Raidlight 2025 : du sport au glamour, un virage assumé… et problématique
En publiant cet article, nous savons que nous tombons aussi dans le panneau : parler de cette campagne, c’est contribuer à l’effet recherché par Raidlight, c’est-à-dire faire du bruit autour d’un message discutable. Mais ignorer ce type de communication reviendrait à laisser passer, sans critique, un usage des clichés qui finit par façonner l’image du trail. Notre objectif n’est donc pas de nourrir gratuitement leur visibilité, mais d’ouvrir un débat nécessaire sur les dérives possibles du marketing sportif.
Raidlight semble avoir renouvelé son positionnement marketing en 2025 et ne le lâche plus : provoquer un débat en juxtaposant exploits sportifs et codes glamour. Après la séquence “badass & sexy” autour d’Asimina, assumée telle quelle par la marque, on a eu droit au “le patron et SURTOUT SA FEMME se déshabillent pour le Made in France”, puis, cette semaine, au portrait de “Patty – l’UltraTraileuse Féminine”, où l’on souligne qu’elle boucle 220 km “sans oublier son gloss”. Tout est vrai, tout est public… et tout raconte une même histoire : l’athlète existe, mais l’apparence fait l’angle.
Sac de Trail Dynamic 10L avec carquois intégré
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Ce qui surprend encore plus, c’est le peu de place laissé au “Made in France” dans cette communication. C’est pourtant un atout majeur, rare dans le monde de l’outdoor, et qui pourrait devenir un pilier fort de l’identité de la marque. Valoriser le savoir-faire local, l’emploi en France et la qualité de fabrication aurait pu fédérer coureurs, consom’acteurs et amoureux du matériel durable. Mais ici, l’argument est relégué au second plan, écrasé par le choix d’un message visuel provocateur. Un paradoxe : on possède une carte maîtresse crédible et fédératrice… et on la joue en arrière-plan pour privilégier un buzz éphémère.
Pourquoi cette stratégie pose question
Patty MadeinItaly, ambassadrice Raidlight depuis 2021, vit dans les Monts d’Or. Venue du CrossFit et des Spartan Race, elle découvre la course en 2019 en bouclant le marathon de Paris. Depuis, elle enchaîne les défis : SainteLyon, LyonSaintéLyon, Lavaredo Ultra Trail (80 km) et 220 km dans le désert marocain au Raidlight Desert Trophy. Son style assumé – gloss compris – sert un vrai message : le trail est accessible à qui ose et se donne les moyens. Rien à redire là-dessus : c’est inspirant et légitime.
Le “male gaze” : quand le marketing réduit la sportive à son image
Là où ça coince, c’est le cadre. Sur le plan féministe, la répétition d’un même “storytelling” – cadrage serré sur l’apparence, adjectifs sexualisés, recours au déshabillage “pour la bonne cause” – recycle une vieille mécanique : le “male gaze”, cette manière de regarder les femmes d’abord comme des objets visuels au service du récit (ou du produit), avant d’être des sujets de leur performance. Qu’on le veuille ou non, ce cadrage existe, il est documenté, et la publicité sportive n’y échappe pas. On peut jouer les décontractés en disant “ce n’est qu’un slip ou du gloss”, mais la somme des signes finit par peser sur la représentation des sportives.
Le “postféminisme” de vitrine : l’émancipation conditionnée par l’apparence
Le message sous-entendu, c’est “tu peux tout être à la fois : forte, sexy, performante”. En théorie, oui. En pratique, cette rhétorique devient un impératif implicite pesant surtout sur les femmes, qui doivent cocher toutes les cases là où les hommes sont d’abord jugés sur la performance. Les travaux de recherche décrivent bien cette “sensibilité postféministe” où l’auto-affirmation cohabite avec des normes esthétiques toujours plus exigeantes. Ce n’est pas interdire le maquillage ; c’est interroger pourquoi l’esthétique demeure la porte d’entrée du récit quand il s’agit des athlètes féminines.
