Voila une entrée en matière des plus costauds pour me diriger vers mon objectif principal de l’année.
Après une satisfaisante 9ème place le 29 avril dernier sur l’Ultra Pas du Diable, je me dois de confirmer cette place, et de me rassurer dans ma progression en Trail. Cette discipline que j’ai décidé de mettre en avant sur ma saison 2017.
Un plan d’entraînement copieux à souhait, et me sachant en difficulté dans les bosses, il est tout naturel que ma progression doit se faire dans ce domaine ; les descentes étant un point fort, mais à ne pas laisser de coté et à négliger.
La Corse me tend les bras, les entraînements se sont enchaînés à vitesse grand V où j’ai d’ailleurs souvent pris mon pied, jour après jour. Paraît-il que c’est un Trail sélectif, et le niveau cette année est des plus élevés….à suivre !
Ultra Corsica Trail Restonica, en chiffres :
- 110 km
- 7200 D+
- 20h50 de course
- 11ème/179 participants
- 39% d’abandon
En entraînement (juin) :
- Trail/CAP 49 h / 384 km / 22 741m D+
- Vélo 14 h / 356 km / 3 261m D+
Mardi 4 juillet
Atterrissage à Bastia, direction « Corte », le centre de la corse. Je suis seul, encore une fois, personne ne m’accompagne dans mon défi. Je dois avouer que depuis que je pratique le Trail, je me retrouve souvent seul durant mes entraînements, mais par expérience, lors d’une course, savoir qu’une tête connue se trouve sur le bord du sentier peut faire la différence.
Mercredi 5 juillet
Veille de course, je fais la reconnaissance du début du parcours et je fais un petit déblocage sur la piste d’athlétisme de Corte.
Le sac et le sac de transition sont bouclés, ultime réglage, vérification des habits, derniers rituels, on y est H-24.
Jeudi 6 juillet
14h
Rendez-vous au retrait des dossards, je récupère un petit sac de cadeaux, et je retourne à mon logement.
17h
Repas avancé pour une digestion optimisée, je m’installe tranquillement devant la télé, le cardio indique 40 pulls, le cœur est prêt au combat.
21h30
Je ne tiens plus en place, je commence à m’habiller tranquillement, toujours le même rituel.
On y est, le type est prêt, zéro stress, que du positif.
Je suis pensif…
- Je pense à mon dernier mois d’entraînement, et mes longues journées d’absence auprès des mes enfants…
- Je pense à mon père qui me surveille de là-haut.
- Je pense à mon nouveau projet associatif qui vient de voir le jour et prend beaucoup de temps.
- Je pense à Fred, mon beau-frère, qui plus tôt dans la journée m’a envoyé un sms
« Je sais que tu as pensé qu’à moi, alors pour une fois stp, pense à toi, et passe au moins une journée à te faire plaisir, que toi qui compte ce jour là, et merci…merci bises »
22h30
Le ton est donné, le type est prêt, direction la ligne de départ où les participants commencent à arriver.
Je croise Stéphane Tailhades, déjà aperçu sur mon dernier Ultra. Le speaker déploie beaucoup d’énergie pour avoir un mot sur chaque athlète : c’est un cracheur de mots, un « enflammeur » de foule, une encyclopédie du Trail.
Je dépose le sac de transition, une petite discussion au micro de Stéphane puis direction l’échauffement : les derniers encouragements qui réchauffent le cœur arrive sur le téléphone, avant de le mettre en sourdine.
23h30
Les frontales sortent de leur sommeil, le village grogne, une foule en délire, des coureurs en ébullitions, un speaker aux abois, on y est, le départ est lancé.
Droit dans la citadelle avant d’attaquer le premier gros morceau « Bocca Canaglia » et ces 1400 D+.
Je pars tranquillement dans les premiers pour éviter les bousculades de début de sentier et comme à mon habitude, des sportifs qui pensent gagner la course…se font surprendre, marchent dès la première difficulté.
Je conserve mon rythme en trottinant tout le long de la bosse, on vient de gravir 6km et 1200m D+ en 56 minutes, cette petite côte se nomme « Padule ». Ça part fort, très fort, je ralentis la cadence, la FC max est a 90 % alors que je n’ai pas l’impression de me mettre dans le rouge, un début de course habituel, le temps que le cœur se stabilise. 200m plus loin « Bocca Canaglia » est englouti, on bascule direction « Boniacca », il est 1h49, et le tempo est donné.
