Un projet « human-powered » traversant la moitié d’un continent, raconté depuis l’Amérique du Nord avec ses codes, ses unités et ses distances. Vu d’Europe, on a souvent l’impression d’être en retard ou de rater des morceaux. En réalité, tout s’explique par la manière dont l’histoire est structurée, par le décalage horaire, et par la façon dont sont présentées les données. Voici un mode d’emploi clair pour tout remettre d’aplomb.
Les chaussures utilisées par Kilian Jornet
Les chaussures utilisées par Kilian Jornet
Personne ne comprend rien à States of Elevation parce que : décalage horaire + unités de mesure + vocabulaire + projet + suivi compliqué
L’horloge et la narration : le duo qui nous perd
Le premier filtre, c’est l’heure. Quand Kilian évolue dans le Colorado, l’heure locale est 8 heures en retard sur l’heure de Paris (été). Concrètement :
- 6 h du matin là-bas = 14 h à Paris ;
- 20 h là-bas = 4 h du matin chez nous.
Ce simple décalage crée déjà un déphasage de lecture. Mais l’essentiel est ailleurs : Kilian ne raconte pas son projet au jour le jour. Il travaille par « chapitres », c’est-à-dire des blocs de plusieurs journées qui forment une unité cohérente (itinéraire, météo, logique d’enchaînement). Il commence tôt, finit parfois de nuit, et publie seulement quand il estime qu’un chapitre est bouclé — avec un titre souvent poétique. Résultat : vu d’Europe, les informations arrivent naturellement avec 24 à 48 heures de retard. Ce n’est pas du silence radio : c’est un choix narratif. On ne suit pas un feuilleton quotidien, on lit des chapitres.
Cette logique a une vertu : elle évite le saupoudrage d’infos incomplètes. En échange, elle nous oblige à accepter un rythme de lecture décalé, et à replacer chaque publication dans un ensemble plus large que la “journée du mardi”.
Où sont les infos… et pourquoi elles semblent « maigres » à première vue
Quand un chapitre sort, l’essentiel paraît en même temps :
- sur Instagram (compte perso de Kilian et marque NNormal) : texte court, photos, synthèse chiffrée ;
- sur Strava : la ou les activités correspondantes, mises en ligne au même moment.
Pourquoi alors a-t-on l’impression qu’il « manque des détails » ? Parce que chaque publication n’est accompagnée que d’un petit paragraphe narratif, chiche en détails. La compréhension fine (heures exactes de passage, micro-choix d’itinéraire, vitesses, pauses réelles) suppose d’analyser les fichiers GPS. Ces fichiers sont riches, mais ils demandent du temps : il faut les ouvrir, les croiser, reconstituer une logique quand les activités s’étalent sur plus de 24 heures. Autrement dit : l’information brute est là, mais l’explication exige une mise en forme.
Les unités : remettre tout le monde dans la même langue
Le deuxième grand piège, ce sont les unités. Entre système impérial et système métrique, c’est facile de se mélanger les pinceaux. Pour lire sans se tromper, il faut se mettre d’accord sur une langue commune :
- Altitudes : Elles sont exprimées en feet (ft) ou en mètres. Pour la conversion : 1 000 ft ≈ 305 m.
Exemple : 14 000 ft = 4 267 m (c’est l’idée de fourteener). - Distances : Elles sont exprimées en miles (mi) ou en kilomètres. Pour la conversion : 1 mi ≈ 1,6 km.
Exemple : 62 mi = ~100 km. - Durées : deux horloges cohabitent pour une même activité.
- Elapsed time (temps total) : du départ à l’arrivée, pauses comprises. C’est la mesure qui décrit le vécu et la fatigue. C’est le temps que Kilian communique.
- Moving time (temps en mouvement) : uniquement quand ça avance. Utile pour la performance (vitesses, VAM, allures), mais moins représentatif de l’effort global. C’est le temps qui peut apparaitre sur Strava.
- Étendue temporelle : certaines activités débordent 24 h ou cumulent des changements de fuseaux (ce sera surtout vrai plus tard dans le projet). Cela complique la lecture « jour par jour » si l’on ne prend pas le temps de bien remettre les pendules à l’heure.
- Un même chapitre combine plusieurs activités : trail, alpinisme, vélo, re-alpinisme, re-vélo. Si on ne met pas tout cela sur une carte, on peut se mélanger facilement.