L’invisibilisation douce : moins de sport, plus de vernis
À force d’écrire les posts à travers l’angle glamour, on parle moins d’entraînement, de charge, d’allure, de dénivelé, d’index, bref de sport. Or le trail a besoin de modèles qui mettent en avant la compétence, pas le look. On sait depuis des années que, même aux Jeux, les athlètes féminines doivent encore “vendre” leur image plus que leurs chronos pour attirer des sponsors : cette asymétrie ne sort pas de nulle part, elle est le produit cumulé de nos représentations.
Le vrai problème : l’emballage prend le pas sur l’exploit
Le problème n’est pas que des coureuses se maquillent, posent, ou jouent avec les codes. Le problème, c’est le choix éditorial d’une marque qui, à répétition, fait primer l’emballage sur l’exploit et confond empowerment et “empowerment-washing”. En trail, l’ADN devrait être simple : parler d’endurance, de gestion d’effort, de stratégie, de matériel pensé pour courir loin et longtemps… pas d’abord de mascara waterproof.
Ce que ferait une marque vraiment moderne ? D’abord, raconter le sport. Chiffrer l’entraînement, expliciter les plans, célébrer les progrès, raconter les produits, parler de plaisir. Ensuite, si l’athlète veut jouer le style, le faire en second plan, à sa main, sans que la caméra fige constamment l’attention sur son corps. Enfin, appliquer la symétrie : si la sensualité devient un code de la marque, qu’on l’assume aussi avec les hommes – ou alors on admet que ce n’est pas un “code”, c’est un double standard.
Parce que, répétons-le, ce n’est pas l’athlète la cible ici. Patty est solide, drôle, solaire. C’est la mise en scène qui est lourde. Et quand une marque répète ce schéma – “sexy”, “déshabillage”, “gloss” – ce n’est plus de l’audace. C’est un positionnement. Libre à elle. Libre à nous de dire que, pour le trail, c’est un mauvais signal.
📌 FAQ Marketing sportif – version « pour les nuls »
Qu’est-ce qui rend le marketing sportif différent du marketing normal ?
On ne vend pas juste un produit, on vend une émotion. Un maillot, une paire de chaussures ou un dossard ne valent rien sans l’histoire et la passion qui vont avec.
C’est quoi le storytelling sportif ?
C’est raconter une course comme une aventure, avec des héros (les athlètes), un défi (gagner, finir, battre un record) et des obstacles (météo, blessures, concurrence).
C’est quoi le “male gaze” ?
C’est quand on filme ou décrit les femmes comme si on les regardait toujours avec un œil masculin qui s’attarde sur l’apparence plutôt que sur la performance.
Et le “postféminisme” marketing ?
C’est dire “tu peux être forte et sexy”, mais en montrant surtout le côté sexy. Ça donne l’impression que, pour être reconnue, il faut être performante ET jolie en même temps.
Pourquoi éviter de mettre trop de glamour dans le sport ?
Parce qu’on finit par moins parler de l’exploit sportif, et plus de l’image. On entretient des clichés où les hommes sont jugés sur leurs performances, et les femmes sur leurs performances + leur look.
Comment bien communiquer sur les athlètes ?
Parler d’abord de leur sport, de leurs résultats, de leurs entraînements, puis, si elles le souhaitent, montrer aussi leur style ou leur personnalité. Et traiter hommes et femmes pareil.
📚 FAQ Marketing sportif – version pour les experts
En quoi le marketing sportif diffère-t-il fondamentalement du marketing classique ?
Le marketing sportif se distingue par la nature de son “produit” : une expérience émotionnelle et sociale, souvent immatérielle, où la valeur perçue est fortement liée à l’attachement symbolique (à une équipe, un athlète, un événement). Contrairement à un produit de grande consommation, la performance sportive est imprévisible, et le récit autour de l’événement joue un rôle central dans la création de valeur. De plus, la temporalité est cyclique (calendrier de compétitions) et l’audience est fortement segmentée par la passion plutôt que par de simples données socio-démographiques.
Qu’est-ce que le “storytelling sportif” et pourquoi est-il si efficace ?