« A sega » – « Pinadellu » – « Bocca Cappizzolu » puis « Pont de Mazzola »…
4h30
Je passe tout, et ne me rends même pas compte que 30km sont passés et je suis déjà au point de contrôle « Calacuccia », ce qui annonce le second gros morceau : 1600m D+ d’un trait, ça va piquer !!!!!
Je rencontre Damien Vesseau, qui connaît bien l’épreuve, c’est sa 4ème participation, il a un très bon rythme dans la montée, il connaît bien le parcours, vraiment peu balisé à ce moment là d’ailleurs… cela me fait douter sur le tracé, mais le type connaît son texte, je le suis, je verrai bien.
« Ercu », pour un petit plat et on attaque la fin de « Bocca Crucetta », nous sommes à 2454m d’altitude, le point le plus haut nous sourit, une fin de parcours entre dalles et pierres où l’on régresse plus que ce que l’on ne progresse. Un pas et je descends de trois, souvent en déséquilibre, les premières pertes de force inutile arrivent. Tant bien que mal je me hisse au sommet, mon compagnon du jour a déjà pris la descente, je jette un coup d’œil au paysage qui s’offre à nous et je bascule sur cette belle descente du GR20. Un sacré bijou, pour moi, qui adore les cailloux et les descentes, je suis servi !! Les randonneurs sont là, admiratifs et pantois, à nous voir courir sauter ; les mouflons n’ont qu’à bien se tenir, aujourd’hui c’est nous les stars des montagnes Corse !
Sans difficultés je rattrape Damien, qui, lui, assure la descente sans aller à la faute. Au passage, je tiens à saluer la randonneuse en contrebas du spectacle quel m’offre « caca du matin tout va bien… »
Je perds mon compagnon et trace tout droit vers la ligne d’arrivée en vainqueur…et merde je me plante de chemin, je remonte vers le refuge, et le bon tracé était vers le bas.
Je redescends sur une paroi très dangereuse, un moment de solitude où je me fais une frayeur ; je trouve une trajectoire idéale, et mon guide revient à ma hauteur : on papote, je lui narre mon périple et je repars vers de nouvelles aventures en solo, pas pour longtemps…
7h56
Point de contrôle « Ballone », le premier où je prends le temps de papoter et de me restaurer, les présentations de coutume avec Damien, et oui, on parle mais je ne sais pas à qui depuis le début !
A mon habitude, je ne m’attarde pas sur le ravito, j’en profite pour faire le clown sur les photos des bénévoles, et sort mon panneau #Uni Pour l’Autonomie. Je fais une dizaine de photos, je remercie la fine équipe, demande à Damien de se dépêcher, j’ai un rendez vous avec la ligne d’arrivée…je décolle avant lui, je connais le nom du prochain bourreau ……« Ciottulu Di IMori »
9h26
600m D+, 2km environ « Ciottulu Di IMori » le coupeur de tête est un mauvais souvenir.
Le sommet est atteint et le sportif aussi, le soleil commence à être présent, le chemin est impraticable ; je n’ai pas pris de talc pour le parcours d’escalade, mais à certains moments je pourrais en avoir besoin : une paroi rocheuse et plus est, limite dangereuse……ils sont fous ses Corses !
Un plein d’eau…pas plus ? Moi qui comptais faire un festin au sommet, une simple fontaine à eau et des bénévoles la bière à la main…
- Donnez nous à manger…please help
- Vous descendez et vous avez le prochain ravito !
- Ok !
- Dans 2 h…
- Oups !
10h44
Après 1h10 de descente magnifique – où je lève un peu les chevaux pour ne pas aller au tapis (même si j’avais vraiment envie de lâcher le troupeau…) – j’arrive après avoir rencontré une bonne vingtaine de randonneurs.
« Verghju »…oui ils écrivent bizarre ici, alors la prononciation « Vergio » est plus simple ; c’est un point stratégique de la course.
J’estime que 60km tout le monde peut le faire, mais après, on rentre dans le dur : 4600m D+, 62km, 11 heures de course, la première partie est très bien passée.
C’est ici que nos sacs de transition nous attendent.
Je déborde d’énergie, je cherche mon sac, les bénévoles me demandent à plusieurs reprises de m’asseoir, mais j’ai une seule obsession : trouver mon sac, tout en me déshabillant,…enfin je l’ai !!!
Un bénévole insiste pour me faire asseoir, mais je n’ai pas le temps, je chope mon tee-shirt de notre association tout en expliquant l’histoire de Fred.
Cette histoire injuste, j’explique pour qui je cours, les larmes montent, une bénévole comprend où je veux en venir, j’ai du mal à retenir mes larmes, elle dégaine son téléphone et immortalise le moment.
