Joseph Mestrallet n’est pas coach. Il est ingénieur de la performance et sur l’UTMB 2025, il a fait gagner Ruth Croft et Tom Evans.
Joseph Mestrallet, vingt-huit ans, ingénieur de formation, est celui qui a conseillé Tom Evans et Ruth Croft avant leur victoire sur la course reine du trail mondial. Ni coach, ni kiné, ni nutritionniste : il se définit comme « ingénieur de la performance ». Et sa mission n’est pas d’encourager, mais de modéliser. D’optimiser. De prédire.
Joseph Mestrallet veut modéliser l’imprévisible
Dans l’univers ultra-incertain du trail longue distance, Joseph Mestrallet s’est donné une mission : réduire l’inconnu, limiter l’improvisation. Son outil ? La donnée. Beaucoup de données. Des dizaines de paramètres issus de capteurs, de montres, de tests de terrain, d’analyses biologiques parfois. Fréquence cardiaque, temps de vol du pied, consommation d’oxygène, lactates, puissance, ratio de montée, efficacité de la foulée : tout est passé au crible, puis digéré par des algorithmes maison. Le but ? Transformer des flux bruts en décisions exploitables.
Ce n’est plus du coaching, c’est de l’ingénierie. Mestrallet ne dit pas aux athlètes de “donner tout” — il leur dit où, quand, et comment faire les bons choix pour ne pas exploser. Il propose des plans de pacing extrêmement détaillés, avec des objectifs précis pour chaque tronçon du parcours. Quand ralentir, quand sortir les bâtons, quand basculer sur le cardio plutôt que de solliciter l’endurance musculaire des jambes. Des détails infimes qui, à l’échelle d’une course de vingt heures, font la différence entre la victoire et la défaillance.
Des stratégies au millimètre
Concrètement, Mestrallet remet à ses athlètes des plans de course personnalisés avec des zones de fréquence cardiaque et de puissance cible, mais aussi des consignes comportementales : marcher dès tel pourcentage de pente, se ravitailler avant tel col, ne pas suivre un concurrent si celui-ci part plus vite que prévu.
Ce genre d’approche permet d’éviter les erreurs classiques : partir trop vite, se caler sur un adversaire plus fort, ou perdre le contrôle sur les sections roulantes. « Courir pour soi » devient ici une stratégie, presque une philosophie. La performance se construit sur un fil : toujours à la limite de la rupture, mais sans jamais la franchir. L’objectif n’est pas de gagner à tout prix, mais d’atteindre le maximum de son potentiel sans imploser.
« Partir trop vite, c’est payer trois fois plus cher à la fin », explique Mestrallet. C’est là que l’intelligence artificielle, les simulations, et les boucles de rétroaction entrent en jeu. À l’image de la Formule 1, chaque athlète est traité comme une machine complexe dont il faut ajuster les paramètres en continu. Mais dans le trail, le moteur est humain. Et c’est là toute la subtilité.
La méthode Kilian Jornet comme déclencheur
Si cette approche ultra-analytique peut sembler froide, elle n’est pas née ex nihilo. Le précurseur s’appelle Kilian Jornet. Le Catalan, depuis plusieurs années, travaille avec des tests lactiques, des capteurs de puissance, des protocoles d’entraînement millimétrés — même s’il a toujours su garder une aura de liberté dans sa communication. Pour Joseph Mestrallet, Kilian a ouvert la voie. « Il a montré qu’on pouvait allier instinct et science. »
D’autres athlètes suivent désormais cette voie. Chez les femmes, Ruth Croft a clairement bénéficié de l’expertise de Mestrallet en 2022. Chez les hommes, Tom Evans a avoué après sa victoire que sa stratégie de course était basée sur des prédictions de performance très fines, notamment dans la gestion des montées longues et des descentes techniques.
Cette évolution, encore marginale, pourrait bien devenir la norme dans les années à venir, à mesure que les outils se démocratisent. Les montres GPS haut de gamme, les capteurs de puissance, les logiciels de suivi d’entraînement comme TrainingPeaks ou Nolio deviennent les alliés naturels de ce nouveau type d’approche.
Garder le lien avec le plaisir
Mais attention au revers de la médaille. Joseph Mestrallet le sait : trop de données peuvent tuer l’instinct. Trop de précision peut déshumaniser la course. Le plaisir de courir, l’euphorie d’une montée bien sentie, le bonheur d’un lever de soleil sur une crête : tout cela échappe à la logique binaire de l’optimisation.
« L’ultra-trail reste un saut dans l’inconnu, un voyage personnel. On peut l’éclairer par la science, mais jamais le maîtriser totalement », rappelle-t-il. Son objectif n’est pas de faire des robots, mais d’apporter aux coureurs des balises. Des repères pour traverser l’épreuve, sans se perdre dans la course au résultat ou l’obsession du classement.
Une révolution douce
Dans un sport encore jeune, encore très instinctif, Joseph Mestrallet incarne une révolution douce. Celle qui n’oppose pas science et passion, mais qui les conjugue. Il ne s’agit pas de remplacer l’intuition par l’algorithme, mais de faire dialoguer les deux. De créer un pont entre le cerveau gauche et le cœur battant du trail.
Et s’il est encore peu connu du grand public, son influence ne fait que commencer. À l’UTMB, ses conseils ont déjà permis à deux champions de briller. Et dans les mois qui viennent, il pourrait bien être sollicité par d’autres athlètes majeurs du circuit.
