Entrainement trail & data-analyst : mathématiques, statistiques, data analyses
L’UTMB 2025 l’a confirmé : le trail de haut niveau ne se court plus uniquement avec le cœur et les mollets. Il se prépare aussi avec des modèles, des équations, et des scénarios anticipés. La data est partout, et derrière cette transformation silencieuse, on retrouve un homme de l’ombre : Joseph Mestrallet. Analyste de la performance, il a accompagné les deux vainqueurs de cette édition, Tom Evans et Ruth Croft, dans une approche qui pourrait bien changer le visage de l’entraînement en ultra-trail.
L’instinct ne suffit plus : place aux modèles
Longtemps, le trail s’est nourri d’intuition. On partait courir, on écoutait son souffle, on apprenait de ses erreurs. Mais depuis quelques saisons, l’élite du peloton s’appuie sur un tout autre registre. Avec Joseph Mestrallet, les mots clés sont “pacing”, “simulation”, “optimisation”. Car un UTMB ne se court pas en conditions réelles avant le jour J. Trop long, trop engageant, trop épuisant mentalement. Il faut donc simuler. Calculer. Prévoir.
Chaque séance d’entraînement devient une brique dans un édifice complexe. Les watts dépensés, la charge glycogénique, les fenêtres d’hypothermie, tout est anticipé à l’aide de scénarios multiples. On parle même de “cas non conformes”, comme dans l’aéronautique. Que faire si le parcours change ? Si la météo devient extrême ? Si l’athlète perd une flasque, ou vit un moment de flottement ? Ces situations sont analysées et intégrées en amont dans le plan.
La data-analyst dans l’entrainement trail, pour mieux ressentir, pas pour l’oublier
Face à cette approche très cérébrale, certains défenseurs de “l’esprit trail” montent au créneau. Ils craignent une perte de spontanéité, une déshumanisation du sport. Pourtant, la méthode Mestrallet ne vient pas remplacer l’instinct. Elle l’éclaire. “Je ne suis pas là pour contrôler les coureurs comme dans un jeu vidéo”, explique-t-il. “Je suis là pour leur offrir une grille de lecture. Une façon de mieux comprendre ce qu’ils vivent.”
Le travail mené avec Ruth Croft en est la preuve. En 2024, elle termine deuxième. En 2025, elle gagne. Non pas en répétant une formule magique, mais en acceptant de prendre davantage de risques, en s’appuyant sur les données de l’année précédente. Le tout sans jamais se couper de ses sensations.
Même chose pour Tom Evans. Sa victoire a été programmée sur dix ans. Pas dans le sens caricatural d’un plan militaire, mais dans la patience et l’intelligence de ses choix de courses, dans la rigueur de sa préparation mentale et physiologique. Joseph Mestrallet parle de “finir la course avant de la gagner”. Ce mantra, répété pendant des mois, s’est incarné dans un plan de course si solide que même la météo n’a pu le faire dévier.
Une nouvelle génération de coureurs, mais aussi d’entraîneurs
Ce virage vers la data n’est pas réservé aux athlètes. Il impacte toute la chaîne : les entraîneurs, les managers, les marques. Le team Salomon, par exemple, développe un programme de performance inspiré de ces logiques. L’enjeu n’est plus seulement de recruter les meilleurs coureurs, mais de leur offrir un cadre scientifique pour s’exprimer pleinement.
Ce changement de culture n’est pas sans heurts. En France, beaucoup résistent encore à cette approche. On oppose “data” et “sensations”, comme si elles étaient incompatibles. Mais dans le monde anglo-saxon, l’intégration des statistiques à l’entraînement est perçue comme une évidence. “Ce que fait Joseph devrait inspirer toutes les équipes”, plaide Vincent Viet, team manager chez Salomon. “Sinon, on continuera à perdre face aux pays qui ont déjà pris ce virage.”
La performance, mais pas au prix de l’humain
Pour autant, la data n’efface pas les émotions. Elle les rend plus lisibles, plus compréhensibles. L’UTMB 2025 n’a pas seulement été une démonstration technologique. Il a aussi offert des moments de grâce, des rebondissements, des gestes de panache. Camille Bruyas, deuxième après deux années de galère, a couru en parfaite osmose avec son plan… et avec elle-même. Courtney Dauwalter, malgré un jour sans, a terminé la course pour montrer que l’humain l’emporte toujours.
La data est là pour renforcer cette dimension, pas la nier. Elle permet d’adapter la stratégie si un passage devient trop bruyant, trop stressant. Elle aide à comprendre pourquoi un athlète craque à tel moment, et comment l’éviter la fois suivante. Elle donne de la profondeur à la performance.
L’entraînement trail entre dans une nouvelle ère. Ce n’est plus une affaire de solitude en montagne ou de plans griffonnés sur un carnet. C’est un laboratoire à ciel ouvert, où chaque battement de cœur devient une donnée, chaque gel une variable, chaque dénivelé une hypothèse. Et derrière cette révolution tranquille, il y a des profils comme celui de Joseph Mestrallet, qui construisent l’ultra de demain. Un ultra plus intelligent, plus exigeant, mais toujours aussi humain.