Le seul but étant de se faire voir, de sensibiliser sur son histoire, et de montrer que 5 minutes de perdues sur une course : c’est possible ; alors pour lire son récit de vie, comprendre sa situation : c’est faisable.
Je lui communique mon numéro de portable, en espérant avoir la photo. Heureusement après la course, grâce à l’organisation, j’ai retrouvé cette personne.
Entre-temps Damien m’a rejoint, sa famille l’assiste, on sent que c’est rodé.
Je finis de changer les chaussures, les chaussettes, sweat, casquette, montre, tout y passe, je suis tout beau… J’avale une soupe et fait le plein du sac.
On m’annonce l’abandon de Fabrice d’Aletto, le vainqueur en titre.
« Tu es top 10 » et dans la foulée « tu as 5 coureurs à 5 minutes ».
Les minutes Corses étant plus longues, je l’apprendrai à mes dépens.
Je pars précipitamment, comme un bleu….quel con !!!!!
J’essaie de faire l’effort pour les reprendre, « Bocca A Reta », une bosse que j’avale sans effort, le ravitaillement a fait effet.
Je croise un berger assis sur une de ces deux juments qui me guide dans la montée, ce qui n’empêche pas de me perdre, enfin, je bascule vers le prochain ravito.
Les kilomètres passent et je ne verrai personne. Plus de 15 minutes de retard sur eux, le tableau de passage vient de parler en écrivant ses lignes…je suis partie à la chasse trop tôt, et mes cartouches son vides.
12h32
« Ninu », une belle réserve d’eau, et j’aperçois un concurrent revenir à grands pas. Arrêté au ravito, Benoît me rejoint, et me confirme que mon compagnon de route a pris du retard. « Et merde, un coup de moins bien pour lui… »
Je pars avant lui, « Vaccaghja » en vue, 6km de descente pas trop techniques, et il revient à nouveau sur moi.
On papote, on rate le chemin, et oui beaucoup de fausses routes sur cet Ultra. Je le vois facile dans les côtes et arrive devant nous un petit bijou d’escalade sur 5km et environ 600m D+. Cette bosse est un tournant dans ma course :
- le moment de se séparer avec mon compagnon le plus frais,
- le moment du combat avec « Bocca Alle Porte »,
- le moment où le doute a pris le dessus,
- le moment où j’ai baissé ma garde,
- le moment où le chrono s’est arrêté 2 minutes, assis sur un cailloux,
- le moment où je pense à Fred, et à mon père là-haut,
- le moment où la petite voix te dit « tu as toujours tout fini »,
- le moment où je n’ai pas le droit de rendre les armes,
Je reprends le dessus, j’aperçois Damien qui accusait plus de 10 minutes de retard au dernier pointage, revenir sur moi.
Franchement, j’étais heureux de le retrouver, il est plus facile que moi, et ouvre la voie.
Le sommet arrive, la culbute se fait à mon plus grand soulagement. C’est parti, direction le poste de contrôle n°9, je temporise, et je n’essaie pas de taper dans la machine, j’ai pris une leçon de sport, la prochaine fois je ne partirai pas trop tôt à la chasse aux concurrents !!
15h25
Le soleil ne nous a pas épargnés, « Bocca Soglia » est là. Le ravitaillement bienvenu, le jeune loup est là avec moi, il repart, et j’emboîte le pas prudemment.
Il reste encore une belle surprise avant la soit disant descente finale.
16h17
« Grotelle », la famille de mon guide personnel est là, on arrive au poste de contrôle n°10.
Je plonge la tête dans la cuvette des éponges, bombe de froid sur les jambes, crème solaire, la totale…on nous dorlote.
La pause photo, et c’est reparti sans vraiment se presser en ne se souciant plus trop des modifications du classement, résolu à faire 11ème.
Tout droit dans le sentier, direction le dernier gros effort « Cappelaccia »
« Ah on est gâté !!!! »
Des fois qu’il nous resterait trop de force à l’arrivée, on monte tant bien que mal cette voie vers un Everest à 2210 mètres, on est bien là…
La Corse c’est comme un sèche linge, tant qu’elle t’a pas bien séchée, le cycle continu.
18h24
« Alzu », le dernier ravitoooooo !!!! Ça veut dire que c’est presque fini.
On nous annonce un concurrent dans le mal juste devant nous à même pas 10 minutes, tandis que l’on aperçoit en haut dans le vallon des concurrents revenir.
Ni une, ni deux, pas le temps de festoyer, on décolle du buffet à volonté.
