Entre départs sans saveur, ravitaillements saturés et croisement chaotique avec la Diagonale des Fous, une vague de témoignages critiques a émergé. Sur les réseaux sociaux, plusieurs participants du Trail du Bourbon et de la Mascareignes questionnent l’expérience qu’ils ont vécue. À travers leurs récits, une interrogation revient avec insistance : que reste-t-il de l’esprit du Grand Raid ?
Sur les sentiers de La Réunion, une fracture invisible est en train de s’ouvrir.
D’un côté, la Diagonale des Fous, portée par les caméras, les hélicoptères, les live Facebook, et des élites mondiales acclamées à chaque foulée. De l’autre, la Mascareignes et le Trail du Bourbon, qui, dans l’ombre de leur grande sœur, peinent à retrouver leur souffle.
Cette année, les coureurs du Bourbon et de la Mascareignes n’ont pas seulement affronté les sentiers, le D+, les coups de mou et la chaleur. Ils ont surtout affronté un sentiment grandissant d’oubli.
Et leurs témoignages, parfois crus, souvent lucides, racontent autre chose que la magie habituelle du Grand Raid. Ils parlent de lassitude, d’incompréhension, voire d’injustice.
Cilaos. Lieu mythique du Grand Raid. Et pourtant, au matin du Trail du Bourbon, l’ambiance était glaciale.
Pas de musique, pas de tension palpable, pas de montée d’adrénaline collective. Juste deux sas, des gradins silencieux, et une sono inaudible. « On aurait dit une course régionale », lâche un coureur. « Pas une épreuve du Grand Raid ».
Sur Facebook, Patrick, vétéran du trail avec dix Diagonales à son actif, raconte sans détour :
« C’était un parcage. Pas un départ. 160 € l’inscription, 1300 coureurs, et même pas de toilettes, sauf deux sous les gradins. Quarante-cinq minutes d’attente pour pisser. On rit ou on pleure ? »
L’un des plus gros reproches entendus cette année, c’est l’absence de ravitaillement digne de ce nom au départ.
Rien, ou presque. « Tu ne peux pas appeler ça un ravito », écrit encore Patrick. À ce prix-là, à ce niveau-là, c’est tout simplement incompréhensible. Et ce sentiment d’improvisation logistique va hanter les coureurs bien au-delà de Cilaos.
C’est au pied du col du Taïbit que tout bascule.
Après sept kilomètres de route, les coureurs du Bourbon rattrapent la Diagonale. Et là, c’est le choc. Littéralement.
Un mur humain. Des bouchons. Des files à la queue leu leu. Des coureurs frais du Bourbon, lancés plein d’énergie, face à des « fous » à bout de souffle, avec près de 100 km dans les jambes.
« C’est l’enfer », témoigne un traileur. « Tu marches pendant 20 km, impossible de courir. »
Un autre ajoute :
« J’ai essayé d’encourager chaque coureur de la Diag que je doublais. Mais autour de moi, personne ne disait rien. Certains poussaient même pour passer. C’est dangereux. Et irrespectueux. »
C’est le constat amer que font plusieurs finishers. Le manque de fluidité, le croisement hasardeux avec la Diag, les ravitos bondés, la lassitude généralisée : tout cela a transformé une épreuve mythique en randonnée de masse.
« Si tu n’es pas dans les dix premiers, tu fais du surplace », dénonce un autre coureur. « Tu ne cours plus, tu subis. Tu ne vis pas une aventure, tu fais la queue. »
Marla, Plaine des Merles, puis Savanah… Autant de points noirs où les coureurs de la Diag, du Bourbon, de la Zembrocal et parfois même de la Métis convergent. Résultat : des ravitos inaccessibles, des files interminables, des coups d’épaule, de la tension, de l’agacement.
« J’ai vu des gens abandonner juste à cause de ça », rapporte un Réunionnais. « Parce que tu arrives au ravito et que tu dois encore attendre, galérer, te battre pour une soupe. »
Le sentier du Taïbit cristallise toutes les tensions.
C’est là que le peloton du Bourbon percute de plein fouet les coureurs de la Diag, déjà usés.
La critique revient souvent. L’événement a changé de visage. Il est devenu trop gros, trop lourd, trop orienté vers l’image, les partenariats, les élites.
Et les anonymes ? Ceux qui remplissent les sentiers, qui paient, qui espèrent ? Ils se sentent de plus en plus oubliés.
« Le Grand Raid, c’est notre patrimoine », rappelle Patrick. « En 1989, c’est nous qui avons lancé l’histoire. Aujourd’hui, on nous traite comme du bétail. Plus de respect, plus de passion. »
Parmi les idées les plus partagées sur les réseaux :
– modifier les parcours pour éviter les croisements
– séparer les ravitos entre les courses
– réduire le nombre de coureurs sur certaines épreuves
– revoir les horaires de départ pour fluidifier les sentiers
Mais pour beaucoup, ces ajustements ne suffisent pas.
Ce qu’ils veulent, c’est un retour à l’esprit originel. Moins de spectacle, plus d’authenticité. Moins de saturation, plus de simplicité.
Ce témoignage d’un primo-participant est glaçant. Un rêve devenu déception. Une aventure transformée en frustration. Et ce n’est pas un cas isolé. Des dizaines de messages similaires circulent.
Il est temps d’accepter une réalité simple : le Grand Raid ne peut plus fonctionner comme un seul bloc. La Diag attire tout — les médias, les moyens, l’attention — mais elle écrase le reste. Et les épreuves satellites, qui devraient briller elles aussi, sont sacrifiées.
Un coureur le résume parfaitement : « Si vous mutualisez les parcours pour économiser, dites-le. Mais dans ce cas, baissez le prix. Et assumez qu’on ne vit pas une vraie course.«
La passion est toujours là. L’amour de l’île, des sentiers, de l’effort, ne faiblit pas. Mais la confiance s’effrite. L’édition 2025 a laissé des traces. Pas dans les jambes, dans les têtes.
Les coureurs du Bourbon et de la Mascareignes ne demandent pas le tapis rouge. Ils demandent simplement d’être considérés. D’avoir une expérience à la hauteur de leur engagement. Et de ne pas être les figurants d’un spectacle dont ils ne seraient plus les héros.
Le Grand Raid peut encore changer. Il le doit. Pour que la légende continue. Et pour que tous ceux qui portent un dossard — peu importe la course — aient à nouveau des étoiles dans les yeux.
Sources
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