Quand les tensions mondiales s’invitent en montagne : l’UTMB est-il à l’abri ? Le sport est souvent un terrain de revendications, la question se pose.
Le sport n’échappe pas aux tensions du monde. Depuis deux ans, le conflit israélo-palestinien a franchi les frontières des stades et des routes de course pour s’afficher dans l’espace sportif international. Marathons, Tour de France, matches de football : les revendications se sont multipliées. La montagne et le trail, longtemps perçus comme à l’écart de ces débats, ne sont pas hors du jeu. Alors que l’UTMB s’apprête à accueillir fin août plus de 10 000 coureurs à Chamonix, une question se pose : la plus grande course de trail du monde peut-elle être traversée par ces revendications ?
Sans parler de l’UTMB, il y a eu des précédents récents dans le sport mondial
Les exemples récents sont nombreux. En février 2024, lors des sélections olympiques américaines de marathon, plusieurs athlètes franchissent la ligne d’arrivée avec un drapeau palestinien. Le geste, pacifique et discret, est toléré par les organisateurs. Deux mois plus tard, à Londres, la scène est plus tendue : deux activistes jettent de la poudre rouge sur le parcours du marathon, en signe de protestation. Ils sont interpellés immédiatement, sans conséquence sur la course.
L’été 2025, c’est au Tour de France que la question se pose. À Dieulefit, des banderoles pro-Palestine sont déployées le long du parcours, tolérées comme des manifestations en bord de route. Mais à Toulouse, un militant portant un t-shirt « Israel out of the Tour » court sur la trajectoire des coureurs, créant une situation dangereuse. Il est maîtrisé par la sécurité.
Le débat existe aussi dans les stades. En novembre 2024, une immense banderole « Free Palestine » est déployée au Parc des Princes lors d’un match de Ligue des champions. L’UEFA n’a pas sanctionné, mais l’épisode a nourri des polémiques en France. Aux Jeux de Paris 2024, la breakeuse Manizha Talash, membre de l’équipe olympique des réfugiés, est disqualifiée pour avoir porté une cape « Free Afghan Women » pendant son passage : la règle 50 de la Charte olympique, qui interdit toute manifestation politique sur le terrain, a été appliquée strictement.
En résumé : les revendications politiques se font voir. Leur tolérance dépend du contexte : un geste symbolique peut passer, une intrusion ou un slogan massif entraîne presque toujours une intervention.
Le drapeau palestinien sur l’aiguille du Dru avant même l’UTMB : quand la montagne devient tribune
Le massif du Mont-Blanc a déjà connu ce type de geste. En août 2025, un collectif d’alpinistes anonymes déploie un immense drapeau palestinien de 145 m² sur la face ouest des Drus. L’action, pensée comme un affichage sur plusieurs jours, est interrompue rapidement : sur décision de la préfecture, le PGHM de Chamonix intervient pour enlever la bannière. Le motif officiel : le caractère dangereux de l’installation et le statut juridique de la montagne, classée depuis 1951 comme site protégé.
Ce précédent illustre la logique des autorités : la montagne peut être utilisée comme symbole, mais elle est sous surveillance.
L’UTMB : neutralité affichée, drapeau palestinien présent
Le règlement 2025 de l’UTMB est clair : « toute proclamation, affichage ou exposition de messages politiques ou religieux, ainsi que les images associées » est interdite. Pas de slogans, pas de banderoles, pas de gestes militants dans le périmètre de la course. L’événement s’aligne sur une philosophie sportive proche de la règle 50 olympique : préserver la neutralité apparente et éviter que la compétition ne soit détournée par des revendications.
Mais un paradoxe existe.
L’UTMB affiche déjà le drapeau palestinien : un coureur qui s’inscrit en tant que Palestinien porte ce drapeau sur son dossard et reçoit un mini-drapeau pour son sac. Cela ne relève pas du militantisme, mais d’un attribut de nationalité sportive, reconnu par le Comité international olympique, la FIFA et d’autres fédérations.

