierre pour une traversée de 175 kilomètres à travers l’île de La Réunion.
VOTRE COUVERTURE DE SURVIE
Une diagonale des fous qui fascine, qui use, qui fait rêver.
Les prévisions météo ? Plutôt rassurantes sur le papier : pas de cyclone, pas de grosse pluie, mais un mélange trompeur de chaleur moite dans les bas, de froid piquant dans les hauts, et ces fameuses “farines péi” capables de mouiller sans prévenir. L’humidité sera là, la gestion thermique sera décisive.
Côté favoris, le plateau est royal.
Chez les hommes, Ludovic Pommeret revient avec la sagesse de ses cinquante ans et l’expérience d’une saison au sommet. Aurélien Dunand-Pallaz, victorieux en 2023, entend reprendre son trône. Arthur Joyeux-Bouillon débarque affûté comme jamais. Chez les femmes, Blandine L’Hirondel vise la gagne sans détour, Émilie Maroteaux jouera à domicile avec l’expérience du terrain, Sylvaine Cussot et Sarah Vieuille s’avancent avec une préparation millimétrée. Du très solide.
Et pourtant, au cœur de cette édition 2025, un sujet revient encore et toujours : l’interdiction des bâtons. Cette règle unique dans le monde de l’ultra. Cette spécificité que l’organisation brandit comme un étendard. Cette absurdité que beaucoup de coureurs ne supportent plus. Il faut le dire : la Diagonale sans bâtons, c’est trop dur. Point.
Les batons de trail interdits à la Diagonale des Fous, une règle que personne ne comprend vraiment
Le règlement est formel : “tout usage de bâton, de quelque type que ce soit, est formellement interdit”, avec une pénalité d’une heure à la clé en cas d’infraction. Pas de bâtons à Saint-Pierre, pas de bâtons à Mare à Boue, pas de bâtons au Taïbit, pas de bâtons à la Redoute. Nulle part.
Pourquoi les batons de trail sont interdits sur la Diagonale des Fous ?
Pourquoi ? Officiellement, c’est pour des raisons de sécurité et d’écologie. Trop de monde, des sentiers étroits, un dénivelé technique, des marches irrégulières : dans ces conditions, les bâtons sont accusés de tous les maux. Risque de blessure par pointes mal maîtrisées, chutes de pierres déclenchées involontairement, embouteillages aggravés dans les passages techniques… L’argument est connu, répété, rabâché.
Mais ce n’est pas tout. L’organisation avance aussi un souci de préservation environnementale : éviter que des milliers de pointes ne creusent les marches, n’érodent les sols, n’abîment les sentiers classés dans le Parc national ou au patrimoine mondial de l’UNESCO. Une précaution louable sur le papier.
Sauf que sur le terrain, cette justification tient de moins en moins. D’abord parce qu’aucune étude d’impact sérieuse n’a jamais été publiée pour mesurer ce que changeraient réellement des bâtons utilisés avec embouts en caoutchouc ou interdits sur certaines sections sensibles uniquement. Ensuite, parce que des dizaines d’ultras tout aussi prestigieux traversent des zones classées, des réserves naturelles, voire des parcs nationaux, sans interdire les bâtons pour autant.
Là où d’autres événements cherchent à éduquer, à encadrer, à adapter l’usage, la Diagonale choisit l’interdiction pure et simple. Et ce choix radical, qui n’évolue pas depuis des années, finit par paraître plus symbolique que pragmatique. Comme si l’on préférait sacrifier le confort des coureurs pour afficher une posture “écolo-compatible”, sans vraiment questionner son efficacité.
Dans tous les ultras techniques du monde, les bâtons sont autorisés.
À l’UTMB, à la Hardrock, à la Western States, sur la Transvulcania, sur la Ronda dels Cims. Sur des parcours parfois plus engagés, plus verticaux, plus rapides. Pourquoi ce qui est autorisé ailleurs serait dangereux à la Réunion ? À force, cette règle ressemble plus à un héritage symbolique qu’à une vraie mesure de sécurité.
Sans bâtons, la diagonale devient une épreuve injuste
Il faut être clair : l’absence de bâtons change tout. Et pas pour le mieux.
En montée, c’est tout le poids du corps qui repose sur les cuisses, les fessiers, les mollets.
Pas de relais sur le haut du corps, pas d’économie de geste, pas de variation de posture. C’est linéaire, brutal, sans relâche. Et sur un ultra où il faut grimper plus de dix mille mètres, la différence est énorme.
En descente, l’absence de bâtons supprime le troisième point d’appui qui permet de contrôler, d’amortir, de freiner.
Résultat : les quadriceps explosent plus vite, les articulations encaissent davantage, le risque de chute augmente. Fatigue + humidité + racines = cocktail explosif.
En gestion, les bâtons permettent aussi de garder une meilleure posture, de relancer dans les relances, de soulager le dos.
Sans eux, les lombaires trinquent, la nuque durcit, les épaules se contractent. C’est un cercle vicieux.
En résumé ? Une diagonale sans bâtons n’est pas juste une diagonale plus “authentique”. C’est une diagonale plus dure, plus déséquilibrée, plus injuste. Et quand on sait que la majorité des finishers met entre 40 et 55 heures pour boucler la course, ça devient un vrai problème d’équité.
