L‘ultra-trail n’est pas seulement un sport.
C’est un révélateur de société. La course à pied, longtemps perçue comme une activité de loisir individuelle, a subi au fil des décennies de profondes mutations. Le sociologue Olivier Bessy, spécialiste des pratiques sportives en milieu naturel, identifie 5 grandes révolutions qui ont modifié en profondeur notre manière de courir — et surtout, notre rapport au monde.
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Les 5 révolutions de l’ultra-trail
Première révolution : la liberté de courir (années 70)
Tout commence à la fin des années 60. Jusque-là, courir était un acte réservé à la compétition et aux stades. Avec mai 68, un souffle nouveau traverse la société : l’individu revendique sa liberté. C’est l’époque où l’on commence à courir dans la rue, dans les parcs, sur les chemins. La course à pied devient une manière d’exister en dehors des structures, sans club, sans entraîneur, sans chronomètre. Les femmes y accèdent enfin en nombre. C’est la naissance du jogging citoyen. Un acte d’émancipation physique autant que symbolique.
Deuxième révolution : la culture de la performance (années 90)
Trente ans plus tard, le contexte change radicalement. La société entre dans l’ère de l’accélération. Productivité, rentabilité, dépassement de soi deviennent les nouveaux mantras. La course à pied suit le mouvement. On ne court plus seulement pour se sentir libre, mais pour se surpasser, battre des records, repousser ses limites. C’est l’essor des plans d’entraînement, des courses mesurées au millimètre, des montres GPS. L’ultra-trail fait son apparition comme terrain d’expérimentation extrême. Il ne s’agit plus de courir, mais de vaincre la distance.
Troisième révolution : la mise en scène territoriale
Avec l’explosion des grands événements, la course à pied devient aussi un outil d’attractivité. Des territoires comme Chamonix ou La Réunion s’en emparent pour raconter une histoire : celle de la nature, de la montagne, de l’exploit. L’UTMB ou la Diagonale des fous ne sont pas seulement des épreuves, ce sont des vitrines touristiques, des récits médiatiques, des marques à part entière. Derrière chaque dossard, il y a une économie : hôtels, restaurants, équipementiers, chaînes YouTube. L’événement sportif devient une industrie.
Quatrième révolution : retour à l’authenticité
Face à cette démesure, une nouvelle tendance émerge. Des coureurs, lassés par l’ultra-marketing et la surenchère de performances, cherchent à revenir à des formes plus sobres, plus conviviales. Ce sont les trails à taille humaine, les courses solidaires, les formats off ou sans classement. On valorise la simplicité, l’expérience, la nature. L’engagement écologique devient une boussole. L’ultra n’est plus un défi de l’ego, mais un prétexte au partage, à la reconnexion. Bessy parle ici d’une “transmodernité” du sport : une manière de réconcilier corps, valeurs et environnement.
Cinquième révolution : la quête de sens
Dernier virage, plus profond encore : courir devient un acte existentiel. Ce que l’on cherche à travers l’effort, ce n’est plus la victoire, mais un sens à donner à sa vie. L’ultra-trail, par son intensité, crée des expériences de transformation. On affronte la nuit, la douleur, le doute. On se reconstruit dans l’effort. Le corps devient un territoire à redécouvrir. La souffrance une forme d’élévation. Dans un monde saturé de stimuli et d’incertitudes, ces moments de dépouillement total deviennent précieux. La course à pied devient une philosophie.
En résumé, à travers ces 5 révolutions, Olivier Bessy montre que la course à pied est un miroir de nos évolutions sociales.
Elle reflète nos besoins de liberté, de reconnaissance, d’appartenance, d’engagement et de sens. Elle est à la fois un sport, un langage, un outil de transformation. Et si courir n’était plus un simple effort physique, mais une manière d’habiter le monde autrement ?