En clair : le drapeau palestinien est déjà là, intégré dans le fonctionnement normal de l’UTMB. Ce qui est interdit, c’est la revendication militante explicite – banderoles, slogans, accessoires revendicatifs.
Pourquoi la Palestine a déjà son drapeau en sport ?
La Palestine dispose d’un Comité national olympique reconnu par le CIO depuis 1995. Elle participe aux Jeux olympiques depuis 1996, avec son drapeau et ses athlètes. Elle est également membre de la FIFA et d’autres fédérations internationales, avec un code pays officiel (PLE / PSE).
Dans le monde sportif, le drapeau palestinien est donc reconnu comme un drapeau national légitime, indépendamment des positions diplomatiques des États. L’UTMB, comme d’autres compétitions, s’aligne sur ce standard.
Quels scénarios seraient possibles à Chamonix ?
Si des revendications apparaissent lors de l’UTMB, la réponse dépendra du type d’action. Un geste symbolique d’un coureur – lever le poing, porter un accessoire avec un message, afficher un slogan à l’arrivée – tomberait sous le coup du règlement et pourrait valoir sanction ou disqualification. Une banderole ou un drapeau en paroi, visible de la vallée comme aux Drus ou au sommet du Mont Blanc, serait probablement retirée par les secours sur ordre préfectoral. Des manifestations en bord de parcours peuvent être tolérées si elles sont statiques et déclarées, mais pas d’intrusion : une action perturbant la course, comme à Londres ou au Tour de France, serait immédiatement neutralisée. Quant aux accessoires militants portés par des spectateurs, ils peuvent exister tant qu’ils n’entravent pas la course, mais leur présence sera surveillée de près.
En pratique, les marges sont réduites : la neutralité est à la fois une règle sportive et une question d’ordre public.
La question sensible : la montagne doit-elle rester neutre ?
Plus largement, reste la question fondamentale : doit-on considérer la montagne comme un espace neutre, sans affichages politiques, ou accepter qu’elle serve aussi de support à des messages ?
Pour ceux qui défendent la neutralité, la montagne doit rester un lieu commun à tous, protégé des divisions. Afficher des slogans ou des drapeaux reviendrait à détourner le paysage et à introduire des tensions entre pratiquants. L’argument pratique est également important : toute banderole posée en paroi ou au sommet finit par exiger une opération de retrait, avec des risques pour les secours. Enfin, garder la montagne « apolitique » est vu comme une manière de préserver la convivialité entre personnes venues d’horizons différents.
À l’inverse, d’autres rappellent que la montagne a souvent été utilisée pour des gestes symboliques. Des drapeaux nationaux hissés sur l’Everest aux banderoles déployées pour défendre le climat, les exemples sont nombreux. Pour eux, utiliser un sommet ou une paroi pour faire passer un message n’est pas un détournement, mais une manière de profiter de la visibilité unique qu’offre la montagne. Les alpinistes et traileurs ne sont pas isolés du reste du monde : leurs convictions écologiques, politiques ou humanitaires peuvent naturellement s’exprimer dans les lieux qu’ils fréquentent.
Dans le cas du Mont-Blanc, le droit ne laisse pas de doute
Le massif est classé depuis 1951 et tout affichage grand format y est interdit. Mais au-delà de la règle, le débat reste ouvert : certains veulent préserver une montagne neutre, d’autres considèrent qu’elle peut être un lieu d’expression comme un autre.
Un sport pas hors du monde
Le trail, comme tous les sports, est traversé par les tensions du monde. L’UTMB, vitrine planétaire, peut être ciblé par des gestes politiques. Mais son règlement, le droit français et les pratiques des autorités laissent peu de marges aux actions spectaculaires.
Reste la question de fond : le sport, et plus encore la montagne, doivent-ils rester neutres ? La présence du drapeau palestinien sur les dossards montre que la frontière entre appartenance nationale et revendication politique est parfois floue. Ce flou pourrait devenir plus visible à Chamonix, où les coureurs du monde entier viendront, chacun avec son drapeau, mais pas avec ses slogans.
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