Bien avant les exploits de Kilian Jornet avec son projet States of Elevation, quatre frères avaient relié à pied 68 sommets de plus de 4 200 mètres dans le Colorado en seulement 48 jours. Un exploit familial tombé dans l’oubli.
Acheter le livre de Kilian Jornet
Ecouter cet article sur States of Elevation
Regarder la video youtube du résumé de cet article sur l’exploit des frères Smith
States of Elevation en 1974, l’été où tout a commencé
L’histoire remonte à l’année 1974. Quatre frères américains — Tyle, Flint, Cody et Quade Smith — accompagnés de leur père George, se lancent dans un défi complètement fou : gravir tous les sommets de plus de 14 000 pieds (soit 4 267 mètres) des États-Unis continentaux. En tout, cela représente 68 montagnes à l’époque. Sans les vélos de Kilian Jornet, ils enchaînent les ascensions en utilisant un van pour les liaisons routières et leurs jambes pour les centaines de kilomètres à pied.
Ils mettront 48 jours pour réaliser leur périple. À l’époque, c’est un record. Ils parcourent plus de 500 miles à pied, avalent près de 215 000 mètres de dénivelé et roulent sur plus de 4 000 kilomètres entre les sommets.
Leur objectif ? Se prouver que c’était possible. Et vivre un été qu’ils n’oublieraient jamais.
Une aventure de famille
À l’origine de cette aventure, George Smith, leur père. Victime d’un grave accident de la main à l’âge de 4 ans, il trouve dans la marche un refuge accessible malgré son handicap. Très tôt, il entraîne ses enfants sur les sentiers des Rocheuses. Les quatre frères grandissent dans une maison isolée près d’Aurora, au Colorado, où la montagne devient vite leur terrain de jeu.
Chacun se met à grimper en suivant les aînés. L’un fait son premier sommet à 6 ans, un autre enchaîne les enchaînements techniques à 9 ans. À la fin des années 60, ils avaient déjà bouclé les 53 “fourteeners” du Colorado. Puis ceux de Californie. Et même ceux de l’État de Washington.
Alors, en 1974, le moment était venu de tous les relier dans un grand projet, un rite de passage collectif, un défi sportif mais surtout humain.
Entre solitude et tempêtes
Contrairement à aujourd’hui où les sommets les plus courus du Colorado accueillent parfois plus de 1 000 personnes par jour, les frères Smith évoluaient dans une nature encore vierge de toute effervescence outdoor. À cette époque, ils n’étaient que huit à signer le registre au sommet de certains sommets, même le week-end.
Il n’y avait pas toujours de sentiers, encore moins de balisage. Parfois, ils devaient simplement “deviner” l’itinéraire. D’autres fois, ils dormaient à même les sommets, emmitouflés sous une bâche de fortune. Une tempête de neige, une crevasse sur Rainier, un passage délicat entre Blanca Peak et Little Bear : le parcours n’a pas été sans accrocs.
Mais l’essentiel est ailleurs : c’est leur cohésion fraternelle qui les a portés. À force de crapahuter ensemble, ils ont appris à connaître leurs forces, leurs limites, à se faire confiance. Et à faire confiance à leur père, qui très tôt leur a donné les rênes de leurs aventures.
La course contre le temps
L’expédition démarre le 4 juillet 1974 au sommet de Longs Peak. Dès les deux jours suivants, ils enchaînent Bierstadt, Evans, Grays, Torreys et Quandary Peak. Puis vient Blanca, l’un des plus engagés, sur lequel ils passent une nuit à 4 300 mètres d’altitude.
En 33 jours, ils terminent les 53 sommets du Colorado, pulvérisant le record de l’époque de plus de 21 jours. Ils poursuivent ensuite vers la Californie (Whitney, Muir, Russell), puis jusqu’à l’État de Washington pour gravir le Mont Rainier. Le 20 août, après 11 heures d’ascension, ils atteignent enfin ce sommet mythique. Ils ont 15, 17, 18 et 22 ans. L’aventure est terminée.
Mais pas l’histoire.
L’après, la transmission, la postérité
Une fois adultes, les frères Smith ne perdent jamais de vue la montagne. Certains montent une école locale de montagne pour initier les enfants du coin. D’autres écrivent des livres ou transmettent oralement cette histoire longtemps oubliée.
Il faudra attendre des décennies pour que leur exploit soit reconnu à sa juste valeur. Aujourd’hui, une plaque leur rend hommage au musée de l’alpinisme de Golden, dans le Colorado.
Loin de l’esprit de compétition, leur aventure était surtout une ode à la famille, à la débrouillardise, à la lenteur aussi. Bien avant les records express à vélo, les selfies au sommet et les sponsors, il y avait quatre frères, un vieux van, des bivouacs de fortune et une soif de vivre la montagne autrement.
Et aujourd’hui ? Le States of Elevation de 2025
Avec States of Elevation, Kilian Jornet a repris le flambeau, cinquante ans après les frères Smith. Mais il l’a fait à sa manière : sans moteur, en reliant chaque sommet à vélo et en gravissant les montagnes uniquement à pied.
En seize jours, il a enchaîné les 56 sommets de plus de 4 270 mètres du Colorado, couvrant près de 1 943 kilomètres et plus de 100 000 mètres de dénivelé positif.
Un périple monumental, conclu dans le mythique Chicago Basin avec un final à couper le souffle : 40 km de vélo puis 64 km de course pour gravir quatre sommets isolés.
Comparé aux frères Smith, la philosophie est proche — accumuler les sommets les uns après les autres dans une odyssée hors norme — mais le contexte a radicalement changé.
Les Smith se déplaçaient en van entre les massifs et progressaient dans un anonymat presque total, bivouaquant sous une bâche et signant leur passage dans les registres des sommets. Kilian, lui, évolue dans un univers hyperconnecté : chaque sortie est suivie sur Strava, chaque image est relayée par des milliers de fans, chaque kilomètre est disséqué par les observateurs.
Là où les Smith ont marqué l’histoire familiale et locale de l’alpinisme, Kilian inscrit son projet dans une dimension mondiale et médiatique.
L’un a laissé des photos jaunies et des souvenirs de bivouac en famille, l’autre partage en direct un récit épique avec une communauté internationale.
Mais au-delà des outils, le cœur reste le même : une quête de dépassement, de simplicité, et de lien avec la montagne. Ce que les Smith vivaient dans le silence des Rocheuses, Kilian le transpose aujourd’hui dans un monde saturé d’images, sans jamais trahir l’essentiel : la montagne se gagne avec ses jambes et avec le cœur.
Lire aussi
- Direct : Kilian Jornet a validé la première étape de States of Elevation en 16 jours
- States of Elevation vs Alpine Connections : pourquoi le projet américain de Kilian Jornet est mille fois plus dur
- Desert Ride
- Direct : Kilian Jornet a validé la première étape de States of Elevation en 16 jours
- States of Elevation : Kilian Jornet n’a pas battu le FKT du Colorado
- source : ici