Elles sont partout, visibles sur les lignes de départ et promues sur les réseaux : les boissons énergisantes se sont discrètement imposées dans le paysage du trail. Mais leur popularité soulève aujourd’hui de sérieuses inquiétudes médicales et éthiques. Sont-elles de simples aides à la performance ou des substances aux effets comparables à ceux du dopage ? Enquête sur une pratique qui brouille les lignes entre dépassement de soi et dérive artificielle.
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Boissons énergisantes en trail, une banalisation qui inquiète
Dans les pelotons de trail, difficile d’ignorer la présence des canettes de Red Bull, Monster ou Burn. Elles sont devenues des objets aussi courants que les flasques ou les bâtons. Pourtant, ce qui était autrefois un recours ponctuel semble être devenu une habitude profondément ancrée. Certains traileurs admettent ne plus pouvoir s’élancer sans leur dose de caféine, parfois dès le réveil, parfois juste avant le départ.
Les marques ont réussi un tour de force : séduire un sport pourtant associé à la nature et à la sobriété avec des produits industriels ultra-markétés. Sponsoring d’athlètes, événements “outdoor”, influence sur Instagram… Les codes du trail ont été absorbés par l’esthétique des energy drinks.
Ce qu’il y a vraiment dans ces canettes
La composition de ces boissons n’a rien d’anodin. On y retrouve en général :
– De la caféine : jusqu’à 180 mg par canette, soit l’équivalent de plusieurs cafés forts. Son effet est bien connu : accélération du rythme cardiaque, hausse de vigilance et retard de la fatigue.
– De la taurine : souvent en très grande quantité, sans bénéfice clairement prouvé dans le cadre de l’effort d’endurance.
– Des sucres rapides : jusqu’à 35 grammes, ce qui provoque un pic glycémique suivi d’une chute brutale (le fameux “crash”).
– D’autres excitants : guarana, ginseng, ou cocktails de vitamines B, dont les interactions sont encore mal étudiées lors d’un effort prolongé.
Un tel mélange, pris juste avant ou pendant un effort en montagne, peut perturber gravement la régulation cardiaque et thermique, en particulier en cas de chaleur ou d’altitude.
Des effets dopants non encadrés
Ce n’est pas un hasard si la question revient souvent chez les médecins du sport : les boissons énergisantes remplissent toutes les cases d’un “petit dopant légal”. Elles modifient l’état d’éveil, améliorent les performances cognitives et musculaires sur le court terme, mais au prix d’un contrecoup physique parfois sévère.
Certains professionnels de santé militent pour leur inscription dans une liste intermédiaire de produits sous surveillance, notamment en compétition. La tentation de la surconsommation est d’autant plus forte que le produit est légal et socialement accepté.
Une jeunesse particulièrement vulnérable
Chez les jeunes traileurs ou les ados adeptes de sorties longues, la consommation de ces boissons devient banale. Influencés par les élites ou les créateurs de contenu, ils adoptent des habitudes de consommation sans recul, souvent sans en parler à leur entourage ni à leurs encadrants.
Or, le système nerveux en développement est beaucoup plus sensible à la caféine et aux excitants. Troubles du sommeil, anxiété, hyperactivité, voire irritabilité post-course sont de plus en plus rapportés.
Un vrai dilemme éthique dans le trail
Le trail a toujours revendiqué une certaine pureté : pas de tricherie, un lien fort avec la nature, une autonomie fièrement portée. Alors comment justifier la promotion de produits qui reposent sur des stimulants artificiels ? La frontière est ténue. Le geste n’est pas interdit, mais n’est plus si innocent.
Les organisateurs, parfois sponsorisés par des marques d’energy drinks, se retrouvent dans une position délicate : difficile de prôner l’équilibre et la santé tout en affichant un logo incitant à la surconsommation de stimulants.
Quelles solutions possibles ?
Des alternatives existent, plus proches de l’éthique du trail :
– Consommer du café allongé avant la course plutôt qu’une canette concentrée
– Utiliser des aliments naturels riches en sucres lents (compotes, fruits secs, barres maison)
– Préparer soi-même des boissons d’effort simples à base d’eau, de miel et de sel
– S’informer sur les effets réels des ingrédients consommés
Des compétitions commencent aussi à refuser les sponsors issus du secteur énergétique, au profit de marques locales ou de produits bio. Cette résistance, encore marginale, pourrait inspirer un tournant dans la gestion nutritionnelle du sport outdoor.
Le témoignage de ceux qui arrêtent
Ils sont de plus en plus nombreux à avoir tenté l’expérience inverse : supprimer totalement les energy drinks. Et les effets sont souvent positifs : moins de troubles digestifs, meilleure récupération, meilleure gestion de l’effort. Certains découvrent même qu’ils courent mieux… sans ces béquilles.
Cette reconquête de la performance “naturelle” est parfois difficile au début, avec de vrais symptômes de sevrage (fatigue, irritabilité, baisse de moral), mais elle redonne du sens à la pratique pour beaucoup.
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- Cet article a une vocation informative. Il ne remplace pas l’avis d’un professionnel de santé. En cas de doute, consultez un médecin du sport.