« Je viens de terminer l’Elks Traverse, qui a été le point fort de mon aventure jusqu’à présent : des montagnes incroyables, des vues incroyables. Les premiers jours ont été très difficiles à cause du décalage horaire et de l’altitude, mais aujourd’hui sur la traversée je me suis senti vraiment bien. » — Kilian Jornet
Le décor : un Colorado rouge, cassant, spectaculaire
Au sud-ouest d’Aspen s’étire la chaîne des Elk Mountains. Rien à voir avec les dômes réguliers de la Sawatch : ici la roche est plus fragile, souvent rouge ou ocre, les arêtes sont fines, les pentes raides et l’exposition réelle. Les vallées sont longues, encaissées, et la météo a la mauvaise habitude de tourner vite en fin d’après-midi. C’est un terrain qui demande autant de tactique que de sang-froid.
Qu’est-ce que l’Elks Traverse ?
Une ligne devenue mythique chez les montagnards du Colorado : environ 80 km à travers le cœur du massif, reliés en continu avec de larges sections hors sentier. Elle enchaîne sept quatorzeers (sommets ≥ 4 267 m) :
- Capitol Peak (4 309 m) — Passage signature par la Knife Edge, une arête étroite et aérienne.
- Snowmass Mountain (4 290 m) — Un des très rares sommets du Colorado à porter encore un petit glacier.
- Maroon Peak (4 317 m) & North Maroon Peak (4 273 m) — Les célèbres Maroon Bells : carte postale… et rocher instable.
- Pyramid Peak (4 275 m) — Cône abrupt juste au-dessus d’Aspen, itinéraire raide et exigeant.
- Conundrum Peak (4 060 m) — Maillon naturel de la chaîne, souvent oublié des listes, pas de cette traversée.
- Castle Peak (4 313 m) — Point culminant des Elk Mountains, gardien minéral du Montezuma Basin.
Le niveau technique est très élevé avec de l’escalade de niveau Classe 4, quelques passages en Classe 5, et de nombreux kilomètres hors sentier sur des terrains instables.
“Classe 4”, “Classe 5” : de quoi parle-t-on ?
- Classe 4 : on grimpe avec les mains sur des dalles/ressauts, souvent exposés ; une glissade peut être grave.
- Classe 5 : véritable escalade par endroits (courts passages), aérienne ; choix d’itinéraire précis, trois points d’appui permanents, concentration totale.
Le film de la journée
Départ vers 4 h. À ses côtés, Simi Hamilton, local d’Aspen et détenteur du FKT de la traversée, l’accompagne jusqu’au Capitol Peak. Les premières lueurs éclairent la Knife Edge : ambiance déjà suspendue.
Plus tard, c’est Ryan Hall, légende du marathon américain, qui rejoint Kilian par le West Maroon Trailhead. Les deux hommes partagent un long tronçon, filant ensemble jusqu’à Castle Peak, ultime quatorzeer de la ligne. Là, chacun reprend sa route : Kilian retrouve le van vers 2 h du matin, Ryan doit recourir la nuit entière pour regagner son point de départ, n’arrivant qu’au petit matin.
Kilian parle d’un déclic : après une première semaine plombée par le jet-lag et le manque d’oxygène lié à l’altitude, il s’est senti bien du début à la fin, malgré l’engagement du terrain et la longueur de la journée.
La cartographie de l’étape,12-09

Où se place Kilian par rapport aux records ?
L’Elks Traverse a été réalisée pour la première fois en continu par Neal Beidleman et Jeff Hollenbaugh en 1996 (≈34 h).
Ensuite, quelques jalons ont marqué l’histoire :
- Rickey Gates (2015) : 27 h 25
- Michael Wirth (2022) : 22 h 30
- Simi Hamilton (2023) : 16 h 46, record actuel
Avec 21 h 49, Kilian se situe donc au-dessus de Wirth et juste derrière Hamilton, tout en étant dans une logique très différente :
- Hamilton et Wirth sont partis frais, dans une optique de record.
- Kilian sort déjà de plus de 10 sommets en quelques jours, avec plus de 600 km parcourus et un corps encore en acclimatation.
Cela fait de son chrono l’un des meilleurs de l’histoire de la traversée, mais obtenu dans le cadre d’un projet bien plus large.
Étape Elks Traverse
- Distance : 79 km (49 mi)
- Dénivelé + : 6 996 m (22 953 ft)
- Temps total : 21 h 49
- Fourteeners cochés : 7
Cumul du projet après les Elks
- Fourteeners : 20
- Distance (course + vélo) : 647 km (402 mi)
- Temps d’activité : 100 h 49
- Dénivelé + : 30 881 m (101 316 ft)
Pour la suite : Nolan’s 14
On sait qu’après cette étape, Kilian a directement basculé à nouveau sur la chaine de la Sawatch Range pour entamer une diagonale de légence : Nolan’s 14.
Nolan’s 14, c’est une ligne nord-sud de 150 km dans la Sawatch Range, entre Leadville et Salida. Le défi : relier 14 sommets de plus de 14 000 pieds (≈ 4 267 m), soit 14 quatorzeers, pour un total de plus de 14 000 m de dénivelé positif. Inventé dans les années 1990 par Jim Nolan, le parcours est devenu une légende de l’ultra américain. Les règles sont simples : 14 sommets, dans l’ordre, en moins de 60 heures. Le reste (itinéraire précis, gestion du sommeil, ravitaillement) est libre.
Cet été, c’est François D’Haene qui a frappé un grand coup en pulvérisant le record : 35 h 33 pour enchaîner les 14 sommets, soit près de 25 h plus vite que la barrière “classique” des 60 h. Son exploit a marqué les esprits : enchaîner 14 sommets de plus de 4 000 m, c’est affronter la fatigue, le manque d’oxygène, et la météo capricieuse du Colorado.
Kilian ne s’est pas annoncé sur un format “record”.
Mais on l’a vu sur les Elks, il est capable de chatouiller les records même avec autant de fatigue dans les pattes. On ne serait même pas étonnés qu’il en profite pour chatouiller le record français ! Mais attention, certaines portions, comme l’enchaînement Harvard – Columbia – Oxford – Belford – Missouri, sont des successions de crêtes exigeantes. D’autres, comme Yale, Princeton, Antero, Tabeguache, Shavano, demandent de longue redescente dans les vallées avant de remonter. Nous resterons attentifs à ce qu’il fera de cette ligne légendaire.
La cartographie de la suite du programme

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