Il ne dit rien. Il ne peut plus parler. Devant lui, un micro tendu, une question simple — « Comment ça va ? » — posée avec bienveillance par Patrick Montel.
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Christian Mauduit ne répond pas à Patrick Montel
Et pourtant, aucun mot ne sort. Juste une bouche entrouverte, un regard figé, les traits tirés, la boue collée au visage. L’image ne dure que quelques secondes, mais elle restera. Parce qu’elle montre quelque chose qu’on ne voit jamais : un corps qui lâche, un esprit qui vacille, une légende du sport saisie par la boue, la fatigue, le silence.
Ce coureur, c’est Christian Mauduit. Et ce qu’il vit là, en direct, au cœur du Trail des 40 Bosses, ce n’est pas une simple galère. C’est un moment de rupture.
Christian Mauduit n’est pas n’importe quel traileur.
Ancien champion du monde de Déca Ironman, multiple finisher de formats extrêmes, vainqueur du Tunnel — cette course d’un autre monde, où l’on court seul dans l’obscurité pendant des centaines de kilomètres — il a souvent frôlé les limites humaines. Il les a même redessinées.
Mais à Fontainebleau, ce week-end, ce n’est pas le mental qui l’a trahi. Ce n’est pas l’expérience. C’est la boue. L’implacable, l’incontrôlable, l’injuste. Celle qui colle, qui glisse, qui aspire. Celle qui rend chaque pas incertain, chaque montée grotesque, chaque descente dangereuse. Et sous cette pluie continue, dans une forêt devenue bourbier, même les plus solides ont vacillé.
La scène parle d’elle-même. Mauduit est debout, mais absent. Il n’a pas abandonné son dossard, pas encore. Mais il a déjà abandonné quelque chose : le besoin d’expliquer, l’envie de communiquer. Il est passé en mode survie. Et cela se voit.
Le palmarès hors norme de Christian Mauduit.
Athlète d’ultrafond depuis deux décennies, il a marqué l’histoire par une régularité et une résistance uniques. Champion du monde de Déca‑Ironman en deux mille dix, puis titré sur le Double Déca‑Ironman en deux mille dix-neuf, il s’est imposé comme l’un des rares Français capables d’aligner des formats extrêmes. À son actif, on compte quatre victoires aux mythiques « Six Jours de France » (deux mille quatorze, deux mille seize, deux mille dix-sept et deux mille vingt-quatre), ainsi que trois arrivées réussies sur le redouté Tunnel Ultra, dont la dernière en deux mille vingt-cinq après plus de cinquante heures d’effort. Il détient également la meilleure marque française de Backyard Ultra en deux mille vingt-deux avec cinquante et un tours, avant de porter ce record à cinquante-deux tours lors de l’édition deux mille vingt-quatre. Un parcours de vie qui traverse les tunnels, les nuits blanches, les couloirs d’effort, et qui explique pourquoi son nom revient toujours dès que l’on parle des plus grands du monde de l’ultra.
Le trail des 40 Bosses 2025 a été rendu inhumain par les éléments
Le Trail des 40 Bosses n’a jamais été une promenade de santé. Mais cette édition 2025 a tout emporté. Littéralement. Les statistiques sont effarantes : plus de la moitié des coureurs du 120 kilomètres ont abandonné. Certains ont chuté, d’autres ont crevé leurs chaussures. Plusieurs sont partis en vrac dans les descentes, d’autres ont glissé à genoux dans des montées devenues infranchissables. Le sol s’est transformé en patinoire marron, et les appuis ont disparu.
Les visages sont boueux. Les yeux rougis. Les jambes tremblent. Et pourtant, ils avancent. Des coureurs qui, pour certains, ont passé plus de vingt heures dehors, sous la pluie, dans le noir, à s’accrocher à des branches, à descendre sur les fesses pour éviter de tomber, à chercher un peu de solidité là où il n’y en avait plus.