Une fracture entre deux visions du trail
Le problème, ce n’est pas seulement la règle. C’est ce qu’elle symbolise. D’un côté, une génération de traileurs formée aux ultra modernes, qui utilisent les bâtons comme un outil d’efficacité, de prévention des blessures, de gestion intelligente de l’effort. De l’autre, une vision “à l’ancienne”, où l’endurance se mesure à la souffrance, où il faut “mériter” sa diagonale, où l’on voit encore le bâton comme un gadget ou une triche.
Le fossé se creuse d’année en année.
Certains coureurs de l’Hexagone n’osent même plus s’inscrire à la Diag parce qu’ils savent qu’ils ne tiendront pas sans leurs bâtons. D’autres arrivent à la Réunion en se disant qu’ils s’adapteront… et explosent dès le Taïbit. Même les élites commencent à s’agacer de devoir s’entraîner “à l’envers” pendant deux mois pour une seule course.
Pendant ce temps, certains organisateurs en métropole interdisent eux aussi les bâtons “parce que la Diag le fait”. Sans réfléchir. Sans adapter la règle au terrain. Sans comprendre que ce choix n’a de sens que dans un contexte local précis.
La diagonale n’est pas plus “pure”, elle est plus cassante
Ce qu’on oublie souvent, c’est que la diagonale des fous est déjà l’une des courses les plus dures du monde. Pas besoin de l’interdiction des bâtons pour la rendre mythique. Elle l’est déjà.
Ce parcours est une machine à broyer. Des marches taillées à la main. Des ravines glissantes. Des escaliers de deux cents marches en pleine nuit. Des relances en plein cagnard. Des descentes où l’on n’a plus rien dans les jambes. Le tout, avec deux nuits blanches au compteur, une météo tropicale traîtresse, et des sentiers qui ne pardonnent rien.
Et on voudrait volontairement se priver de l’un des seuls outils qui permet de soulager un peu le corps ? Ce n’est pas du purisme. C’est de l’acharnement.
Ce que ça change vraiment dans la course
L’absence de bâtons, ce n’est pas juste une variable parmi d’autres. C’est une transformation radicale de la stratégie de course.
Les coureurs explosent plus tôt. Le peloton abandonne davantage. Les descentes deviennent plus dangereuses, les montées plus douloureuses. Même l’alimentation est impactée : on mange moins bien parce qu’on a besoin des deux mains pour progresser. On boit moins souvent. On gère moins bien la chaleur.
Et puis il y a la fameuse gestion musculaire. Sans bâtons, les jambes sont en surcharge constante. L’usure est plus rapide, les crampes plus violentes, la récupération plus lente. Et à l’arrivée, ceux qui finissent ont souvent l’impression d’avoir été au bout d’eux-mêmes – mais pas forcément pour les bonnes raisons.
L’heure de changer (vraiment)
On ne dit pas que la Diagonale doit devenir un UTMB bis. On ne dit pas que les bâtons doivent être obligatoires. Mais il est temps d’ouvrir le débat sérieusement. Avec des arguments, des chiffres, des données terrain. Pas avec des slogans ou des traditions qu’on ne remet jamais en question.
La sécurité ? Elle serait améliorée avec une meilleure gestion des flux et des zones de dépassement. L’environnement ? L’impact des bâtons existe, mais il peut être contenu avec des embouts, des zones interdites ponctuellement, et surtout une éducation des coureurs. L’authenticité ? Elle ne dépend pas du matériel, mais de ce qu’on en fait.
Ce n’est pas manquer de respect à la Réunion que de poser la question. Ce n’est pas renier l’histoire de la Diag que d’imaginer son avenir autrement. Ce serait, au contraire, lui permettre de rester à la hauteur de son mythe, tout en respectant les coureurs qui la construisent.
En résumé, sans bâtons, c’est trop dur. Et ce n’est pas une qualité.
La diagonale des fous est une course mythique. Elle mérite le respect. Elle mérite qu’on s’y prépare avec sérieux, qu’on y arrive prêt, qu’on en accepte la difficulté. Mais cette difficulté ne doit pas devenir une souffrance inutile.
Les bâtons sont un outil, pas une triche. Un appui, pas une béquille. Une aide, pas un raccourci. Les interdire, c’est priver les coureurs d’un élément fondamental de leur performance. C’est rendre la course plus dure… pour rien.
En 2025, il est temps d’assumer ce constat : la Diagonale des Fous sans bâtons, c’est trop dur. Et ce n’est pas ça, le trail.
Lire aussi
- C’est quoi cette fichue manie de passer la ligne d’arrivée avec ses gosses ?
- Propriétaires privés # traileurs : il y a de plus en plus de sentiers interdits au trail
- Les pseudo-scientifiques qui disent que les bâtons de trail ne servent à rien n’ont rien compris
- Le bout des bâtons de trail abime-t-il vraiment les sentiers ?
- Pourquoi les traileurs sont de moins en moins les bienvenus sur les sentiers
- Les posts qui font la promotion de l’alcool devraient être interdits, surtout dans le milieu du spor