Depuis que Joseph Mestrallet a aidé Tom Evans et Ruth Croft à remporter l’UTMB 2025, le mot « pacing » est sur toutes les lèvres.
Grâce à ses modélisations, ses splits en temps réel et ses plans calibrés, ce jeune data analyst a mis la stratégie de course sous les projecteurs. À l’écouter, il aurait inventé la cartographie mentale du trail. Mais remettons les choses dans leur contexte : le pacing n’a rien de neuf. Bien avant l’arrivée des graphiques, des plans Excel et des outils de prédiction, les traileurs savaient déjà qu’en ultra, l’allure fait tout. La data confirme, elle ne découvre pas. Et c’est justement ça qui rend le débat intéressant.
Le pacing, c’est quoi exactement ?
En trail, le pacing désigne la manière dont un coureur régule son allure tout au long d’une course. Loin d’être linéaire comme sur route, l’allure en trail s’adapte au terrain, à la pente, à la météo et à la fatigue. Bien gérer son pacing, c’est savoir relancer sans se griller, ralentir sans s’endormir, et rester constant malgré les coups de mou. C’est une forme d’intelligence de course, qui combine expérience, écoute de soi et stratégie.
Le terrain a toujours imposé le pacing
Pas besoin de formule mathématique pour comprendre qu’on ne court pas à la même vitesse sur une crête alpine que dans une descente roulante. Le trail impose ses variations. Pourtant, certains arrivent à garder une régularité dans leur effort. C’est cette capacité à « lisser » l’intensité, même dans un environnement chaotique, qui distingue les finishers solides des coureurs explosés à mi-course.
Avant même que le mot pacing soit à la mode, les anciens parlaient déjà de « gestion », de « lucidité », de « prudence ». Et ce n’était pas juste du folklore.
western states, utmb… les chiffres confirment les sensations
Des études menées sur des milliers de coureurs à la Western States et à l’UTMB montrent que ceux qui performent le mieux sont ceux qui varient le moins leur allure. Plus le coefficient de variation est bas, plus la performance finale est bonne. Bref, moins tu fais le yoyo, mieux tu cours.
Mais fallait-il vraiment attendre un paper dans Nature pour le découvrir ? Tous ceux qui ont couru un ultra un peu sérieusement le savent déjà : partir trop vite, c’est la garantie de finir à l’agonie. Ce que les datas disent aujourd’hui, les jambes le crient depuis des années.
Les coureurs expérimentés le savaient déjà
Ce n’est pas un hasard si les coureurs les plus réguliers sont souvent… les plus vieux ou les plus expérimentés. Moins grisés par l’adrénaline du départ, plus attentifs aux signaux faibles de la fatigue, ils savent s’économiser. Ils ont appris, parfois à leurs dépens, que courir un ultra, c’est une question de patience autant que de puissance.
Le pacing n’est pas une science nouvelle. C’est une sagesse ancienne, aujourd’hui habillée de jolis graphiques.
Partir doucement, c’est pas de la lâcheté : c’est de l’intelligence
Une étude menée sur une course de six heures a montré qu’un départ plus lent ne permettait pas forcément de courir plus loin… mais qu’il rendait l’effort bien plus supportable. Moins de fatigue perçue, moins de stress, et au final, la même performance. En trail long, ce confort mental peut faire toute la différence.
C’est exactement ce que des coachs comme Ludovic Pommeret ou Guillaume Millet enseignent depuis des années : retarder l’apparition de la fatigue, c’est le vrai nerf de la guerre.
La régularité, ça se travaille
Bien sûr, il ne suffit pas de le savoir. Encore faut-il l’appliquer. Et ça, c’est une autre histoire. Le pacing s’apprend à force d’entraînements longs, de week-ends chocs, de courses tests. Il faut se tromper, partir trop fort, exploser, puis recommencer. Les données peuvent aider à objectiver ces erreurs. Mais elles ne remplaceront jamais l’expérience.
Et la technologie dans tout ça ?
Les montres GPS proposent désormais des fonctions comme PacePro ou ClimbPro. Certaines applications affichent des estimations de temps de passage. C’est utile… à condition de ne pas leur faire une confiance aveugle. Car aucune montre ne connaît ton état mental, ta qualité de sommeil, ton stress personnel ou ta digestion du jour. Le vrai pacing reste une affaire de sensations.
Le cerveau, l’oublié du pacing algorithmique
Le modèle mental du pacing, tel que proposé par des chercheurs comme Bertrand Baron, montre que l’allure n’est pas qu’une affaire de muscles. Elle dépend aussi de la motivation, du plaisir ressenti, de la perception de l’effort. Deux coureurs à la même VMA peuvent avoir des pacing radicalement différents selon leur état émotionnel. Là encore, les datas n’expliquent pas tout.
Ce que Joseph Mestrallet a réussi à faire en 2025, c’est donner une légitimité scientifique à ce que les anciens appelaient simplement « la gestion ». Il ne faut pas le rejeter, ni le sacraliser. La data n’a pas inventé le pacing, elle l’a modélisé. Elle l’a habillé d’équations, certes brillantes, mais qui ne remplacent ni la lucidité du terrain, ni l’expérience du corps. Tant mieux si cela évite des départs kamikazes. Tant mieux si cela aide à mieux doser ses efforts. Mais ne laissons pas croire que le trail a attendu Python pour comprendre comment courir loin.