Quand le cliché devient cliché
chaussures de trail Salomon Speedcross 5
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Il fait encore nuit quand le photographe de trail se met en route.
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Un sac de 10 kilos sur le dos, des batteries pleines, un café tiède dans l’estomac et l’envie de capter un moment pur. Ce photographe de trail ne cherche pas la gloire, il cherche la lumière, la vérité, ce petit truc brut qui donne tout son sens à l’image. Et vous, les coureurs ? Vous lui offrez le même sketch à chaque fois : un V de victoire sorti de nulle part, un signe rock grimaçant, ou pire… les bras écartés façon goéland égaré.
Dans une vidéo pleine d’autodérision, postée récemment sur les réseaux, l’un d’eux dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « Je me lève avant les oiseaux. Je grimpe avec 10 kilos de matos. Tout ça pour capturer un regard… Et vous, vous me donnez ça ? » La communauté a éclaté de rire. Mais dans ce rire, il y avait une petite vérité piquante.
Parce que derrière l’humour, il y a un constat : on répète tous les mêmes gestes. On fait tous les mêmes grimaces. Et on oublie parfois que ces images pourraient être autre chose qu’une énième pose forcée. Une vraie trace d’effort. Une émotion brute. Ce que ces photographes viennent chercher à la frontale, quand tout le monde dort encore.
Pourquoi on fait ça devant les photographes de trail ?
La réponse est simple : on panique. Quand on voit un objectif, on se transforme. D’un coup, le naturel s’efface. La peur d’avoir l’air fatigué, sale ou ridicule prend le dessus. Alors on compense. On lève les bras. On fait le signe de la paix. On mime le rockeur. Parfois, on tente même un sourire crispé, façon « je suis mort mais je veux une photo cool pour Insta ».
C’est un réflexe de protection. On ne sait pas quoi faire, alors on fait quelque chose. Et ce quelque chose, c’est souvent… n’importe quoi. Comme le résume un coureur en commentaire : « J’ai toujours peur que si je fais rien, ma photo finira jamais sur le site. »
Mais les photographes, eux, ne cherchent pas forcément de pose. Ils traquent l’émotion, le relâchement, la beauté de l’instant. Pas besoin de lever les bras pour paraître vivant. Il suffit d’être là. Présent. Vrai. Et parfois, fatigué, crotté, mais sincère. C’est tout ce qu’ils demandent.
Une question de culture et d’époque
Si on fait toujours les mêmes gestes, ce n’est pas seulement parce qu’on panique. C’est aussi parce que notre époque nous a conditionnés à performer devant l’objectif. La culture de l’image est devenue centrale : on ne court plus seulement pour soi, on court aussi pour exister en ligne. La trace GPS, le selfie d’arrivée, la photo officielle… chaque moment doit être documenté. Sur Instagram ou Strava, l’image compte parfois autant que la performance.
Alors, inconsciemment, on rejoue des codes que l’on a vus ailleurs. Le « V de la paix » est devenu un raccourci universel pour dire « je vais bien ». Les bras levés, c’est le signe de la victoire, même au kilomètre 37 d’un trail où on n’a encore rien gagné. Et ce sourire forcé, c’est la preuve qu’on reste « présentable », même couvert de boue. Tout cela traduit une pression sociale : il faut paraître heureux, il faut montrer qu’on gère, il faut avoir l’air fort.
Mais cette standardisation des attitudes a aussi un effet pervers : elle efface la singularité de l’instant. Là où le trail devrait montrer la diversité des émotions – la fatigue, la douleur, le doute, mais aussi l’euphorie et la grâce – on aboutit à une uniformisation de clichés. Des images qui se ressemblent toutes, alors que chaque course est unique.
Personne ne nous demande de poser comme Kilian Jornet en couverture de l’Equipe. On sait qu’on est cuits, crottés, au bout de notre vie. Et c’est ça qui est beau. Mais si nous pouvions éviter de sortir le sempiternel « V de la paix » ou les bras d’avion au kilomètre 92, ce serait sympa.
