« Tout le monde devrait pouvoir faire un marathon ». C’est l’une des dernières prises de parole publiques de Mathieu Blanchard, ce 17 décembre, au micro du vidéaste Zack Nani*.
Faut-il vraiment chercher à comprendre ce qu’il a voulu dire ?
Décryptage d’une déclaration moins anodine qu’elle n’y paraît.
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* Zack Nani est un créateur de contenu et vidéaste français, principalement connu pour ses entretiens vidéo de longue durée diffusés sur YouTube.
Il invite des personnalités issues du sport, de la culture ou du divertissement et leur propose des échanges libres, peu formatés, souvent proches du podcast.
Son approche repose sur un cadre conversationnel plutôt que journalistique : l’objectif est de laisser les invités développer leurs idées sans contrainte de format court ni contradiction systématique. Ce type d’entretien favorise des propos plus spontanés, parfois plus personnels, qui engagent avant tout la responsabilité de l’invité.
Dans ce contexte, Zack Nani agit davantage comme animateur et facilitateur de parole que comme journaliste d’actualité.
Le contexte de la déclaration de Mathieu Blanchard
On ne peut pas reprocher à Mathieu Blanchard, quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur l’athlète, de faire les choses à moitié. On se souvient encore de son Yukon Arctic Ultra au tout début de l’année 2025. 650 kilomètres par -40 °C : on peut le dire comme on veut, cela reste un défi hors normes. On notera aussi qu’il s’est offert un ticket pour la Barkley 2026. Là encore, on peut ne pas adhérer au folklore de la Barkley ; elle reste une course réputée pour sa dureté extrême. Voilà des sujets, parmi d’autres, que Mathieu Blanchard a abordés durant ces deux heures d’enregistrement.
Et il y a une phrase qui fait réagir, tant elle en dit long sur la manière de Mathieu Blanchard d’aborder le sport et l’effort. « Tout le monde devrait être capable de faire un marathon à la naissance ».
Il poursuit ainsi : « Je pense qu’on est encore très loin de s’imaginer tout ce que le corps peut faire. Je ne comprends pas comment quelqu’un, un jour, nous a mis des barrières en disant par exemple “un marathon c’est la folie”. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans notre société : la sédentarité, l’ultra-modernité, le confort… ? Mais ce n’est pas extraordinaire de courir cent bornes en nature. »
Voilà. C’est dit. À partir de là, on peut s’interroger sur l’écart éventuel entre la perception du sport portée par un athlète d’ultra-endurance de très haut niveau et celle de la majorité des pratiquants amateurs, qui courent à 6’/km. Voyons cela plus en détail.
Ce que Mathieu Blanchard a vraisemblablement voulu nous dire
Il est évident que lorsqu’il évoque la naissance, il ne s’agit pas d’un propos littéral. Il sous-entend que le corps humain serait, par essence, capable de parcourir de longues distances, à condition d’en avoir l’usage et l’entraînement.
Notre espèce a longtemps marché et couru. Les voitures sont très récentes à l’échelle de l’histoire humaine, et même les déplacements par traction animale restent marginaux au regard de notre évolution. De nombreuses hypothèses suggèrent que nos ancêtres épuisaient leurs proies en courant derrière elles pendant des heures. Notre corps semble d’ailleurs adapté à l’endurance, notamment grâce à ses capacités de thermorégulation ou à sa faculté de stocker et mobiliser l’énergie.
Sur ce point, Mathieu Blanchard n’a pas tort lorsqu’il estime que nous sous-utilisons largement nos capacités physiques théoriques. Notre mode de vie est majoritairement sédentaire, et il ne devrait probablement pas l’être autant. Mais considérer que tout le monde pourrait courir un marathon ou s’engager sur des formats de trail longue distance suppose un décalage, même léger, avec les réalités concrètes du plus grand nombre.
Ce que nous disent les chiffres
Lorsque Mathieu Blanchard boucle un marathon autour de 2 h 20, le temps moyen se situe plutôt aux alentours de 4 h 30. Le rapport est presque du simple au double, et l’écart de niveau est considérable. Le taux d’abandon sur marathon avoisine les 10 %, et seule une fraction infime de la population a déjà couru un ultra-trail. Il s’agit pourtant de pratiquants sportifs, motivés, informés de la difficulté de ces épreuves. Sans entraînement structuré, ces distances restent tout simplement hors de portée.
Au-delà de l’entraînement, entrent en jeu de nombreux facteurs : morphologie, génétique, prédispositions individuelles, blessures, pathologies, handicaps, contraintes sociales, disponibilité, accès au sport.
Pour certains, ces éléments peuvent sembler secondaires ; pour la majorité, ils constituent une réalité tangible. Tout le monde ne peut pas — ou ne souhaite pas — organiser sa vie autour de la pratique sportive.
Point de vue du champion
Ce décalage de perception n’est pas propre à un milieu en particulier. Il peut aussi concerner le sport de très haut niveau. Lorsqu’un athlète évolue depuis des années au sommet de la performance, avec un corps entraîné à l’extrême, une organisation de vie entièrement tournée vers l’effort et des repères physiques hors normes, son regard sur la pratique sportive “ordinaire” peut naturellement s’en trouver modifié.
Ce n’est ni un défaut, ni une faute. C’est une conséquence logique de l’excellence, et peut-être même l’une de ses conditions.
Mathieu Blanchard n’est pas un cas isolé. Beaucoup d’athlètes de très haut niveau sont confrontés à ce que l’on appelle le biais du champion. Lorsqu’on évolue au sommet de la performance mondiale, il devient difficile de se référer à une pratique dite “normale” du sport. Quand Kilian Jornet enchaîne une sortie de 50 km avant d’aller chercher le pain, ce n’est pas une journée ordinaire pour la majorité des coureurs — mais cela peut l’être pour lui.
C’est aussi ce qui fait leur singularité et nourrit l’admiration qu’ils suscitent. Mais cette distance avec la pratique du grand public peut parfois brouiller la portée de leurs propos lorsqu’ils cherchent à s’adresser à tous.
Ce type de propos peut surprendre lorsqu’il provient d’un athlète engagé dans des projets de coaching ou d’accompagnement, dont l’objectif affiché est précisément de s’adresser au plus grand nombre.
Manque d’inspiration, effet de direct ou réflexion volontaire ?
Reste alors la question de l’intention. S’agit-il d’une formule lancée spontanément dans le cadre d’un échange long et informel ? D’une réflexion volontairement provocatrice ? Ou simplement d’une manière de rappeler que, sans viser l’extrême, nous pourrions collectivement accorder plus de place à l’activité physique dans nos vies ?
En résumé, le propos prête à discussion, parfois à sourire, mais il soulève une question de fond : celle de la sédentarité, dont les effets délétères sur la santé sont largement documentés.
L’enjeu n’est évidemment pas d’aller se mesurer à la Diagonale des Fous, mais simplement de bouger davantage, pour préserver sa santé physique et mentale.
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Il poursuit ainsi : « Je pense qu’on est encore très loin de s’imaginer tout ce que le corps peut faire. Je ne comprends pas comment quelqu’un, un jour, nous a mis des barrières en disant par exemple “un marathon c’est la folie”. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans notre société : la sédentarité, l’ultra-modernité, le confort… ? Mais ce n’est pas extraordinaire de courir cent bornes en nature. »



