Ecouter cet article sur les critiques du trail
Ils s’appellent Le Monde, Reporterre, ou d’autres. Ils se réclament du journalisme, engagé, souvent étiqueté à gauche. Et depuis quelques mois, un sport qu’on croyait en dehors des clivages se retrouve dans leur viseur : le trail. Accusé d’être trop polluant, trop dopé, trop élitiste. Mais pourquoi ce sport de montagne, censé être simple, humble et proche de la nature, concentre-t-il autant de critiques venues de la gauche intellectuelle ?
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Le trail, un sport qui séduit les CSP+, donc un sport de classe
Avant d’analyser les critiques, il faut comprendre ce que représente le trail socialement. Depuis une dizaine d’années, cette discipline a explosé en France. Et pas dans n’importe quelles catégories : les pratiquants réguliers sont très majoritairement issus des classes moyennes et supérieures, diplômés, cadres, profs, ingénieurs, vivant plutôt en zone périurbaine ou montagnarde.
Ce profil n’est pas neutre.
Dans l’imaginaire de la gauche critique, ces catégories sociales sont vues comme les nouveaux dominants, porteurs d’un capital culturel élevé, souvent écolos dans le discours, mais consommant comme les autres — voire plus.
D’où ce soupçon récurrent : le traileur serait ce bourgeois qui fait du sport pour mieux montrer sa supériorité morale et physique, mais dont les actes contredisent les valeurs affichées.
C’est là que le bât blesse : le trail a été porté par un discours de sobriété, d’authenticité, de lien avec la nature.
Or, aux yeux des médias de gauche, cette narration ne tient plus. Le traileur qui prend l’avion pour aller courir en Jordanie, au Maroc, aux Etats-Unis ou à La Réunion incarne une forme d’hypocrisie bien connue : celle du « consommateur éthique », qui veut du sens, mais pas au prix du confort.
La critique écologique : un révélateur de dissonance
Les critiques sur le tourisme sportif, les dossards à l’autre bout du monde, les « stages trail » au Kenya ou au Pérou, ne sont pas nouvelles. Mais leur résonance récente vient du fait qu’elles s’inscrivent dans une séquence politique plus large.
Dans un monde en crise écologique, où les mobilités carbonées sont de plus en plus surveillées, le traileur globe-trotter devient un symbole paradoxal : celui qui détruit ce qu’il prétend aimer.
Pour une partie de la gauche écologique, cela cristallise une tension profonde : celle entre le discours sur la nature (respect, préservation, connexion) et les pratiques réelles (consommation, conquête, performance). Et cette tension est d’autant plus choquante que le trail, par son image « roots », est censé y échapper.
La critique, ici, est presque morale. Elle ne vise pas seulement des faits (le CO₂ émis, les sentiers érodés), mais un décalage perçu entre les valeurs affichées et les actes.
Le traileur devient un avatar de cette société qui dit vouloir changer, mais qui continue à agir comme avant — version Patagonia et sac à dos ultra light.
Le dopage : révélation d’un modèle sacrificiel
L’autre angle d’attaque majeur vient de la santé : le dopage et l’usage massif de médicaments. L’étude citée par Le Monde, avec un traileur sur deux sous substances actives à l’UTMB, fait mal. Car elle casse le mythe d’un sport « propre », « authentique », « hors système ».
Mais ce que cette critique révèle surtout, c’est un rapport sacrificiel au corps. Le trail extrême valorise la douleur, l’abandon de soi, la souffrance maîtrisée. Pour une certaine gauche attachée à la santé publique, au bien-être, à la lutte contre la logique productiviste appliquée aux corps, cela devient insupportable.
On retrouve ici une critique plus large du modèle de l’hyper-performance : le traileur devient un travailleur qui pousse son corps à bout, pour le plaisir, mais avec des mécanismes similaires à ceux de la société capitaliste qu’il prétend fuir.
Le dopage, dans cette lecture, n’est pas une tricherie individuelle, mais un symptôme collectif d’un système qui valorise l’excès, même dans la nature.
Pourquoi ces critiques viennent-elles de la gauche ?
Parce que la gauche, du moins dans sa version écologiste et intellectuelle, s’est construite depuis 20 ans sur la déconstruction des récits dominants : celui de la croissance, de la performance, de la mobilité infinie.
Elle traque les incohérences entre les discours et les actes. Et elle se méfie des « privilèges cachés », même dans les loisirs.
Le trail, qui se présente souvent comme « hors système », est donc une cible logique. Il concentre tous les marqueurs de la modernité paradoxale : nature + technologie, dépense physique + consommation, quête de sens + pollution, individualisme + communauté, sobriété + ultra-performance.
Il faut ajouter que cette critique est aussi possible parce que le trail est encore un sport assez homogène socialement : peu de diversité, peu de mixité, peu d’accès populaire. Cela le rend vulnérable aux attaques sur son élitisme implicite.
Critique justifiée ou caricature ?
Alors, la gauche a-t-elle raison de taper sur le trail ? En partie, oui.
