Et si la surenchère de kilomètres disait autant quelque chose de l’ego des organisateurs que de notre époque ?
Les ultra-trails de 80 à 100 kilomètres ne font plus vraiment rêver comme avant. Dans un calendrier saturé, où les courses se multiplient et se ressemblent, les organisateurs cherchent désormais à se distinguer autrement. Pour attirer l’attention, séduire des coureurs en quête de sensations extrêmes et exister médiatiquement, ils misent sur des formats toujours plus longs, plus radicaux, parfois totalement hors normes. Derrière cette inflation des distances, il n’y a pas seulement l’amour du sport ou de l’aventure. Il y a aussi des enjeux de prestige, de visibilité… et parfois une bonne dose d’ego.
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Pourquoi ces organisateurs d’ultra-trails assument de vouloir aller toujours plus loin
Les ultra-trails de 100 kilomètres étaient autrefois l’exception. Aujourd’hui, ils sont devenus presque ordinaires dans certains circuits. À l’inverse, les formats de 200, 250, 300, voire 600 kilomètres émergent partout en Europe. L’Euphoria aux Canaries, l’Infernal 200, la Chartreuse Terminorum, le Montane Spine Race au Royaume-Uni, ou encore La Jurassienne et ses 300 kilomètres en relais lancée par l’UTMJ. Le phénomène n’est plus marginal, il est structurel.
À force de vouloir se démarquer, les organisateurs repoussent volontairement les standards. Ils savent qu’une course de plus de 200 kilomètres attire immédiatement l’attention, suscite des discussions, des débats, parfois des polémiques. Et dans un monde du trail de plus en plus concurrentiel, cette visibilité devient une arme stratégique.
« Ils veulent avoir la plus grosse » : l’ego comme moteur assumé
La formule fait sourire, mais elle décrit très bien ce qui se joue en coulisses. De nombreux organisateurs, y compris à l’échelle locale, rêvent de créer « le trail le plus long de France », « l’épreuve la plus dure d’Europe », ou encore « le 100 miles avec le plus de dénivelé du pays ». L’objectif n’est pas seulement sportif. Il est symbolique.
Dans les échanges privés, certains l’admettent sans détour. Un ultra de 70 kilomètres passe inaperçu. Un 300 kilomètres fait parler. Il génère des articles, des partages sur les réseaux sociaux, une image de défi hors du commun et un storytelling puissant autour de la souffrance, de l’endurance et du dépassement de soi. Comme le résumait crûment un ancien organisateur : « On s’en fout de faire une course équilibrée. On veut que ça fasse fantasmer. »
Les organisateurs ne subissent pas la tendance, ils l’exploitent
Cette fuite en avant ne tombe pas du ciel. Les organisateurs savent parfaitement dans quel écosystème ils évoluent. Réseaux sociaux, Strava, vidéos YouTube de finishers hagards, podcasts glorifiant l’extrême… Tout valorise aujourd’hui les formats démesurés. Proposer une distance hors normes, c’est s’assurer une visibilité quasi automatique dans les cercles de l’ultra-trail.
En créant des épreuves toujours plus longues, les organisateurs nourrissent aussi cette culture du “toujours plus”. Ils conçoivent des courses pensées pour le récit, pour l’image, pour l’exploit racontable. Dans ce contexte, une course plus courte, même exigeante, devient presque invisible. Le gigantisme devient alors un levier marketing assumé.
Mais cette course au gigantisme pose de vraies limites
Cette escalade des distances n’est pas sans conséquences. Pour les coureurs d’abord. Allonger les formats signifie plus de fatigue, plus de risques de blessures, une charge mentale accrue, des préparations longues et parfois incompatibles avec une vie professionnelle ou familiale classique. Sans parler des coûts logistiques, du matériel, de l’assistance et du temps nécessaire pour s’aligner sur ce type d’épreuves.
Pour les organisateurs eux-mêmes, le pari est loin d’être gagné. À force de proposer des formats toujours plus extrêmes, certaines courses deviennent élitistes, voire confidentielles. Beaucoup peinent à remplir leurs dossards, d’autres sont contraintes de revoir leurs ambitions ou d’annuler faute de moyens humains et logistiques suffisants.
Et si le vrai courage des organisateurs était désormais ailleurs
Face à cette inflation des distances, certaines voix appellent à un retour à l’essentiel. Courir 40 ou 50 kilomètres en nature peut déjà être une aventure humaine intense, sans chercher à repousser indéfiniment les limites physiques. Du côté des organisateurs, il est aussi possible de construire une identité forte sans tomber dans l’escalade kilométrique : un tracé intelligent, une ambiance unique, un ancrage territorial, une démarche éthique ou environnementale assumée.
L’avenir de l’ultra-trail ne passera peut-être pas par le “plus long”, mais par le “plus juste”. Celui qui respecte les corps, les bénévoles, les territoires et le sens que chacun veut donner à sa pratique. Et si, finalement, le vrai courage aujourd’hui, c’était d’organiser un 50 kilomètres avec conviction. Ou de courir une distance raisonnable avec le cœur, plutôt qu’avec l’ego.





