Et si l’Homme n’était pas naturellement fait pour faire du sport et pour courir ? C’est la thèse provocante défendue par Daniel E. Lieberman, professeur en biologie évolutive à Harvard. Dans son ouvrage Exercised, il rappelle que notre espèce a évolué non pas pour la performance athlétique, mais pour la conservation d’énergie. Une perspective qui invite les traileurs à repenser leur rapport à l’effort, au repos… et à l’équilibre.
Le livre Exercised: Why Something We Never Evolved to Do Is Healthy and Rewarding de Daniel E. Lieberman, professeur de biologie évolutive à Harvard, a été publié le 5 janvier 2021 par Pantheon Books
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Dans cet ouvrage, Lieberman explore comment l’évolution humaine a façonné notre rapport à l’activité physique. Il soutient que, bien que nous n’ayons pas évolué pour faire de l’exercice volontairement, l’activité physique reste essentielle pour notre santé dans le contexte moderne. Il met en lumière le contraste entre nos modes de vie sédentaires actuels et les comportements de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, qui étaient actifs par nécessité plutôt que par choix.
Exercised s’appuie sur des recherches en anthropologie, biologie et physiologie pour déconstruire les idées reçues sur l’exercice et proposer une approche plus nuancée de l’activité physique adaptée à notre époque.
L’évolution humaine : plus marcheur qu’athlète
Contrairement à certaines idées reçues, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ne passaient pas leurs journées à courir. Lieberman explique que, bien qu’ils soient actifs, leurs mouvements se faisaient surtout à faible intensité : ils marchaient pour chercher de la nourriture, construisaient des abris ou cueillaient des plantes. Le sprint ou l’effort intense étaient rares, réservés à la fuite ou à la chasse. D’un point de vue énergétique, le repos – notamment la position assise – constituait une stratégie vitale.
Sport moderne : entre santé et excès
À l’ère du trail running, du marathon Instagramé et du culte de la performance, l’activité physique est devenue bien plus qu’un besoin de santé. C’est parfois un marqueur identitaire. Or, Lieberman met en garde contre une interprétation extrême de ce besoin de bouger : le corps humain a besoin de mouvement, oui, mais pas d’épuisement. Trop de sport, comme trop de sédentarité, peut nuire à la santé. Et dans le monde du trail, cette mise en garde résonne : fractures de fatigue, burn-out sportif, troubles alimentaires… le prix du dépassement peut parfois être élevé.
Le message pour les traileurs : courir, oui… mais pas tout le temps
Marcher, s’arrêter, se reposer : ces cycles sont profondément ancrés dans notre biologie. Lieberman insiste notamment sur le rôle fondamental de la marche quotidienne (il recommande 7000 pas par jour, pas 10 000) et sur l’importance de limiter les périodes assises prolongées à 45 minutes. Pour les coureurs, cela signifie qu’un entraînement efficace respecte le besoin de repos, alterne intensités et prend soin des signaux d’alerte du corps.
Repenser l’entraînement trail à la lumière de l’évolution
Dans une logique trail, cela implique peut-être moins de “junk miles” (les kilomètres inutiles), plus de séances ciblées, et surtout, une attention accrue au sommeil, à la nutrition, et à la récupération. Le fait d’accepter que l’on ne soit pas “naturellement” fait pour courir longtemps ne signifie pas abandonner le sport, mais le pratiquer avec intelligence et respect de son organisme.
Non, l’Homme n’est pas fait pour courir non-stop, ni pour rester assis toute la journée. Il est fait pour alterner. Cette vision de la nature humaine ne condamne pas le sport – au contraire, elle le remet à sa juste place. En trail, cela signifie moins glorifier l’épuisement et davantage valoriser l’équilibre : une montée se court, une descente se marche, et un jour sans séance peut être le meilleur investissement pour progresser. En respectant la nature de notre corps, on court mieux, et plus longtemps.