Après avoir relié 72 sommets de plus de 4 267 mètres aux États-Unis en 31 jours, Kilian Jornet a accordé ce week-end un long entretien au journal espagnol Sport, depuis les locaux de sa marque NNormal à Inca, à Majorque.
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Alpes, au-delà des limites
Avec Kilian Jornet, il faut savoir lire entre les lignes
À 38 ans, l’ultra-traileur catalan revient sur son projet States of Elevation, évoque son corps, sa famille, la logistique, et surtout, ses perspectives d’avenir. À aucun moment, il ne mentionne l’UTMB ni ne critique frontalement les compétitions, mais ses mots dessinent, en creux, une direction assumée.
Il faut savoir lire entre les lignes, mais surtout savoir entendre le silence. Kilian Jornet n’a pas dit « je ne reviendrai pas sur l’UTMB », il n’a même pas prononcé les mots « compétition » ou « circuit ». Et pourtant, tout dans son récit transpire le refus du retour en arrière.
Après States of Elevation, défi de 31 jours, 72 sommets, des milliers de mètres de dénivelé, des réveils glacés, des douleurs permanentes, une logistique familiale millimétrée et un engagement collectif porté par sa fondation, Jornet a trouvé son format.
Son tempo. Son langage. Ce n’est plus celui des dossards.
Ce n’est plus celui des lignes de départ. Dans son interview au média Sport, il raconte son expédition américaine avec une sérénité qui tranche avec le stress des podiums. Pas une fois il n’évoque l’UTMB, pas une fois il ne dit vouloir revenir aux courses classiques. Et si ce silence était la réponse la plus claire ?
Kilian Jornet est en train d’écrire un chapitre qui tourne le dos à l’ancien monde du trail.
Celui des classements, des sponsors visibles, des calendriers figés. Il choisit ses projets, ses dates, ses messages. Et tout ce qu’il dit – et ce qu’il ne dit pas – sonne comme un au revoir poli, mais ferme, à l’univers des World Series et des circuits dominants.
« El cuerpo aún pedía calorías »
“Lo curioso es cómo el cuerpo se adapta. Al final, las dos últimas semanas el cuerpo ya estaba completamente adaptado, y fue casi al revés: cuando terminé, todavía pedía las 9.000 calorías diarias que había necesitado. Muscularmente aún decía ‘no hemos acabado’.”
“Ce qui est curieux, c’est la façon dont le corps s’adapte. À la fin, pendant les deux dernières semaines, le corps était complètement habitué, et c’était presque l’inverse : quand j’ai terminé, il demandait encore les 9 000 calories quotidiennes dont j’avais besoin. Musculairement, il disait encore ‘on n’a pas terminé’.”
« ¿Qué hago aquí? »
“Hay días que te sientes bien, pero también muchos momentos en los que te preguntas ‘¿qué hago aquí?’. Te levantas a las cinco de la mañana, quizás has dormido dos o tres horas, está lloviendo, hace tres grados, te duele algo… Las ganas bajan.”
“Il y a des jours où tu te sens bien, mais aussi beaucoup de moments où tu te demandes ‘qu’est-ce que je fais ici ?’. Tu te lèves à cinq heures du matin, tu as peut-être dormi deux ou trois heures, il pleut, il fait trois degrés, tu as mal quelque part… La motivation baisse.”
« Sin duda más exigente físicamente »
“Sí, sin duda. Por la duración, y porque físicamente era más exigente: mucha más distancia cada día.”
“Oui, sans aucun doute. À cause de la durée, et parce que c’était physiquement plus exigeant : beaucoup plus de distance chaque jour.”
Kilian compare ici States of Elevation à ses autres projets, notamment celui des Alpes, qu’il juge moins difficile physiquement.
« El desgaste fue más físico que mental »
“En Estados Unidos el desgaste fue más físico. En los Alpes cada día había exposición, cada noche antes de dormir pensabas en qué escenarios podían darse y cómo sobrevivir a ellos. Eso te carga cognitivamente.”
“Aux États-Unis, l’usure a été plus physique. Dans les Alpes, chaque jour il y avait de l’exposition, chaque nuit avant de dormir tu pensais aux scénarios possibles et à comment survivre. Cela te charge mentalement.”
« Hay que ver qué quiere hacer Emelie »
“Sí, [la libreta] está abierta, pero todavía tenemos que hablarlo con Emelie: ver qué cosas quiere hacer ella, qué cosas quiero hacer yo y después empezar a mirar qué es posible logísticamente.”
“Oui, le carnet est ouvert, mais nous devons encore en parler avec Emelie : voir ce qu’elle veut faire, ce que je veux faire, et ensuite regarder ce qui est logiquement possible.”
« Nos vemos poco »
“Este año salí para la Western States, luego para este proyecto… Cuando competimos o hacemos proyectos, nos vemos poco.”
“Cette année, je suis parti pour la Western States, puis pour ce projet… Quand nous courons ou faisons des projets, nous nous voyons peu.”
En résumé, Kilian Jornet parle de ses projets en famille, de son envie d’en faire moins, mais mieux
Il évoque la logistique, les enfants, la fatigue, les douleurs chroniques, le besoin d’utilité, et surtout, cette forme d’accomplissement qu’il ressent loin des circuits balisés. Ce silence dit tout. Kilian n’a plus besoin des dossards pour exister. Il n’a plus besoin des points ITRA pour grimper. Il n’a plus besoin des arcs de départ pour vibrer. Il trace sa route à l’écart. Et ce qu’il appelle libreta — ce carnet dans lequel il notera ses aventures 2026 — ne contient plus de colonne « classement ». Ce n’est pas un rejet brutal, ni un clash avec l’industrie du trail. C’est plus profond. C’est une mue. Et ceux qui rêvent encore de le revoir au départ de l’UTMB feraient peut-être mieux de garder en tête ces mots simples, sobres, mais lourds de sens : “Todavía tenemos que hablarlo con Emelie…” – ce n’est plus une affaire de calendrier, c’est une affaire de vie.
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