Pas pour nous. Pour lui. Pour ce photographe qui a grimpé à 4 h du mat’ avec ses 10 kilos de matos, qui s’est gelé les doigts, et qui espérait juste une image sincère, pas une pub.
Alors oui, continuons de courir comme nous sommes. Mais la prochaine fois que nous voyons un objectif, rangeons nos doigts. Et laissons parler nos jambes.
Résumé
Les photographes de trail en ont marre de voir toujours les mêmes poses sur les sentiers : le V de la paix, le signe rock, les bras en avion… Dans une vidéo humoristique devenue virale, l’un d’eux interpelle les coureurs : « Rangez vos doigts, soyez naturels. » Pourquoi ces réflexes absurdes ? Parce que face à l’objectif, on panique, on veut « faire quelque chose », quitte à ruiner la spontanéité. L’article rappelle, avec humour et tendresse, que les plus belles photos sont souvent celles où l’on ne joue pas. Alors la prochaine fois, laissez tomber les signes… et courez juste.
FAQ
Pourquoi répète-t-on toujours les mêmes gestes devant les photographes ?
Parce qu’on reproduit des codes culturels vus ailleurs. Les bras levés, c’est l’image de la victoire. Le « V de la paix », un raccourci universel pour dire « je vais bien ». Ces gestes rassurent, mais ils uniformisent les photos.
📚 Lecture socio : Le sociologue Erving Goffman parlait de mise en scène de soi. Devant un objectif, on joue un rôle. Ces gestes ne sont pas spontanés : ce sont des stratégies pour contrôler l’image que les autres garderont de nous.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans ce réflexe ?
Enormément. Aujourd’hui, une photo de trail n’est pas qu’un souvenir, c’est aussi une publication potentielle. On court pour soi, mais aussi pour Strava, Instagram ou Facebook. Du coup, on anticipe le regard des autres. On se met en scène.
📚 Lecture socio : L’image devient un capital symbolique (Bourdieu). Partager sa photo, c’est prouver qu’on était là, montrer qu’on fait partie de la communauté, chercher une reconnaissance sociale. Le trail se vit dans la boue, mais aussi en ligne.
Est-ce que c’est nouveau ?
Oui et non. Les coureurs ont toujours levé les bras en franchissant une ligne d’arrivée. Mais désormais, chaque instant du trail peut être photographié et diffusé. On est passés de la photo unique de finisher à une série d’images calibrées pour les réseaux.
📚 Lecture socio : Bourdieu parlerait d’habitus : on intériorise des comportements collectifs et on les répète sans réfléchir. Résultat : une standardisation des attitudes, qui gomme la singularité des émotions vécues.
Pourquoi est-ce que les photographes regrettent ces poses ?
Parce qu’elles gomment l’authenticité. Ce qui les intéresse, ce sont les moments bruts : un visage marqué, une foulée cassée, une émotion inattendue. C’est ça qui raconte une histoire. Pas un sourire forcé au kilomètre 92.
📚 Lecture socio : Ici, on touche à la tension entre authenticité et représentation. Les photographes veulent l’instant réel, les coureurs préfèrent l’image héroïque. C’est le conflit entre vérité vécue et vérité mise en scène.
Finalement, qu’est-ce que ça dit de notre époque ?
Que même en trail, une discipline censée incarner la nature, l’effort et la sincérité, on n’échappe pas à la culture de la performance… visuelle. On ne court pas seulement pour aller au bout, on court aussi pour « poster » qu’on y est allé.
📚 Lecture socio : Guy Debord parlait de société du spectacle : l’expérience personnelle n’existe plus sans validation par l’image. Dans le trail, le cliché devient à la fois mémoire, preuve et monnaie sociale. Le spectacle envahit même la montagne.
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