- Nombre de fourteeners : même là, les chiffres prêtent à discussion. La liste dite « de référence » retient les sommet(s) “ranked” (proéminence ≥ 300 ft). On arrive alors à 66 sommets (53 au Colorado, 12 en Californie, 1 dans l’État de Washington). Certaines variantes médiatiques ajoutent des sous-sommets moins proéminents et font grimper le total : d’où des totaux divergents dans la presse. Pour garder de la clarté et de la comparabilité, il vaut mieux s’en tenir à 66.
Les mots qui déconcertent
Si le vocabulaire de la montagne n’est déjà pas le même en français entre les grimpeurs, les traileurs, les alpinistes, les français, les suisses et les belges, c’est encore pire quand on rajoute le jargon américain. Voici quelques définitions utiles :
- Fourteener : sommet de plus de 14 000 ft (≈ 4 300 m).
- Lower 48 : les 48 États continentaux des États-Unis (hors Alaska et Hawaï).
- Ranked summit : sommet indépendant, avec proéminence ≥ 300 ft.
- Human-powered : à pied et à vélo uniquement, sans motorisation entre les sommets.

En Europe, Cervin, Mont Blanc ou Eiger activent instantanément des images : faces, arêtes, histoires. Aux États-Unis, beaucoup de sommets n’ont pas ce capital mental chez nous. Dire Grays Peak, Torreys Peak, Mount Elbert ou Mount Shasta ne déclenche pas grand-chose si l’on n’a jamais mis le nez dans la toponymie locale.
Pire : certains ensembles portent des noms qui prêtent à confusion. Exemple parlant : les “sommets universités” des Collegiate Peaks dans le Colorado — Mount Harvard, Mount Yale, Mount Princeton, Mount Columbia, Mount Oxford. Pour un lecteur européen, on dirait une liste d’établissements scolaires… pas une chaîne de montagnes. Résultat : on décroche plus vite, faute de repères symboliques. L’un des objectifs de notre suivi est donc de recontextualiser chaque nom (altitude, massif, voisinages, petites histoires) afin que ces toponymes deviennent, eux aussi, des images.
Le gigantisme du projet : une échelle continentale
Au-delà des chiffres techniques, ce qui complique la lecture depuis l’Europe, c’est la dimension géographique. Kilian n’évolue pas sur un massif compact comme les Alpes ou les Pyrénées, mais sur un territoire de taille continentale.
- Les 66 sommets sont dispersés sur trois États américains : 53 au Colorado, 12 en Californie, 1 dans l’État de Washington.
- Pour passer de l’un à l’autre, il ne suffit pas de changer de vallée : ce sont souvent des centaines, voire plus de mille kilomètres de vélo.
- Exemple concret : le transfert Colorado → Californie représente près de 1 600 km à vélo. C’est l’équivalent d’un Paris → Varsovie ou d’un Lyon → Séville sans moteur.
Même à l’intérieur d’un seul État, les distances sont démesurées. Le Colorado, par exemple, fait deux fois la superficie de l’Angleterre. Rejoindre un nouveau groupe de sommets, c’est parfois traverser l’équivalent de plusieurs pays européens. Ce gigantisme rend le récit difficile à appréhender : on a tendance, depuis l’Europe, à penser en échelles « alpines » (quelques dizaines de kilomètres entre deux massifs). Ici, la logique est tout autre : chaque transition est déjà une aventure.
Comment le suivre soi-même (et pourquoi Utrail rend ça plus simple)
Pour ne pas se perdre :
- Sources : @kilianjornet et @nnormal sur Instagram, plus son compte Strava.
- Repères horaires : guetter les posts vers 17 h, heure française.
- Unités : traduire systématiquement ft → m, mi → km, privilégier le temps total.
- Liste de référence : s’en tenir aux 66 sommets ranked.
Mais soyons honnêtes : pour un lecteur européen, ce suivi reste chronophage et technique. C’est pourquoi uTrail fait le travail de conversion et de décryptage : replacer chaque étape dans nos repères (heures de Paris, kilomètres, mètres), expliquer le temps total, vous présenter les sommets et rappeler la logique de la liste des 66. En clair, rendre lisible au quotidien un projet pharaonique qui devrait marquer l’histoire du trail et de l’alpinisme mondial.