En trail, quand la performance physique est poussée à l’extrême, l’automédication fait partie des zones grises que peu osent aborder. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : lors d’une étude réalisée pendant le Grand Raid de la Réunion (Science & Sports, 2017), près de 59 % des coureurs déclaraient consommer des médicaments sans ordonnance durant leur préparation, et plus de 68 % pendant la course. Cette banalisation pose la question d’un glissement insidieux vers des pratiques limites, voire dopantes.
attention à la ventoline en trail
Parmi les substances les plus utilisées en trail, la Ventoline revient régulièrement. Ce médicament, à base de salbutamol, est normalement prescrit aux personnes asthmatiques pour faciliter la respiration. Mais chez certains traileurs non asthmatiques, il est détourné de sa fonction thérapeutique et utilisé avant le départ ou en début de course pour mieux oxygéner l’organisme et retarder la fatigue. Ce geste, souvent minimisé, pourrait pourtant être considéré comme du dopage.
Ventoline et réglementation antidopage
Le salbutamol figure sur la liste des substances surveillées par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA). Son usage est autorisé uniquement sous certaines conditions, notamment en cas d’asthme et avec une autorisation thérapeutique (AUT). Toute inhalation dépassant 1600 µg/24h ou toute concentration supérieure à 1000 ng/mL dans les urines peut entraîner un contrôle positif. En dehors de ces cas, son usage est considéré comme une infraction aux règles antidopage.
Des effets ergogènes discutés
Des études récentes montrent que le salbutamol peut avoir un effet ergogène, c’est-à-dire améliorer les performances, chez les individus non asthmatiques. Selon une méta-analyse publiée dans le British Journal of Sports Medicine, il existe un gain moyen de 5 % sur les performances anaérobies après administration orale chez des adultes en bonne santé. D’autres recherches confirment une augmentation de la force musculaire et une réduction de la masse grasse, ce qui peut expliquer l’intérêt de certains coureurs pour cette molécule.
Mais toutes les recherches ne vont pas dans le même sens. Une étude publiée fin 2024 sur Nature.com a observé que l’inhalation de salbutamol, même à forte dose, n’améliorait pas significativement les performances d’endurance. En revanche, elle pouvait modifier la fonction cardiaque à l’effort, notamment chez les femmes. Une autre étude publiée dans ERS Publications en 2023 a mis en évidence un effet spécifique du salbutamol sur la composition corporelle, induisant une forme de « maigreur fonctionnelle » chez les athlètes bien entraînés.
Des effets secondaires non négligeables
Malgré son image anodine, l’usage détourné de la Ventoline n’est pas sans risque. Accélération du rythme cardiaque, troubles électrolytiques, baisse de la vigilance et surtout complications rénales en cas de déshydratation : ces effets peuvent mettre la santé du traileur en danger, surtout lors d’efforts prolongés et répétés.
En croyant s’accorder un coup de pouce “inoffensif”, certains coureurs franchissent une ligne rouge, souvent sans même s’en rendre compte. Car si l’automédication répond à une volonté de performance ou de gestion de la douleur, elle reste une solution court-termiste qui peut se retourner contre l’athlète.
Cette tendance à l’automédication dopante, même à petite dose, questionne l’éthique du sport amateur. Elle traduit un glissement de plus en plus fréquent vers une culture de la performance à tout prix, où l’esprit du trail – dépassement de soi, connexion à la nature, humilité – se heurte à des pratiques médicales dévoyées. Loin d’être anecdotique, ce phénomène mérite d’être mis en lumière et débattu, pour que le trail reste un sport d’endurance, pas une course pharmaceutique.
Sources principales
- P. Pardet et al., Science & Sports, 2017 – Automédication au Grand Raid
- Nature – Ventricular function & salbutamol (2024)
- ERS – Salbutamol et modification corporelle (2023)
- News Medical – Effets ergogéniques des bronchodilatateurs
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Cet article est publié à titre informatif et journalistique. Il ne constitue en aucun cas un avis médical ou une incitation à l’automédication. En cas de doute ou de problème de santé, consultez toujours un professionnel de santé qualifié.