Avec le nouveau PPS, la FFA s’impose de force au milieu du game
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Un paysage sportif profondément transformé
Pendant des décennies, l’athlétisme français s’est organisé autour d’un modèle classique : la piste, les compétitions officielles, les clubs, un calendrier pyramidé allant du départemental au national. Les disciplines techniques (sauts, lancers, sprint, demi-fond) structuraient l’identité de la Fédération Française d’Athlétisme (FFA), et la course hors-stade ne représentait qu’un territoire périphérique. Il suffit de se rendre à une réunion d’une délégation régionale de la FFA pour percevoir encore aujourd’hui le poids de cette organisation d’un autre temps.
Si on y entend souvent que « l’athlétisme, c’était mieux avant », la pratique qui rassemble aujourd’hui le plus de Français n’est plus celle qui se déroule dans un stade. Le running, le trail, les courses festives, les marathons et les épreuves d’endurance longue connaissent une expansion constante depuis quinze ans. Plus d’un million de personnes prennent chaque année un dossard sur une épreuve d’endurance. Les grandes organisations privées – UTMB Group, ASO, Ironman – ont bâti des écosystèmes cohérents, captant l’attention, les données et les flux économiques de millions de pratiquants.
Dans le même temps, les disciplines traditionnelles de l’athlétisme progressent peu. Le recrutement y est plus difficile, la médiatisation plus faible, le recrutement d’arbitres difficile et la formation d’entraîneurs qualifiés plus complexe. Ce décalage entre dynamisme du running et stagnation des disciplines historiques a fini par créer un état de fait : la FFA n’est plus au centre de la pratique qui rassemble le plus de monde.
Et ce constat ne convient visiblement pas du tout à la FFA. Alors comment est-ce qu’une fédération délégataire, ayant le statut d’association, historiquement structurée depuis 1920 autour des mêmes disciplines, peut-elle redevenir un acteur incontournable dans un univers dominé par des acteurs privés et par la pratique loisir ?
Un marché dominé par des acteurs privés
Dans la course à pied, la structuration du marché a évolué à toute allure en quelques années. Certaines entreprises ont construit un modèle intégré : organisation d’épreuves, plateformes numériques, systèmes d’abonnement, exploitation de données, coaching, gamification. UTMB Group fédère des milliers de coureurs sur des dizaines de courses et produit son propre classement international. Strava compte plusieurs millions d’utilisateurs en France et exploite des teraoctets de datas de course. Des applis de coaching comme RunMotion développe des algorithmes à forte valeur ajoutée capable de remplacer efficacement un coach.
Ces acteurs disposent d’un avantage compétitif majeur : ils ont su capter depuis longtemps les usages numériques, les communautés et les modèles d’abonnement, bien avant la fédération. Ils se sont positionnés là où se formait la valeur : la donnée, l’accompagnement individualisé, l’organisation d’événements premium, le suivi de performance en continu.
La FFA, au contraire, a été en grande partie cantonnée aux compétitions fédérales, aux clubs historiques, et à un modèle institutionnel de gestion du haut niveau. Dans ce contexte, les difficultés financières récentes de l’association – déficits importants, audits, charges non anticipées – ont renforcé la pression pour trouver un modèle de fonctionnement plus solide. Le cœur d’un dynamisme économique majeur échappe à la fédération, alors même que le running devient un marché structuré, concurrentiel, et fortement professionnalisé.
Le retour d’une stratégie fédérale : redevenir incontournable
Face à cette redistribution du paysage, la FFA « renforce sa stratégie running » pour reprendre place au centre de la course à pied. C’est explicite dans son communiqué du 14 novembre « La FFA réaffirme son ambition : devenir l’acteur de référence du running en France, en matière d’accompagnement, de prévention et de sécurisation de la pratique. » Cette stratégie s’appuie sur plusieurs leviers.
Le pouvoir réglementaire d’une fédération délégataire
La FFA possède un attribut décisif : son statut de fédération délégataire lui confère des prérogatives réglementaires que n’ont pas les acteurs privés. Elle peut décider d’instaurer de nouvelles règles auquel tout le monde devra obligatoirement se plier. Les organisateurs de courses qui pouvaient encore organiser des petits événements dans leur coin doivent de plus en plus effectuer une déclaration auprès d’elle (sur le site CALORG) ; les préfectures s’appuient de plus en plus sur l’autorisation donnée par la fédération pour valider les dossiers administratifs ; les clubs et entraîneurs relèvent de son cadre de certification. Et les coureurs qui pouvaient encore récemment fournir un certificat médical directement à l’organisateur d’une course, se voient désormais obligés de passer par la FFA.
Le Pass Prévention Santé : un outil d’engagement annuel
La transformation du certificat médical en Pass Prévention Santé (PPS) s’inscrit dans cette logique.
Le contenu médical n’évolue pas, mais la structure change profondément :
- passage à un système annuel et centralisé,
- montant forfaitaire de 5 €,
- obligation pour les mineurs comme pour les majeurs,
- bascule vers un support numérique unique,
- intégration annoncée à un environnement fédéral plus large.
