Fabrice Payet a terminé 6ᵉ de la Diagonale des Fous 2025.
Premier Réunionnais, premier « péi », premier symbole. Son arrivée à La Redoute a déclenché une vague de fierté sur les réseaux sociaux : “Nou lé pa plis, nou lé pa mwin !”, “Bravo le gars la cour ti paill !”, “Vive la Réunion !”.
Mais derrière cette joie collective se cache une question que beaucoup n’osent plus poser à voix haute : pourquoi, depuis plus de trente ans, aucun Réunionnais n’a jamais remporté la Diagonale des Fous, la course née sur leur propre île ?
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La Diagonale des Fous est une course internationale, plus “ouverte” que jamais
Le Grand Raid n’est plus depuis longtemps une affaire locale. En 2025, plus de 40 nationalités étaient représentées au départ. Baptiste Chassagne (France métropolitaine) l’a emporté en 23 h 31 min, devant Yannick Noël et Aurélien Dunand-Pallaz, autres coureurs venus de l’Hexagone.
Les Réunionnais, eux, restent régulièrement aux portes du podium. Fabrice Payet, 6ᵉ en 25 h 42 min, incarne cette excellence locale : talent, mental, humilité. Mais il le reconnaît lui-même : “Pour progresser, il faut aller courir ailleurs dans l’année. Voyager, c’est pas évident : faut payer le billet, l’hébergement, tout ça.”
Voilà sans doute l’une des clés du problème : l’insularité coûte cher. Pour rivaliser avec les meilleurs mondiaux, il faut s’entraîner ailleurs, dans le froid, l’altitude, la boue. Et ça, tous ne peuvent pas se le permettre.
Un déséquilibre structurel entre pros et amateurs
Les meilleurs mondiaux du trail vivent de leur sport. Ils sont sponsorisés, suivis par des coachs, par des nutritionnistes, parfois par des kinés à l’année. Ils peuvent se consacrer exclusivement à leur préparation.
À La Réunion, la plupart des coureurs, même les meilleurs, travaillent à temps plein. Fabrice Payet est salarié, Amélie Huchet est médecin, Jean-Charles Breton entraîne entre deux gardes. Leur passion, c’est l’après-boulot, pas le métier.
Leur performance, elle, est déjà héroïque. Terminer dans le top 10 mondial d’un ultra international tout en menant une vie “normale”, c’est une prouesse que peu mesurent vraiment.
Mais face à des athlètes venus d’Europe, souvent professionnels, l’écart de préparation devient un fossé.
Le trail réunionnais : une culture de la modestie
Il faut aussi parler de mentalité. Les Réunionnais abordent la Diagonale avec respect, parfois avec retenue. Pour beaucoup, “finir” est une victoire, pas un objectif secondaire. Le rapport à la montagne est empreint d’humilité, pas de conquête.
Ce n’est pas une faiblesse : c’est une philosophie. “La course lé pas facile, fo nou fé beaucoup de sacrifices, mais si un jour tout lé aligné, nou va fini premier”, disait Payet à son arrivée. Une phrase simple, mais puissante.
Elle dit tout : la fierté, la patience, la foi dans l’effort. Mais elle montre aussi que, dans l’esprit local, la Diagonale reste un rite initiatique plus qu’une compétition internationale.
Le manque d’ouverture extérieure
Les athlètes péi s’entraînent sur leurs sentiers, dans leur climat, avec leurs repères. Un atout pour la Diagonale ? Pas forcément. Car les coureurs extérieurs, eux, multiplient les courses dans le monde entier, testent des terrains variés, peaufinent leur endurance globale.
Fabrice Payet l’a dit : “Faut aller courir ailleurs pour progresser.” L’isolement géographique, combiné au coût des déplacements, limite les confrontations. Et sans confrontation régulière, il devient difficile de franchir le dernier palier — celui qui sépare les très bons des champions.
Une reconnaissance tardive mais symbolique : le Trophée Péi
En 2025, Réunion La 1ère et le Comité du Tourisme ont lancé le “Trophée Péi”, une initiative salutaire pour honorer les premiers coureurs résidents de chaque course. Fabrice Payet et Amélie Huchet ont été récompensés, avec un chèque et un billet d’avion pour aller se confronter au reste du monde.
C’est un geste fort, mais aussi un signal : la Diagonale n’appartient plus seulement aux Réunionnais. Elle est devenue un événement mondial. Et dans ce monde-là, l’élite est planétaire.
Le Trophée Péi rappelle que le mérite n’est pas que dans la victoire, mais aussi dans la persévérance. Dans le courage de s’entraîner ici, sans staff, sans altitude, sans sponsors.
Et si l’enjeu n’était plus de “gagner” ?
Chaque année, le public crie “vive La Réunion”, “nou lé kapab”, “la course lé pou nous”. Ces mots vibrent, ils rassemblent. Mais la Diagonale est devenue une vitrine : celle d’un territoire qui rayonne, même sans monter sur la plus haute marche.
Les Réunionnais ne remportent peut-être pas leur course, mais ils portent son âme. Ils en font l’identité, la chaleur, l’accueil, la ferveur. Les métropolitains et les étrangers viennent ici pour ça : courir sur une île où chaque virage respire la fierté locale.
En résumé, la victoire, c’est déjà d’être là
La vérité, c’est que les Réunionnais ont déjà gagné — autrement. Ils ont bâti une légende. Ils l’ont fait vivre, année après année. Ils y ont mis leur sueur, leurs familles, leurs quartiers, leurs montagnes.
Oui, la course est aujourd’hui dominée par les élites venues d’ailleurs. Mais sans les coureurs péi, sans les Fabrice Payet, sans les bénévoles, sans le public au Colorado, la Diagonale des Fous n’aurait plus d’âme.
Alors, peut-être que le jour où un Réunionnais franchira la ligne en premier sera historique.
Mais, entre-temps, il faut continuer à le dire : chaque Réunionnais qui finit la Diagonale est déjà un vainqueur.
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