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Chez Quechua, les photos de chiens sans laisse en montagne, de vans plantés au milieu d’un champ ou de randonneurs hors piste sont désormais interdites.
La marque de Decathlon veut montrer une nature plus “propre”, plus “responsable”. Sur le papier, ça part d’une bonne intention. Mais à force de vouloir protéger la montagne par l’image, Quechua finit par la transformer en décor Ikea pour Instagram. Derrière le vernis tout propre tout beau tout aseptisé, c’est tout un rapport à la liberté, au risque et à la responsabilité qui se brouille.
En bannissant certaines images jugées “irresponsables” – chiens libres, vans, randonneurs hors sentier –, Quechua veut montrer l’exemple d’une pratique plus respectueuse de la nature. Mais à force de vouloir protéger la montagne par l’image, la marque finit par la transformer en décor. Derrière l’intention écologique, c’est tout un rapport au danger, à la liberté et à la responsabilité qui vacille.
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Decathlon avec son virage Quechua : un geste symbolique qui interroge
Début octobre, Le Dauphiné Libéré révélait un changement discret mais révélateur dans la communication de Quechua, marque emblématique du groupe Decathlon. Lors de l’événement OSV Explore à Annecy, sa directrice artistique, Laura Braconnier, a présenté une nouvelle charte d’images.
Le changement de communication de Quechua
Certaines scènes y sont désormais interdites : chiens non tenus en laisse, vans garés dans la nature, feux improvisés ou marche hors sentier.
Objectif affiché : adopter une “communication responsable”, plus respectueuse de la montagne et de ceux qui la fréquentent.
Sur le principe, difficile de s’y opposer. Qui pourrait défendre les comportements dangereux ou irrespectueux ? Pourtant, ce virage soulève un problème plus profond.
En corrigeant les images, Quechua déplace la responsabilité
Elle traite le symptôme visuel au lieu de la cause culturelle. Au lieu d’éduquer à la pratique, elle efface ce qui pourrait déranger. Ce n’est plus une réflexion sur la manière de se comporter en montagne, mais sur la manière de la montrer. Et ce passage du “faire” au “montrer” en dit long sur l’époque.
Du terrain à l’image : le grand glissement de responsabilité
En bannissant certains visuels, la marque envoie un message implicite : le public n’est pas capable de discernement. Il faut donc lui retirer toute tentation. Ne pas lui faire voir le “mauvais exemple”, comme on cache un couteau à un enfant de peur qu’il se blesse. Mais protéger, ce n’est pas cacher : c’est apprendre à s’en servir. Et c’est précisément ce que Decathlon évite de faire.
La protection par effacement n’éduque personne
Elle remplace la pédagogie par la peur du malentendu. Plutôt que de montrer comment bivouaquer proprement, on ne montre plus de bivouac du tout. Plutôt que d’expliquer où et quand un chien peut courir, on supprime le chien de l’image.
Une communication infantilisante
Ce réflexe infantilisant traduit une méfiance vis-à-vis de la compétence des pratiquants. Comme si la montagne devait être présentée sous cellophane, aseptisée pour convenir à tout le monde, y compris à ceux qui ne la connaissent pas.
À travers ce cadrage, Quechua ne se contente pas de promouvoir des “bons comportements” : elle fabrique une culture du dehors sous contrôle.
Ce n’est plus la pratique qui définit la norme, mais l’image
Le message implicite devient : “Voici ce qu’il est permis de voir.” Et quand l’image prend le pas sur l’expérience, on perd le lien avec la réalité du terrain.
Le refus du danger : la montagne rendue inoffensive
En éliminant toute trace d’incertitude, Quechua s’inscrit dans une tendance bien plus large : celle d’une société qui ne supporte plus le danger. Tout doit être sous contrôle, même l’imprévisible. Le risque n’est plus perçu comme un élément naturel du milieu, mais comme une erreur de conception. Et parce qu’on ne veut plus montrer le risque, on finit par le nier.
La montagne est une école du danger
C’est le vent, la peur, la fatigue, le mauvais temps qui apprennent la prudence. On ne progresse pas en les évitant, mais en les comprenant. Effacer le danger des images, c’est priver les pratiquants de cette pédagogie implicite. C’est rendre la montagne abstraite, désactivée, presque virtuelle.
