« Je ne cours pas pour gagner. » Cette phrase, prononcée par Kilian Jornet avant la Western States 2025, aurait pu sembler anodine. Une manière élégante de baisser les attentes. Mais après 160 km avalés en 14 h 19, une troisième place derrière deux trentenaires américains affûtés, et surtout une course menée sans agressivité ni sac d’hydratation… on est forcé de l’admettre : il avait préparé sa défaite. Pas comme un renoncement, mais comme une position assumée. Une posture qui interroge autant qu’elle fascine.
kilian jornet
“Je me fiche de gagner” : quand la philosophie rattrape la réalité
En 2022 déjà, après sa victoire à l’UTMB, Kilian lançait une phrase devenue culte : « Gagner, ce n’est pas finir premier. » Trois ans plus tard, cette citation résonne comme un programme, presque un manifeste. En 2025, il ne s’agit plus de mots : sa course entière illustre cette vision. Pas de chrono à battre, pas d’adversaire à écraser. Ce qu’il est venu chercher sur la Western States, ce n’est pas la coupe, mais le chemin.
Il l’avait annoncé : “Je veux comprendre cette course”
Revenu 15 ans après son premier podium sur cette course mythique, Jornet n’a pas caché ses intentions. Dans ses interviews pré-course, il disait vouloir « comprendre la Western », « vivre l’expérience », « se confronter à un terrain différent ». Pas un mot sur la gagne. Ce discours, déjà tenu dans le documentaire A Different Athlete Now, où il avoue n’avoir “plus besoin de gagner”, prend ici toute sa portée.
Et sa stratégie l’a confirmé : sans sac, sans flasque, sans volonté apparente de mener, il est resté fidèle à son projet de course… un projet d’exploration, pas de domination.
Un chrono de folie, sans feu dans les jambes
Le plus troublant, c’est que malgré cette posture, Kilian signe l’une des performances les plus impressionnantes de sa carrière. Il boucle la Western States en 14 h 19, soit 1 h 15 de moins qu’en 2011, l’année où il l’avait remportée. Et pourtant, il n’a jamais cherché à tout donner. Pas d’accélération tranchante, pas de coup de poker tactique. Même dans le dernier tiers, quand il revient fort sur Myers, il reste dans sa bulle. Comme si la troisième place lui allait. Comme si, cette fois, être finisher suffisait.
Une défaite volontaire ? Ou l’expression d’un luxe inaccessible ?
Peut-on vraiment choisir de ne pas gagner, quand on est Kilian Jornet ? Pour certains observateurs, cette posture minimaliste frôle l’indécence. Dire que le classement ne compte pas quand on a tout gagné pendant vingt ans, c’est comme dire que l’argent ne fait pas le bonheur depuis un chalet norvégien sponsorisé par les plus grandes marques de sport outdoor. Une forme de privilège.
Mais peut-on lui en vouloir ? Depuis 2023, Kilian s’est progressivement effacé du circuit élite, préférant les projets personnels, les expéditions, le travail avec NNormal, ou sa vie de famille. La victoire ne semble plus être son moteur. Il court désormais pour autre chose. Et c’est peut-être là, paradoxalement, que se trouve sa liberté.
L’homme derrière la légende
Il y a 15 ans, Kilian courait pour écrire son nom dans l’histoire. En 2025, il court pour continuer à écrire la sienne. Ce retour à la Western States n’avait rien d’un baroud d’honneur, ni d’une revanche. C’était un retour au source dans sa forme la plus sincère : pas pour briller, mais pour ressentir.
Dans un monde du trail de plus en plus professionnalisé, où chaque dossard est un CV, Kilian montre une autre voie. Une voie sans ego, sans panique, sans obsession. Une voie où préparer sa défaite, ce n’est pas abandonner… c’est s’autoriser à gagner autre chose.