Sur le plan écologique
Il est clair que certaines pratiques sont difficiles à défendre. Le recours à l’avion pour des courses ou des stages à l’autre bout du monde, la multiplication d’épreuves à fort impact environnemental, ou encore les produits dérivés à usage unique posent de vraies questions.
Sur la santé
Le recours aux médicaments est préoccupant. Il révèle un rapport au corps parfois excessif, une normalisation de la douleur, et un culte de la performance qui détonne avec l’image “nature” du trail.
Sur la marchandisation du sport
Le trail n’échappe pas à la logique du sport-business. Entre les dossards hors de prix, les équipements techniques toujours plus chers, les courses labellisées vendues comme des produits d’appel, et la récupération marketing des grandes marques, il devient parfois difficile de distinguer la passion de l’industrie. Le risque, c’est que la pratique perde son âme et que le trail devienne un produit de luxe réservé à une élite.
Mais il ne faut pas non plus sombrer dans la caricature. Toutes les pratiques ne se valent pas. Tous les traileurs ne prennent pas l’avion. Toutes les marques ne sont pas cyniques. Tous les événements ne sont pas des machines à cash. Il existe encore, et heureusement, un trail sincère, local, solidaire. Et c’est celui-là que beaucoup d’entre nous vivent au quotidien.
Le trail est aujourd’hui face à sa propre légende
Si les médias de gauche critiquent le trail, ce n’est pas parce qu’ils détestent la course en montagne. C’est parce qu’ils y voient le reflet de toutes les contradictions de notre époque : la transition écologique au rabais, les inégalités d’accès au loisir, le mythe de l’individu tout-puissant, et la marchandisation des espaces naturels.
Le trail ne mérite ni lynchage médiatique, ni aveuglement communautaire. Il mérite mieux : une introspection. Une capacité à assumer ses tensions, à écouter les critiques, et à retrouver ce qui faisait sa force initiale — la liberté, la sobriété, et la joie simple de courir dehors.
Et nous, pourquoi on aime le trail, malgré tout ça ?
Les dérives du trail n’enlèvent rien à sa beauté.
Elles nous forcent à réfléchir, à choisir mieux, à faire notre part. Mais elles ne nous empêchent pas d’aimer profondément ce sport, avec ses contradictions, ses vertus, ses excès, et cette magie unique qu’il continue de faire naître en nous.
Parce qu’on est lucides… mais pas cyniques. Oui, on voit les incohérences. Oui, on sait que l’empreinte carbone d’un ultra à l’étranger est difficile à justifier. Oui, on comprend que le trail peut flirter avec le marketing de la souffrance. Mais malgré tout, on l’aime. Parce qu’il y a une vérité dans l’effort. Une beauté dans la douleur choisie. Une noblesse dans l’entraînement et dans la progression. On aime ce que notre corps nous raconte quand il va loin, quand il avance pour lui, pas pour les autres.
On aime les histoires. Celles de Kilian Jornet, tout en haut. Celles de Mathieu Blanchard quand il perd un poumon sur la Yukon. Celles de Casquette Verte, qui fait exploser les formats. Celles de Clemqucourt, qui court avec le cœur et rien d’autre. Ce sont de vraies histoires, des trajectoires humaines qui nous inspirent, bien au-delà des podiums.
Oui, on aime s’équiper. On aime la dernière paire de chaussures, la montre ultra précise, les chaussettes qui ne frottent pas. On aime se faire plaisir, tester, comparer, partager. Parce que le trail, c’est aussi une culture, un langage, une manière d’habiter son temps libre. On aime les paysages, ceux qui nous arrachent un “wow” même quand on a plus de jambes. On aime cette ligne de départ où tout le monde est tendu, rassemblé, à égalité face à l’inconnu.
Alors non, on ne demande pas qu’on nous laisse tranquille. Mais qu’on nous comprenne. Aimer le trail, ce n’est pas fuir la société — c’est chercher un espace en dehors de ses codes. Aimer le trail, c’est aimer un sport imparfait — comme nous tous. Et c’est justement parce qu’on l’aime qu’on veut l’interroger, l’améliorer, le protéger.
Beaucoup de traileurs sont sincères, modestes, engagés localement.
Le trail, dans sa version non commerciale, reste un vecteur de lien social, d’émancipation, de découverte. Et il existe une infinité de pratiques — du 10 km nature au 200 miles avec assistance — qu’on ne peut pas réduire à une seule image.
Ce que ces critiques révèlent, en réalité, c’est notre malaise collectif face à la nature devenue produit. Le trail est simplement en première ligne de ce conflit intérieur : vouloir la montagne sans quitter la ville ; vouloir la nature mais la connecter à sa montre GPS ; vouloir la lenteur tout en traquant les records personnels. Et si cette tension est inconfortable, c’est aussi parce qu’elle nous touche au plus profond.
Sources
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Méta-description : Pourquoi les médias de gauche s’en prennent-ils au trail ? Cet article propose une analyse sociologique et lucide des critiques récurrentes sur l’écologie, le dopage, le consumérisme… sans renier la beauté de ce sport que nous aimons tant.
uTrail n’appartient à aucun parti politique, ne défend aucun camp, et se contente d’observer, de questionner et d’analyser l’actualité du trail avec indépendance.