Virilisme et trail
Le trail running est souvent perçu comme un retour à la nature, une quête de dépassement de soi. Cependant, derrière cette image se cache parfois une culture viriliste, valorisant la souffrance, la performance extrême et une certaine forme de masculinité toxique.
Matériel de trail d’occasion entre passionnés
La glorification de la souffrance
Dans le trail, il n’est pas rare d’entendre des récits exaltant la douleur endurée, les blessures surmontées ou les conditions extrêmes affrontées. Cette valorisation de la souffrance physique est souvent associée à une conception viriliste de la performance, où l’endurance et la résilience sont érigées en vertus masculines.
Selon une étude publiée dans le Journal of Sport and Social Issues, cette glorification peut renforcer des stéréotypes de genre, en associant la capacité à endurer la douleur à la masculinité, et en marginalisant ceux qui ne se conforment pas à cette norme .
L’alcool comme code viriliste du dépassement
Dans certaines épreuves de trail ou de course longue comme le Marathon du Médoc ou le Marathon du Beaujolais, l’alcool – en particulier la bière ou le vin – est présenté comme une récompense “méritée” après l’effort. Cette mise en scène n’est pas neutre. Elle réactive des codes très masculins : l’endurance, la douleur assumée, le relâchement par l’alcool, l’idée qu’un “vrai bonhomme” ne se plaint pas, il boit une bière.
Ce type de représentation aligne la performance physique sur une forme de virilité classique :
– je cours fort,
– je souffre en silence,
– et je bois à la fin,
comme une façon de prouver que je tiens le choc, physiquement comme socialement.
C’est aussi une manière d’afficher une maîtrise de soi paradoxale : « je peux me permettre de picoler, car je reste performant ». Dans les discours, cela devient même une forme de fierté, comme si boire et courir en même temps prouvait une supériorité physique.
Cette image viriliste est tellement ancrée qu’il est quasiment impensable de voir une femme lever une pinte de bière XXL à l’arrivée d’un trail, encore moins s’en vanter devant les caméras. Non pas par manque de goût ou d’humour, mais parce que les femmes, dans le sport, sont rarement autorisées culturellement à afficher l’excès ou la désinvolture. Ce double standard renforce encore l’idée que l’alcool fait partie d’un imaginaire masculin du dépassement, où se détruire un peu devient glorieux.
Des observateurs comme Addictions France y voient une banalisation risquée, surtout chez les jeunes sportifs influencés par ce modèle. Elle contribue à normaliser l’idée que la consommation d’alcool fait partie du sport, alors que cela va à l’encontre de toute logique de santé publique — et contrevient à l’esprit même de la loi Evin.
Une participation féminine entravée, mais des avancées notables à l’UTMB
La culture viriliste du trail peut dissuader la participation des femmes. Une étude de SheRACES a révélé que 72 % des femmes ont été découragées de s’inscrire à des courses en raison de préoccupations liées à la sécurité et à l’inclusivité.
Cependant, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) se distingue par ses efforts pour promouvoir l’égalité des genres dans le trail running. L’organisation a mis en place plusieurs initiatives concrètes :
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Politique de grossesse : Les athlètes enceintes, leurs partenaires ou ceux en processus d’adoption peuvent bénéficier d’un remboursement complet et d’une inscription prioritaire valable jusqu’à cinq ans pour les courses de 50K, 100K et 100M.
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Égalité des prix : L’UTMB garantit une répartition équitable des prix entre les hommes et les femmes, assurant une reconnaissance égale des performances.
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Amélioration des infrastructures : Des installations spécifiques pour les femmes, telles que des toilettes dédiées et la fourniture de produits menstruels aux postes de ravitaillement, ont été mises en place pour répondre aux besoins spécifiques des athlètes féminines.
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Initiatives locales : Des programmes comme « Women Step Up » au Trail100 Andorra by UTMB visent à encourager et à promouvoir la participation féminine dans les courses de montagne.
Ces efforts ont conduit à une augmentation progressive de la participation féminine. Par exemple, lors de l’édition 2023 de l’UTMB Mont-Blanc, la participation féminine a atteint 22 %, un chiffre en constante progression.
Bien que des défis subsistent, l’engagement de l’UTMB en faveur de l’inclusivité et de l’égalité des genres sert de modèle pour d’autres événements de trail, soulignant l’importance de créer un environnement accueillant pour tous les athlètes.
Vers une redéfinition des normes
Il est essentiel de remettre en question ces normes virilistes et de promouvoir une culture du trail plus inclusive. Cela passe par une valorisation de la diversité des expériences, une reconnaissance des performances féminines et une sensibilisation aux risques liés à la glorification de la souffrance et à la consommation d’alcool.
Des initiatives comme Trail Sisters ou SheRACES œuvrent dans ce sens, en encourageant la participation des femmes et en dénonçant les pratiques discriminatoires.
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