Ce Pass ne constitue pas réellement un dispositif sanitaire nouveau, ou un vrai progrès en termes de sécurité, mais ressemble à un très bon moyen d’instaurer un contact récurrent entre la fédération et tous les coureurs engagés dans la compétition. Il représente aussi une base de données unifiée des pratiquants, jusque-là éclatée entre les clubs, les organisateurs et les plateformes privées. La dimension économique n’est pas anecdotique : le nombre de coureurs concernés est considérable, et la fréquence annuelle garantit des recettes régulières de plusieurs millions d’euros, qui manquent aux caisses de la FFA.
DataRunning : mettre la main sur les données de performance
Le communiqué de la FFA annonce également une nouvelle plateforme numérique, DataRunning, visant à rassembler les performances, les profils, et l’évolution des coureurs. L’objectif est de créer un environnement numérique attractif et structurant, capable de concurrencer les applications déjà présentes sur le marché.
L’enjeu dépasse la simple interface. En récoltant les données de courses de millions de participants, cela permettrait de consolider un patrimoine de données qui représente, à long terme, une ressource stratégique. Les données sportives sont au cœur du modèle économique actuel : elles permettent de comprendre les pratiques, d’affiner les offres, d’alimenter le coaching et de renforcer l’écosystème fédéral.
Calorg et la centralisation des déclarations d’épreuves
La refonte annoncée de la plateforme Calorg va dans le même sens. Les organisateurs devront probablement de plus en plus déclarer leurs courses via un outil unique, modernisé, permettant à la FFA d’avoir une vision exhaustive du territoire et de ses événements. Les préfectures, selon les départements, poussent déjà en ce sens. Par ailleurs, pour chaque participant à une course, l’organiseur reverse une somme à la FFA, ce qui renforce l’intérêt de centraliser les démarches.
À travers Calorg, la fédération devient progressivement l’interface de référence pour toute organisation de course à pied en France, qu’elle soit fédérale ou non. L’objectif est de structurer administrativement le secteur et de réduire l’espace laissé aux initiatives isolées ou aux plateformes concurrentes.
Une stratégie élargie : licences, avantages, coaching, formation
La volonté de reprendre position au centre du running ne repose pas uniquement sur des obligations. Elle s’appuie sur un ensemble de mesures qui transforment progressivement le paysage.
La segmentation des licences
Depuis plusieurs saisons, la FFA a développé de nouveaux types de licences : Athlé Running, Athlé Santé, Athlé Découverte, Athlé Entreprise. Cela a eu pour effet d’attirer de plus en plus de personnes à ses licencier auprès de la fédération en attirant des pratiquants qui n’auraient jamais pris une licence de club traditionnelle.
On l’a vu, les deux dernières saisons ont enregistré les plus grands nombres de licenciés depuis la création de la FFA. Cela crée un bassin fédéral plus large et plus représentatif de la pratique réelle du running.
Les avantages offerts aux licenciés dans les courses non fédérales
De plus en plus de courses et d’organisateurs proposent des inscriptions anticipées ou des réductions tarifaires pour les licenciés FFA. Ce mouvement est encore marginal mais il se développe, et signale un changement culturel : la fédération devient un partenaire utile pour accéder aux grandes courses hors-stade. Dans l’avenir, il faudra peut-être prendre une licence si on souhaite augmenter ses chances de participer à tel ou tel événement.
Ces avantages donnent une valeur concrète au statut fédéral au-delà du cadre club, et renforcent l’attractivité des nouvelles licences.
L’entrée dans le coaching et le numérique
La production de contenus de coaching santé et performance, annoncée dans le communiqué fédéral, élargit encore le périmètre d’action. La FFA ne se contente plus d’être une instance administrative : elle devient un fournisseur de contenus d’accompagnement pour les pratiquants. Si l’on a actuellement aucune information sur ce que cette production va représenter, cela pourrait placer la FFA directement sur le terrain de Strava, RunMotion, Nike Run Club ou ASICS Training.
Une structuration nationale de la formation des entraîneurs running
L’annonce d’un encadrement renforcé des entraîneurs running s’inscrit dans une démarche de professionnalisation.
L’objectif affiché est d’homogénéiser les compétences sur le territoire, d’assurer un niveau de qualité cohérent, et de proposer un encadrement identifié à la fédération. Mais aussi potentiellement de ramener dans le giron de la FFA tous les coachs privés hors clubs. Cette politique s’aligne avec la volonté de devenir l’acteur de référence du coaching grand public.
Conclusion : une recomposition du paysage de la course à pied
Le running français est en pleine mutation. La pratique se massifie, les acteurs privés se structurent, et les coureurs choisissent leurs outils et leurs organisations en fonction de leurs usages, non d’un cadre fédéral. Dans ce contexte, la FFA déploie une stratégie de repositionnement qui ne relève ni d’un mouvement ponctuel ni d’une simple logique administrative.
C’est une politique d’ensemble qui touche la relation aux coureurs, aux organisateurs, aux données, au coaching et aux entraîneurs. Elle mobilise les prérogatives réglementaires d’une fédération délégataire, mais aussi une volonté affirmée d’occuper l’espace numérique et organisationnel laissé ouvert depuis une décennie.
Le Pass Prévention Santé, la centralisation des courses et le développement d’outils numériques prennent lorsqu’on les replace dans ce tableau : une recomposition du rôle fédéral dans un secteur qui a longtemps évolué plus vite que ses institutions, une FFA qui s’impose dans le game aux forceps.
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