La montagne n’est pas docile ni garantie
Ce que la communication de Decathlon nie, c’est justement ce que les montagnards respectent : la fragilité du milieu, la part d’incertitude, le fait que rien n’est jamais garanti. En cherchant à faire disparaître cette réalité, la marque contribue à une illusion : celle d’une nature docile, toujours accueillante, où tout se passerait bien à condition d’avoir le bon matériel. C’est une vision rassurante, mais trompeuse. Elle transforme l’aventure en produit et l’expérience en décor.
Les effets pervers : la déconnexion entre image et terrain
À force de vouloir montrer une montagne “responsable”, Quechua risque de fabriquer l’inverse. Ces images lisses, bien ordonnées, sans fatigue ni danger, finissent par attirer des pratiquants qui croient à cette fiction. Ils partent sans conscience du risque, convaincus que le dehors est propre, stable, accessible à tous.
Le marketing de la sécurité crée de l’insécurité
Sur le terrain, cette illusion a des conséquences concrètes.
Les secours le savent : chaque année, des interventions concernent des randonneurs ou des traileurs peu préparés, trompés par l’apparente facilité des images ou des récits. En gommant la rugosité du réel, on déconnecte la perception du danger de sa réalité. Et dans ce vide, la responsabilité se dissout.
C’est là le paradoxe final : en voulant montrer des comportements responsables, Decathlon finit par promouvoir des attitudes irresponsables
En effaçant le danger pour mieux séduire, elle désarme ceux qu’elle prétend protéger. La responsabilité ne consiste pas à filtrer le monde, mais à apprendre à y évoluer. La montagne n’a pas besoin d’être nettoyée : elle a besoin d’être comprise.
En résumé, voici pourquoi Decathlon avec Quechua n’a rien compris à la montagne
La montagne n’a pas besoin d’être mise sous cloche ni nettoyée de ses aspérités. Elle a besoin d’être comprise, expliquée, vécue. Apprendre la montagne, c’est d’abord l’écouter. C’est passer du temps dehors, observer les nuages, les sons, la neige, les sols, les animaux. Comprendre comment tout ça réagit à notre présence. C’est aussi se tromper — pas gravement, mais suffisamment pour sentir où sont les limites. C’est apprendre avec ceux qui savent : un club, un guide, un ami d’expérience. Le savoir de la montagne se transmet par le terrain, pas par les slogans.
C’est ensuite accepter que la sécurité ne vienne jamais du matériel, mais de la lecture des signes
Savoir reconnaître un sentier qui se dégrade, un orage qui monte, une fatigue qui devient risque. Ce sont des réflexes qui s’acquièrent par l’expérience. Enfin, apprendre la montagne, c’est intégrer une responsabilité commune. Chacun de nos gestes a un impact : sur la faune, sur la flore, sur les sols, sur les humains. Comprendre la montagne, c’est aussi comprendre que nous n’y sommes pas seuls.
En somme, ce n’est pas un apprentissage technique mais une culture du dehors : une éducation patiente au risque, à la mesure, à l’attention. C’est cela que les images devraient raconter. Pas un monde sans danger, mais un monde qu’on apprend à habiter.
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Cet article relève d’une analyse critique et d’un point de vue journalistique. Il ne met pas en cause les personnes et ne constitue pas une critique de la qualité des produits, du matériel, du savoir-faire technique ou des compétences marketing de Decathlon et Quechua. Il questionne uniquement une stratégie de communication et d’images.Le titre volontairement percutant (« Decathlon avec Quechua n’a rien compris à la montagne ») ainsi que la formule « Quechua veut vous faire croire que la montagne est sans danger et qu’il suffit d’avoir du bon matériel » doivent être compris comme des expressions journalistiques et éditoriales. Elles n’impliquent en aucun cas que Decathlon ou Quechua manqueraient d’expertise technique, marketing ou de connaissance de la montagne. Elles illustrent l’angle de l’article : la déconnexion perçue entre une communication visuelle aseptisée et la réalité vécue de la pratique en montagne.L’article est rédigé de bonne foi et dans l’intérêt général, en lien direct avec les enjeux de sécurité, de responsabilité et de protection de l’environnement en montagne.
Conformément aux règles de la presse, un droit de réponse peut être exercé par toute personne ou organisation citée.
uTrail rappelle que cet article ne constitue ni une vérité absolue ni une attaque personnelle, mais une contribution au débat public sur les rapports entre marketing, écologie et pratiques sportives en montagne.