Quand la com’ prend le pas sur la réalité au marathon de Paris
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On nous l’annonce comme une révolution : dès 2026, le marathon de Paris n’offrira plus ni bouteilles ni gobelets sur ses ravitaillements. Chaque coureur devra venir avec sa flasque, son gobelet pliant ou son sac d’hydratation. L’organisation se félicite de ce choix, présenté comme une avancée majeure en matière d’écologie. Mais quand on gratte un peu, la mesure ressemble moins à une transformation profonde qu’à un bel exemple de greenwashing.
L’empreinte carbone du marathon de Paris ne repose pas sur quelques milliers de gobelets.
Elle repose sur l’ensemble de la machine logistique, et surtout sur les déplacements internationaux des 55 000 participants, dont une énorme proportion vient de l’étranger.
L’argument officiel : un geste pour la planète
ASO (Amaury Sport Organisation) a trouvé la formule : “dès demain, le contenant fera partie de l’équipement du coureur”. La phrase sonne bien, donne une impression de modernité, et permet de se positionner comme “premier grand marathon international à franchir le pas”. Sur le plan de la communication, c’est du pain bénit : Paris devient pionnier, on se montre exemplaire, on colle parfaitement à l’air du temps.
Mais de quel geste parle-t-on vraiment ? Supprimer bouteilles et gobelets, c’est réduire une petite fraction de l’empreinte écologique. Une fraction visible, certes, parce que les images des routes jonchées de gobelets marquent les esprits. Mais une fraction marginale comparée au reste.
Le vrai poids carbone : les voyages
Le rapport officiel l’admet : plus de 90 % du bilan carbone du marathon de Paris est lié aux transports. Des dizaines de milliers de coureurs prennent l’avion pour venir de l’étranger, parfois de très loin. À côté, les gobelets et les bouteilles font figure de détail.
On veut nous faire croire qu’en supprimant ces contenants, le marathon bascule dans une nouvelle ère écologique. Mais en réalité, l’organisation ne touche pas au vrai problème : la dépendance au tourisme international, qui alourdit massivement le bilan carbone de l’événement.
Tant que cette question n’est pas posée, parler de révolution verte relève plus de la cosmétique que de la transformation.
L’écologie… payée par les coureurs
Autre paradoxe : cette transition est présentée comme une initiative collective, mais dans les faits, elle repose intégralement sur les coureurs. Ce sont eux qui devront acheter leurs flasques, leurs gobelets souples, leurs sacs d’hydratation. Ce sont eux qui devront s’adapter à un dispositif plus contraignant, parfois au prix de leur confort ou de leur performance.
Pendant ce temps, le prix des dossards continue de grimper, entre 135 et 179 euros. L’organisation dépense moins en logistique (plus besoin d’acheter, transporter et distribuer des centaines de milliers de contenants), mais rien ne garantit que cette économie se répercute sur le prix des inscriptions. Résultat : payer plus cher, pour avoir moins de services, au nom de l’écologie. Voilà qui ressemble plus à un transfert de charges qu’à une avancée collective.
Le piège du symbole
Pourquoi cette mesure fait-elle autant parler ? Parce qu’elle est hautement symbolique. Les images de ravitaillements bondés, avec des milliers de gobelets par terre, sont devenues un cliché des marathons modernes. Les supprimer permet de montrer un changement concret et visuel.
Mais ce symbole cache une réalité bien moins glorieuse : on détourne l’attention du public. Plutôt que d’aborder le vrai sujet — l’impact massif des transports, la logistique lourde, la production des équipements techniques — on met en avant un geste qui ne coûte pas cher à l’organisateur et qui fait joli dans les communiqués de presse.
C’est le propre du greenwashing : mettre en avant des actions visibles et faciles, qui donnent une image responsable, tout en évitant les réformes structurelles plus coûteuses et plus complexes.
Les coureurs pris en otage
Il y a aussi une question d’équité. Dans un trail, on accepte cette logique parce qu’elle fait partie de la culture. Mais le marathon, c’est une fête populaire. Des milliers de participants viennent pour vivre une expérience unique, parfois sans aucune connaissance technique. Leur demander de courir avec une flasque, de gérer leur hydratation en autonomie, c’est changer profondément l’ADN de la course.
Et surtout, c’est prendre le risque de multiplier les erreurs : flasques mal fermées, pertes de temps, files d’attente, déshydratation. Pour un traileur habitué, c’est banal. Pour un coureur occasionnel, c’est une barrière de plus, un stress supplémentaire, un risque accru de ne pas finir sa course.
Une écologie à deux vitesses
Le plus ironique, c’est que dans le même temps, les organisateurs continuent d’investir dans une communication massive, dans la venue de stars internationales, dans des partenariats sponsorisés très gourmands en ressources. Les coureurs doivent se serrer la ceinture (ou plutôt remplir leurs flasques), pendant que l’événement continue de fonctionner comme une vitrine mondialisée.
L’écologie est ici à deux vitesses : contraignante pour les individus, symbolique pour l’organisation. Un marathon plus cher, plus exigeant pour les coureurs, mais qui se vend comme plus vert.
Un écran de fumée
La suppression des bouteilles et gobelets au marathon de Paris est présentée comme une avancée écologique. En réalité, c’est surtout un coup de com’ qui déplace la responsabilité vers les coureurs sans traiter le vrai problème. Oui, réduire les déchets est nécessaire. Oui, l’image des gobelets au sol n’est pas glorieuse. Mais tant que l’on ne s’attaque pas au poids colossal des déplacements, à la surconsommation de matériel et à l’organisation elle-même, parler de révolution verte est une illusion.
C’est là tout le paradoxe : l’écologie est devenue un argument marketing. Le marathon de Paris se vend comme exemplaire, alors qu’il fait porter l’effort sur ses participants tout en continuant à fonctionner comme une machine internationale lourde et carbonée.
Un bel écran de fumée, qui ne trompera pas longtemps ceux qui connaissent la différence entre un vrai virage écologique et un simple vernis de communication.
Les partisans : l’argument du colibri
Bien sûr, il faut aussi entendre ceux qui défendent la mesure. Pour eux, chaque geste compte. Même si l’essentiel du bilan carbone du marathon se joue sur les transports, réduire les déchets visibles reste un symbole fort. Voir disparaître les gobelets qui jonchent les rues, c’est aussi envoyer un message aux spectateurs, aux coureurs, aux futures générations.
C’est la philosophie du colibri, popularisée par Pierre Rabhi : « je fais ma part ». Supprimer les gobelets et les bouteilles ne suffira pas à sauver la planète, mais c’est un pas, une prise de conscience, un signal envoyé à d’autres organisateurs. Si tous les événements faisaient leur part, aussi minime soit-elle, l’effet cumulé finirait par avoir un poids réel.
Les défenseurs de la réforme rappellent aussi que certains coureurs, déjà équipés de flasques ou de sacs d’hydratation, affirment ne pas avoir perdu de temps lors des tests réalisés en 2025. Pour eux, l’adaptation n’est pas si difficile, et elle pourrait même améliorer la fluidité des ravitaillements à long terme.
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