Patrick Montel, fidèle à lui-même, est allé à leur rencontre. Caméra au poing, il a voulu faire parler l’effort, montrer la réalité, tendre le micro. Mais parfois, le micro n’est plus utile. Ce qui se passe est trop fort, trop brut, trop vrai. La parole n’a plus sa place.
Le Trail des 40 Bosses, c’est l’épreuve la plus redoutable d’Île-de-France.
Organisé chaque année à Saint-Leu-la-Forêt, en plein cœur de la forêt de Montmorency, ce trail ultra exigeant rassemble près de 3 000 coureurs autour de six formats, dont un 120 km cumulant plus de 5 500 mètres de dénivelé positif. Relances incessantes, terrain boueux, météo capricieuse : le parcours, accidenté et nerveux, n’épargne personne. Avec une barrière horaire de 25 heures, des descentes techniques et un enchaînement brutal de côtes, l’épreuve est devenue un rendez-vous culte pour les amateurs d’ultra en milieu non-montagneux. Cette 7e édition l’a encore prouvé : le Trail des 40 Bosses peut faire tomber les meilleurs.
Faut-il vraiment arriver là en trail ?
Alors forcément, la vidéo a divisé.
Beaucoup ont crié au génie : « Voilà ce que c’est le trail », « Le vrai », « Le dur », « Le grand ». D’autres, au contraire, ont froncé les sourcils : « Est-ce bien raisonnable ? », « Jusqu’où faut-il aller pour dire qu’on est allé au bout ? », « Quand on ne peut même plus répondre à une question, n’est-ce pas déjà trop tard ? ».
Le débat n’est pas nouveau, mais il prend ici une force particulière. Parce qu’il ne s’agit pas d’un coureur débutant, mal préparé, qui aurait sous-estimé l’épreuve. Il s’agit d’un athlète de très haut niveau, aguerri, lucide, intelligent. Et même lui, ce jour-là, n’a pas pu.
Alors on s’interroge : est-ce l’ultra qui est devenu fou, ou est-ce nous qui avons perdu la mesure ?
Peut-on continuer à considérer « normal » qu’un coureur traverse la nuit, la boue, la pluie, les crampes, les hallucinations, et finisse par ne plus avoir la force de répondre à une question simple ? Est-ce le prix à payer pour se sentir vivant, ou la frontière vers un autre monde — celui où la performance devient négation de soi ?
L’humanité derrière l’exploit
Ce qui est certain, c’est que Christian Mauduit, à cet instant précis, n’a rien à prouver. Il n’a pas besoin de parler. Il est allé au bout — de quoi, exactement, lui seul le sait. Il a été ramené par les secours. Il n’a pas franchi la ligne. Et alors ? Il a été au combat. Et c’est bien ce qu’on retiendra.
On le voit tituber dans la boue, mais debout. Il n’a pas lâché. Il s’est juste confronté à un terrain qui a eu raison de presque tout le monde. Un terrain qui, cette année, a décidé de rappeler aux traileurs que la nature ne se dompte pas, qu’elle impose ses lois, et que parfois, il faut savoir poser le genou à terre.
Christian Mauduit contraint à l’abandon sur le Trail des 40 Bosses
Après plus de 106 kilomètres parcourus en près de 22 heures, et plus de 4 300 mètres de dénivelé avalés, l’ultrafondeur a été stoppé avant la dernière bifurcation.
Il avait pourtant remonté plus de 80 places au classement, signe d’une course maîtrisée malgré la boue. Mais le corps a dit stop. Comme pour la majorité des coureurs : sur les 188 partants du 120 km, seuls 89 ont franchi la ligne d’arrivée.
Le trail des 40 Bosses 2025 affiche un taux d’abandon supérieur à 52 %.
Adrien Mondon remporte l’épreuve en 14 h 45 min 15 s, devant Dimitri Valsot (+1 h 10 min) et Baptiste Richalet (+1 h 11 min).
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