Le storytelling sportif consiste à transformer la performance en récit narratif, articulé autour de protagonistes (athlètes), d’un enjeu (victoire, record, dépassement de soi) et d’un contexte (lieu, conditions, rivalités). Il est efficace car il active les circuits émotionnels du cerveau : identification, empathie et projection. Les marques s’en emparent pour transférer la valeur émotionnelle de l’histoire sur leurs produits, créant ainsi un capital symbolique difficilement réplicable par un discours purement rationnel.
Comment le “personal branding” des athlètes redéfinit-il la stratégie des marques ?
Le personal branding des athlètes — la construction et la gestion de leur image personnelle — devient une ressource stratégique pour les marques. L’athlète n’est plus seulement un vecteur de performance, mais un média à part entière, capable de produire du contenu, de fédérer une communauté et d’incarner des valeurs. Cette évolution réduit la dépendance aux seules victoires sportives : un athlète charismatique, aligné avec l’ADN d’une marque, peut générer un retour sur investissement supérieur à celui d’un champion discret.
Qu’est-ce que le “male gaze” appliqué au marketing sportif ?
Le “male gaze”, théorisé par Laura Mulvey (1975), désigne une construction visuelle et narrative qui place le spectateur masculin hétérosexuel au centre, et cadre la femme sportive d’abord comme un objet esthétique plutôt que comme un sujet performant. Dans le marketing sportif, cela se traduit par des campagnes qui sexualisent les athlètes féminines ou insistent sur leur apparence plutôt que sur leurs résultats. Ce biais entretient un double standard : les hommes sont principalement valorisés pour leurs exploits sportifs, tandis que les femmes doivent répondre simultanément à des normes esthétiques.
Pourquoi parle-t-on de “postféminisme” dans la communication sportive ?
Le postféminisme marketing désigne une stratégie qui revendique l’émancipation et l’auto-affirmation des femmes, tout en conservant (voire en renforçant) des codes de séduction hérités de l’ère pré-féministe. Par exemple : promouvoir une athlète comme “forte et sexy” n’est pas problématique en soi, mais devient ambivalent si l’angle visuel et textuel se focalise quasi exclusivement sur la dimension “sexy”, reléguant la performance au second plan. Ce phénomène crée une injonction paradoxale : pour être reconnue, l’athlète doit exceller sportivement tout en respectant des normes esthétiques strictes.
Quels sont les risques d’une communication sportive centrée sur le glamour ?
Cette approche comporte trois risques majeurs : 1. Réduction de la compétence : l’athlète est perçue moins pour sa maîtrise sportive que pour son apparence. 2. Invisibilisation des performances : moins de mise en avant des données techniques (chronos, classements, entraînements). 3. Renforcement des stéréotypes : maintien d’une hiérarchie implicite où l’athlète masculine incarne la performance brute, et l’athlète féminine, la “performance + l’esthétique”.
Comment une marque peut-elle éviter ces écueils ?
En appliquant trois principes :
1. Symétrie de traitement : valoriser de la même façon les athlètes hommes et femmes.
2. Priorité à la compétence : raconter d’abord le sport (chiffres, stratégies, préparations), puis intégrer les éléments de style choisis par l’athlète.
3. Co-construction : impliquer l’athlète dans la conception du récit pour s’assurer que l’angle choisi correspond à sa vision personnelle et non uniquement aux besoins marketing.
Sources
- Cet article s’appuie sur les publications publiques de Raidlight sur Facebook et Instagram, notamment les posts consacrés à Asimina Igglezou, à la campagne “le patron et sa femme se déshabillent pour le Made in France” et au portrait de “Patty – l’UltraTraileuse Féminine”.
- L’analyse intègre des références académiques sur le “male gaze” (Laura Mulvey, 1975) et sur la “sensibilité postféministe” dans la représentation médiatique des sportives, ainsi que des travaux sur l’invisibilisation des performances féminines dans le sport.
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Cet article repose sur l’analyse de contenus publics diffusés par la marque Raidlight et sur une réflexion critique autour des représentations dans le marketing sportif. Il ne s’agit pas de dénigrer la marque ou ses athlètes, mais d’apporter un éclairage journalistique et sociologique sur les choix de communication observés. Les propos exprimés relèvent de l’opinion éditoriale et n’ont pas vocation à remettre en cause la valeur sportive des personnes citées. Droit de réponse possible sur simple demande.