Dire qu’on veut courir en sécurité, apparemment, c’est déjà trop. C’est suspect de vouloir courir sans avoir peur. Ce serait un délit de bobo gauchiste, écolo, citadin. Ah bon ?
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Alors qu’on parle simplement de pouvoir courir sur un sentier sans risquer de se faire tirer dessus, certains préfèrent balancer des clichés. Plutôt que d’écouter, ils collent des étiquettes. “Écolo”. “Bobo”. “Déguisé”.
Et nous voilà rangés, sans autre forme de procès, dans la catégorie des gens qu’on peut balayer d’un revers de commentaire.
Très bien. Détaillons un peu ce mécanisme. Et voyons ce qu’il dit, au fond.
Coller une étiquette pour éviter de parler du fond, la rhétorique de la disqualification par projection
Quand un coureur ou une coureuse évoque la peur de croiser une balle sur un sentier, le débat pourrait être simple. Est-ce normal, dans un pays moderne, qu’un traileur puisse tomber, sans le savoir, au milieu d’une battue non signalée ? Est-ce acceptable que des coups de feu retentissent à quelques mètres d’un sentier balisé, sans aucun panneau, ni rubalise, ni présence visible ?
Et allons plus loin : est-ce même acceptable qu’il n’existe, dans la majorité des départements français, aucun jour sans chasse, aucun créneau sécurisé garanti pour marcher, courir, s’entraîner ? Peut-on sérieusement parler de cohabitation quand une pratique occupe l’ensemble de l’espace naturel, tous les jours, sur des lieux publics, sans encadrement lisible ?
Mais à ces questions concrètes, une partie du camp d’en face ne répond pas. Il n’argumente pas. Il caricature. Il détourne. Il étiquette. Et il laisse entendre, de manière insidieuse, que demander des règles, c’est être contre la chasse.
Non. Réclamer un jour sans chasse, ce n’est pas être anti-chasse. C’est demander un équilibre. Un espace partagé. Un moment de tranquillité. De la même manière, pointer les homicides causés par des accidents de chasse, ce n’est pas “s’attaquer” à la chasse, c’est rappeler des faits, et questionner une organisation qui produit, chaque année, des blessés graves et des morts.
Et même si certains étaient contre la chasse — ce qui est leur droit — cela ne ferait pas d’eux pour autant des “bobos citadins déconnectés”. De nombreux collectifs de ruraux, de riverains, de mères de famille vivant à la campagne, de randonneurs du dimanche ou de petits maires de villages sont eux aussi excédés. Excédés de ne pas pouvoir sortir sans craindre un tir. Excédés que la forêt devienne un territoire anxiogène. Excédés qu’on ne les écoute jamais.
La colère est rurale, aussi. Elle est silencieuse, mais réelle. Et elle ne mérite pas d’être moquée. Elle mérite d’être entendue.
Être écolo, c’est quoi, exactement ?
Puisque le mot est régulièrement balancé comme une insulte, comme une manière de décrédibiliser tout propos critique, il convient de prendre le temps de s’arrêter dessus : qu’implique-t-il réellement ? Est-ce forcément s’opposer au nucléaire, militer pour la décroissance, voter pour des partis classés à gauche de la gauche, vivre dans une tiny house ou suivre un régime à base de graines germées ? Peut-être, parfois, mais certainement pas uniquement, et surtout, pas dans le cadre du trail.
Dans notre discipline, l’écologie n’a que très rarement les allures d’un dogme politique structuré ; elle n’est ni affichée sur des banderoles, ni scandée dans des slogans. Elle est bien plus souvent vécue de manière directe, sensible, ancrée dans l’expérience corporelle du terrain. Elle naît dans la boue que l’on traverse, dans les pierres que l’on frôle, dans les paysages que l’on sillonne, dans le respect des montagnes, des orages et des canicules. L’écologie, si elle existe, prend racine dans le plaisir de courir librement sur des sentiers encore ouverts, encore intacts, encore respirables.
Et “bobo”, alors ? C’est quoi ce vieux mot ?
À une époque, c’était un concept sociologique : bourgeois-bohème. Aujourd’hui, c’est juste un mot pratique pour ridiculiser celui ou celle qui réfléchit, qui doute, qui demande. Un peu comme les wokistes.
Un bobo, dans la bouche de ceux qui s’en servent comme d’un couteau, c’est un citadin fragile, qui aime le café bio, les expos d’art et les randos le week-end. C’est l’ennemi parfait parce qu’il est flou. Et comme tout le monde peut y ressembler un peu, ça permet de frapper large sans viser juste.
Mais qui sont les “bobos” du trail, exactement ? Ceux qui se lèvent à 5h du matin pour faire une reco trempée jusqu’aux os ? Ceux qui galèrent à boucler leur Ultra-Marin en dix-huit heures ? Ceux qui s’abîment les genoux dans les descentes du Sancy ou les montées de la Diag ?
Non. Ce ne sont pas des bobos. Ce sont des gens normaux. Des passionnés. Des pratiquants. Des usagers légitimes de l’espace naturel.
La caricature du bobo sert surtout à nier la diversité des coureurs et des usagers de la nature. Or les plaintes, les peurs et les alertes viennent autant de personnes vivant en ville que de celles vivant à la campagne, et il est absurde de croire que seuls les urbains auraient le droit — ou l’envie — de se sentir en sécurité.
Courir en sécurité n’est pas une revendication. C’est la base.
Il y a un point qu’on ne devrait même pas avoir à rappeler : vouloir courir sans risquer sa vie, ce n’est pas une revendication politique. C’est une demande de base. Aussi légitime que vouloir des passages piétons visibles.
Et si certains trouvent ça “suspect”, “politisé” ou “idéologique”, c’est qu’ils confondent tout. On ne demande pas la fin de la chasse. On demande des sentiers signalés. Une cohabitation réelle. Des périmètres clairs. Un cadre. Pas une jungle.
Et tant pis si ça dérange ceux qui pensent que la nature leur appartient plus qu’aux autres.
Puisqu’on nous colle des étiquettes, allons-y.
Si dénoncer les dangers de la chasse, si vouloir courir sans peur fait de nous des “bobos écolos”, alors soit. Nous n’avons rien à prouver. Les étiquettes, les amalgames, les raccourcis politiques ne nous intéressent pas. Ce que nous demandons est simple, concret, universel : pouvoir courir en sécurité.
En résumé, si vouloir courir en sécurité fait de nous des bobos écolos, alors on assume.
On ne va pas se justifier d’être lucides. Pas s’excuser d’être attentifs à la réalité du terrain. Et surtout, on ne va pas taire une parole légitime parce qu’elle dérange une habitude ou froisse une sensibilité locale. Le respect, c’est réciproque. Et nous, on respecte les faits.
On ne s’excuse pas d’aimer les sentiers. On ne s’excuse pas de les défendre. On ne s’excuse pas de vouloir qu’ils soient là demain, pour nous, pour nos enfants, pour tous les autres. On ne s’excuse pas de refuser les balles perdues, les week-ends sous tension, les silences gênés après chaque drame.
Si publier une actu sur un accident de chasse fait de nous un média bobo écolo, soit.
On préfère ça à être un média qui détourne les yeux pendant qu’un joggeur se fait tirer dessus.