Parce qu’au fond, courir avec des données, ce n’est pas tricher. C’est simplement apprendre à mieux se connaître.
Résumé
Joseph Mestrallet, ingénieur diplômé d’HEC et passionné de montagne, a fondé Enduraw, un laboratoire dédié à la performance sportive basé sur l’analyse de données brutes. Installé à Chamonix, il accompagne des athlètes comme Ruth Croft ou Petter Engdahl grâce à une approche ultra-personnalisée : masques d’analyse d’oxygène, chambres de chaleur, capteurs, modélisation d’effort… Il teste ses propres protocoles sur lui-même et se rêve en directeur de la performance pour une équipe olympique ou cycliste. À la frontière entre science et instinct, il incarne une nouvelle manière d’aborder le trail, centrée sur le fine-tuning et l’optimisation des moindres détails.
FAQ
Qui est Joseph Mestrallet ?
Joseph Mestrallet est un ingénieur français diplômé du master Entrepreneurs X-HEC (promo 2022), passionné de montagne et de data science. Âgé de vingt-six ans, il a fondé Enduraw, un laboratoire d’analyse de la performance sportive. Il vit à l’année à Chamonix, où il expérimente lui-même les protocoles qu’il propose à ses athlètes.
C’est quoi Enduraw ?
Enduraw, contraction de endurance et raw (brut), est une entreprise spécialisée dans l’accompagnement ultra-personnalisé des athlètes d’endurance. Elle combine analyse de données brutes, expériences scientifiques et modèles algorithmiques pour optimiser les performances sportives, en particulier en trail running et en marathon.
Quelle est sa méthode de travail ?
Joseph Mestrallet élabore des plans de course basés sur la physiologie de chaque athlète, mais aussi sur les caractéristiques précises du parcours : température, vent, altitude, profil de dénivelé. Il y ajoute un programme de nutrition, une analyse de la concurrence, et parfois des protocoles d’acclimatation (comme des entraînements en chambre de chaleur).
Il utilise également des outils de pointe comme un masque analyseur d’oxygène ou des capteurs à 13 000 €, parfois prêtés par des marques, pour mesurer en direct la consommation d’oxygène ou la température corporelle.
Est-ce qu’il teste ses protocoles sur lui-même ?
Oui, il est son propre cobaye. Lors du marathon du Mont-Blanc, il a couru équipé de capteurs lourds, ce qui lui a fait perdre deux heures sur son temps habituel. Il dit lui-même que ses participations en compétition servent à valider ses modèles : « La donnée peut raconter n’importe quoi si on ne sait pas distinguer ce qui est pertinent. »
Quels athlètes accompagnent-il ?
Depuis l’été 2023, Joseph Mestrallet a signé ses premiers clients professionnels, dont :
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Ruth Croft, vice-championne du monde de trail,
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Duncan Perillat, champion de France de marathon,
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Petter Engdahl, vainqueur de la CCC (Courmayeur-Champex-Chamonix).
- et bien sûr Tom Evans
Son objectif ? Travailler avec un ou deux athlètes par course pour les accompagner de A à Z, dans une logique de performance maximale.
Quel est son lien avec les grandes courses de trail ?
Joseph connaît bien l’univers UTMB : il a lui-même terminé dans le top 30 d’une des courses du festival il y a deux ans. Il a aussi marqué la SkyRhune 2021, où il a crampé à dix mètres du sommet… et vingt mètres de la ligne d’arrivée. Cette expérience est symbolique de son approche : viser le plein potentiel, jusqu’à la limite.
Où a-t-il développé ses compétences ?
C’est à Berkeley, en Californie, pendant un échange universitaire, que son projet s’est accéléré. Là-bas, il a rejoint des groupes d’entrepreneurs sportifs à vélo dès 4h45 du matin, et a même obtenu un rendez-vous avec le CEO de Strava. Enduraw a depuis accès aux données du réseau social, avec l’ambition d’industrialiser ses algorithmes de performance.
Il travaille aussi avec l’armée ?
Oui. En août 2023, Joseph Mestrallet a participé à une étude scientifique pour l’armée de Singapour. Il y analysait les performances de 250 soldats via une pilule connectée mesurant la température corporelle interne en conditions extrêmes. L’objectif : éviter les défaillances liées à la chaleur. Ces recherches renforcent ses modèles prédictifs d’intensité d’effort en environnement difficile.
Est-ce qu’il s’adresse aussi aux amateurs ?
Absolument. Enduraw commence à proposer des services aux coureurs amateurs souhaitant :
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passer sous une barrière horaire,
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mieux gérer leurs efforts en ultra,
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ou simplement profiter d’une analyse personnalisée pour progresser.
Joseph insiste sur le fait que ces athlètes ont souvent une volonté énorme, mais peu de repères fiables. La data permet de structurer leur entraînement et d’éviter les erreurs classiques.
Est-il bien accueilli dans le monde du sport ?
Pas toujours. Son profil très « matheux » et son approche technologique sont parfois mal compris dans des milieux plus conservateurs. Il raconte s’être fait raccrocher au nez par plusieurs directeurs d’équipes. Mais il est convaincu que l’hyper-personnalisation et le fine-tuning (réglage fin des paramètres via le machine learning) représentent l’avenir de la performance sportive.
Quel est son objectif à long terme ?
Son rêve est de devenir directeur de la performance d’une grosse équipe cycliste ou d’une équipe de France olympique, où il pourrait mettre en œuvre ses protocoles à grande échelle. En attendant, il poursuit son développement entre science, sport, Chamonix, et Silicon Valley.