Une seule idée en tête, comme un accord, rentrer dans le top 10.
Je suis chaud patate, et demande à Damien s’il est prêt pour envoyer dans la descente ? Prêt à perdre les ongles des gros orteils, que j’ai pris le soin d’arracher avant le départ pour la Corse… Les deux ont sauté suite à mes dernières courses à taper dans la caillasse.
Il me suit tant bien que mal, je lève le pied à plusieurs reprises, il me propose de partir solo, faire ce top 10, ce serait mal me connaître. Homme de parole et de fidélité, quelques temps auparavant j’avais déjà évoqué de finir ensemble, mais l’envie de déclencher la machine est grande.
Je lui propose de partir solo, pour rattraper le concurrent dans le mal, et le faire capituler en attendant le retour de Damien.
Feu vert, j’envoie du bois, 30 minutes plus tard au chrono, après le dernier ravito, je n’aperçois personne.
Il faut se rendre à l’évidence, les minutes Corses sont plus longues, je lève le pied, prend le temps d’une pause vidange, j’avale un cachet de BCAA qui manque de me crever, la trachée est rétrécie, putain…je m’étouffe. Impossible de le recracher, je me pète les abdos en forçant…il finira dans le précipice.
Mon ami du jour a bien géré sa descente, il est déjà là, et nous repartons en promenade. « Russulinu », » Anchja » il paraît que c’est une descente ?!
De bonnes petites relances et des cailloux, un slalom de plus, Damien est aux avants postes, nos rythmes sont différents, j’accélère, ralentis, marche à plusieurs reprises, impossible de trouver le tempo pour être dans l’aspiration, je le laisse nous diriger vers la fin, le genou me rappelle ma blessure 3 mois auparavant, je décide d’assurer la fin en modérant ma course, mais la peur de me faire rattraper par le collègue de Damien me fait changer d’avis, tant pis le genoux, on verra a l’arrivée (finalement RAS).
Cette descente interminable est avalée, on aperçoit « la Belle », dans le fond de la vallée. On l’a découvre sous un autre angle, heureux de la voir se dévoiler à nous…CORTE est là.
1h54 de descente/ relance, nous voila aux portes de la Citadelle.
Les gens nous applaudissent à tout va, une série de marches, et des applaudissements chaleureux nous accueillent, dernier virage nous voici sur le cours Paoli, l’avenue principale est jonchée de dizaines de restaurants et de terrasses envahies de supporters, on y est bordel !!!
Main dans la main sous une foule en délire, on passe en 11ème position la ligne, il est 20h18.
On a passé 20h50 à visiter ce beau pays au relief accidenté et vertigineux, parfois dangereux.
La Corse est belle, le Corse est beau, vous allez bien ensemble, soyez en fiers.
Steph qui ne manque pas de souligner notre performance. Dernière photo, dernière accolade avec mon ami du jour, un réel plaisir d’avoir fait une fois de plus sur mon 3ème Ultra, un finish, main dans la main.
Il est temps de retourner se doucher, verser quelques larmes au détour des ruelles, au retour vers mon logement.
Ma femme au téléphone, je suis déçu, déçu d’avoir passé un moment de moins bien, déçu d’avoir raté mon objectif du jour : je voulais secrètement faire 8ème, comme ce jour des récompenses, ce 8 juillet, ton anniversaire…cela aurait été mon plus beau cadeau.
Hélas je suis passé à coté, ce héros malgré toi, j’ai pris perpette avec toi….papa tu me manques.
Il m’aura fallu 36 heures de recul, et un top 10 au classement UMNT pour me consoler, pour prendre conscience que le parcours jusqu’ici est beau.
Un grand merci à Thierry Huc RRun-Albi pour m’avoir aidé avec Compressport.
Un grand merci à vous tous, les messages avant, pendant et après la course, surtout n’arrêtez jamais !!!
Et je ne sais pas si un simple « merci » à mes enfants et ma femme suffira. Il faudra plus d’une vie pour rattraper ces jours d’absence en solitaire. Pendant ces longs entraînements où je comptabilise les heures d’efforts, auxquelles les heures de déplacement sur les différents sites d’entraînements sont ignorées. Je pense beaucoup à eux, mais ils savent que j’ai besoin de ça : I LOVE YOU !!!!!.
Rendez-vous au prochain récit de course. La saison « derrière les fourneaux » va commencer, et l’association UNI POUR L’AUTONOMIE va prendre plus de place, je l’espère.
Sportivement
Jérémy, un ami qui vous veut du bien.
Ps :Merci a Marie-Laure et Romain pour la relecture