Il y a les coureurs qui gagnent. Et il y a ceux qui expliquent pourquoi. Dans un long post publié après sa victoire à l’UTMB, Ruth Croft a ouvert les coulisses de sa préparation.
Au lieu de célébrer sa performance en mode carte postale, elle a préféré mettre en lumière ceux qui l’ont aidée à atteindre ce niveau. Un choix rare, révélateur de ce qu’est devenu le trail de haut niveau : un sport d’équipe, de méthode et d’optimisation.
Ruth Croft a construit sa victoire sur plusieurs années
Derrière le succès de Croft, on découvre une logique de cohérence sur le long terme. Elle parle d’un travail de 2 ans et demi avec son coach principal, d’un renforcement musculaire suivi depuis 8 ans, d’un nouveau plan nutritionnel mis en place dans les semaines précédant l’UTMB. Bref : rien n’est laissé au hasard, mais tout est intégré dans une progression fluide. On est loin du one-shot ou du plan miracle copié-collé.
Ce qui frappe aussi, c’est l’équilibre entre les différents pôles de performance : physique, biomécanique, nutritionnel, et stratégique. Croft ne mise pas sur un élément-clé, elle sécurise chaque maillon de la chaîne.
Une stratégie nutritionnelle en rupture avec les dogmes
L’un des aspects les plus intéressants est sa critique implicite des modes nutritionnelles. Elle confie avoir fait appel à un spécialiste pour construire un plan “périodisé”, avec une approche scientifique et sans succomber aux tendances du moment. Ce n’est pas une guerre de gels ou de marques : c’est un retour à l’individualisation. Elle cite un exemple très concret : avoir pu encaisser trois gels consécutifs à Vallorcine. Ce genre de détail peut sembler anecdotique, mais dans un ultra, c’est souvent ce qui fait la différence entre explosion et maintien.
Courir aux sensations, mais avec des garde-fous
C’est là que l’article prend une tournure très actuelle : Ruth Croft assume courir “entièrement au feeling”… tout en ayant utilisé un plan de pacing fourni par Joseph Mestrallet, expert en data-analyse trail. Elle ne renie pas son instinct, mais elle lui donne un cadre. Elle parle de garde-fous qui lui ont évité de dévier — ni trop vite, ni trop lentement.
Ce positionnement est révélateur d’un tournant dans le haut niveau : l’intuition n’est plus opposée à la science. Elle est augmentée. Ce que propose Mestrallet, ce n’est pas un pilotage automatique, c’est une carte intérieure. L’athlète reste libre de sortir du sentier, mais sait désormais exactement ce qu’il coûte de le faire.
Une vision anglo-saxonne de la performance
En partageant ces détails, Ruth Croft illustre aussi ce fossé culturel entre les athlètes anglo-saxons et certains coureurs français encore attachés à une vision plus “libre” du trail. Là où en France on s’interroge encore sur la place de la data, Croft en fait un outil parmi d’autres, sans fétichisme, mais sans rejet non plus. Ce pragmatisme pourrait bien devenir une norme.
Ce qu’on retient
La victoire de Ruth Croft n’est pas une démonstration de puissance. C’est la preuve d’une approche intelligente, structurée et lucide. Elle a su assembler les bonnes pièces du puzzle :
-
un cadre d’entraînement solide,
-
une stratégie nutritionnelle ciblée,
-
un recours assumé à la data,
-
et une confiance intacte dans ses sensations.
Le trail de très haut niveau n’est plus une affaire d’instinct seul. Il devient une science appliquée, une gestion de variables humaines, physiques, logistiques. Croft n’a pas seulement gagné l’UTMB : elle a donné une leçon de rigueur. Et une leçon d’humilité aussi : parce que savoir s’entourer, c’est déjà une forme d’intelligence.