Deux semaines après sa traversée de l’Atlantique, l’ultra-traileur se prépare à courir 134 kilomètres avec une côte cassée, un cardio à plat et un mental vidé. Pourtant, il n’a pas renoncé à s’aligner sur la Transmartinique. Après 19 jours de mer, un classement en queue de peloton et une arrivée sous les tropiques, Mathieu Blanchard ne masque pas son état : il est vidé. Physiquement, mentalement, émotionnellement. Le corps accuse le coup, la tête aussi. Et si l’ultra-traileur affiche comme toujours sa volonté d’aller de l’avant, il admet pour la première fois être réellement à sec.
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Le défi de Mathieu Blanchard était immense : traverser l’Atlantique en course au large, sans réelle expérience, à bord de l’Imoca MSIG Europe en binôme avec Conrad Colman.
L’aventure s’est avérée bien plus éprouvante que prévu. Dès les premiers jours, la fatigue s’est accumulée, les nuits ont été fragmentées en micro-siestes, les émotions comprimées dans l’espace exigu du voilier. Arrivé en Martinique, il aurait pu lever le pied. Prendre le temps de récupérer. Mais fidèle à son tempérament, c’est déjà sur un autre terrain que ses pensées se projettent : la Transmartinique. Une épreuve de 134 kilomètres sur un terrain technique, tropical, étouffant. Et le calendrier est serré : l’épreuve est prévue le cinq décembre.
Mathieu Blanchard ne le cache pas : son état de forme est préoccupant.
Lui qui a toujours été capable d’évaluer ses sensations avec précision, avoue cette fois ne rien maîtriser. Il reconnaît qu’il est au plus bas. Les séances de reprise sont douloureuses, le moindre fractionné en montée lui laisse un goût amer. À cela s’ajoute une fracture d’une côte qu’il doit désormais ménager. Courir est devenu pénible. Respirer à fond, aussi. Chaque inspiration profonde réveille la douleur. Et pourtant, malgré ce tableau clinique peu rassurant, l’idée de prendre le départ de la Transmartinique ne l’a pas quitté.
Derrière cette décision se cache un projet bien plus personnel qu’une simple participation. L’ultra-traileur explique vouloir se tester dans des conditions extrêmes, volontairement défavorables.
La Transat a tout lessivé : cardio, muscles, repères. Il considère cette déconstruction comme un point de départ. Une manière de voir jusqu’où l’on peut rebâtir un corps détruit par l’aventure, en à peine quinze jours. Cette démarche n’est pas motivée par un esprit de revanche, ni par l’orgueil. C’est un laboratoire d’expérimentation, un terrain de jeu mental et physique où il veut observer les réactions de son organisme. Il ne recommande à personne de l’imiter. Il insiste même sur le fait que, s’il était coach d’un autre athlète dans cet état, il déconseillerait formellement de tenter l’aventure.
La douleur de la côte cassée est intense. Mais ce qui semble peser le plus sur Mathieu Blanchard, c’est le vide mental.
Celui qui, même dans les pires cols de l’UTMB, a toujours su puiser dans ses ressources intérieures, dit aujourd’hui ne plus en avoir. La Transat lui a tout pris : sommeil, lucidité, énergie nerveuse. Les réveils sont lents, les entraînements se font mécaniques, l’envie est là mais l’élan manque. Il le reconnaît : il a atteint ses limites. Pas celles du corps, qu’il sait capable de miracles. Celles de l’esprit, plus fragiles, plus subtiles. Et pour les restaurer, il mise sur le cadre de la Martinique : le soleil, les paysages, l’ambiance détendue. Il court doucement, souvent accompagné de Conrad Colman, son coéquipier de mer devenu partenaire d’entraînement à terre. Blanchard connaît bien cette course. Il l’a remportée en 2017. Il en garde un souvenir fort, mais aussi une conscience aigüe de sa difficulté. Car les cent trente-quatre kilomètres ne disent pas tout. Le terrain est hostile, la chaleur accablante, l’humidité omniprésente, et certains tronçons autour du volcan sont si techniques qu’ils transforment chaque kilomètre en un effort démesuré. Il arrive parfois de passer plus de trente minutes sur une seule borne. Même les Alpes ne proposent pas ce type d’épreuve.
Aujourd’hui, il sait qu’il n’est pas prêt. Il l’assume.
Il espère pouvoir l’être à temps, mais s’autorise à renoncer. S’il ressent que le corps ne suit pas, ou que la douleur devient ingérable, il ne prendra pas le départ. Il refuse l’idée de participer pour abandonner en chemin. Ce serait trahir son projet. Il ira seulement si son corps le laisse faire, et si l’envie dépasse la souffrance. Le plus grand bouleversement de cette expérience semble se jouer ailleurs que dans les muscles. C’est une transformation intérieure. L’ultra-traileur affirme en ressortir changé. L’océan l’a rendu plus humble, plus vulnérable, plus attentif à ses limites. Il ne nie pas que l’envie d’un jour vivre en mer, sur un voilier, commence à germer. Il a découvert un autre monde, plus dur, mais aussi plus vrai. Ce n’est pas une parenthèse. C’est une ouverture. Une façon différente de vivre l’effort, d’habiter l’espace, de gérer le temps.
Malheureusement, sa manière de parler de sa souffrance, avec une grande transparence, est parfois mal perçue ou mal comprise.
Certains internautes, exposés à ses confidences répétées sur la douleur, le doute ou la fatigue mentale, ne saisissent pas toujours la portée introspective de sa démarche. Mais derrière cette parole crue, il n’y a ni plainte ni recherche d’attention : seulement le besoin de mettre des mots sur une reconstruction en cours, dans un moment de grande fragilité.
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