Les plans de pacing remplacent l’instinct, les data scientists prennent le pouvoir : le trail perd son âme ?
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Ce n’est plus une intuition, c’est un basculement. Le trail, né dans la poussière des sentiers et nourri d’intuition, de sensations, d’imprévu, est en train de devenir un sport de laboratoire. Il suffit d’observer ce qui s’est joué à l’UTMB 2025 pour le comprendre : derrière les victoires de Tom Evans et Ruth Croft, il y avait un jeune data scientist, Joseph Mestrallet. Et son constat est radical : « d’ici cinq ans, utiliser les data sera obligatoire pour gagner l’UTMB ».
La fin du “feeling” dans le trail (vous savez, courir aux sensations)
Le trail a longtemps été le refuge des coureurs en quête de liberté. Pas de chrono obsessionnel, pas de ligne droite. Un monde où l’on court autant avec les jambes qu’avec le cœur. Mais cette époque est peut-être en train de disparaître. Aujourd’hui, les performances se modélisent, les allures se prédéfinissent, les plans de course sont simulés à l’avance sur des tableurs codés en Python. Et ceux qui n’adhèrent pas à cette logique prennent le départ avec un temps de retard… sans même le savoir.
C’est ici que l’approche de Joseph Mestrallet bouscule tout. En modélisant l’évolution d’un athlète sur un ultra-trail, en tenant compte de son niveau de fatigue, de sa tolérance au stress, de la pente, de la météo, de l’altitude, il construit des stratégies gagnantes. Ce n’est plus du coaching, c’est de la science appliquée à la performance.
Une professionnalisation assumée
Faut-il s’en alarmer ? Après tout, le football, le cyclisme et même le marathon sont déjà passés par là. L’analyse des datas est devenue une norme dans le haut niveau. Le trail suivait une trajectoire à part… mais ça, c’était avant. Avant qu’un scientifique ne vienne bouleverser les codes. Avant que la “remontada” de Ruth Croft soit présentée comme un cas d’école de pacing millimétré, et non une simple démonstration de volonté ou de rage de vaincre.
Et les chiffres ne mentent pas : Enduraw, la start-up de Mestrallet, a explosé après l’UTMB 2025. Les élites s’y intéressent, le grand public commence à acheter des plans automatisés, les marques veulent s’associer à ce nouveau visage du trail. Le sport change, et l’industrie suit.
Mais à quel prix ?
Ce que beaucoup de coureurs redoutent, c’est l’effacement de la part humaine dans cette équation. Le trail, ce n’était pas censé être ça. C’était un combat contre soi-même, un dialogue avec la montagne, une aventure où l’on improvise, où l’on chute, où l’on repart. Aujourd’hui, on parle de “fine-tuning de moteur”, de “RPE”, de “modélisation prédictive”. L’athlète devient une machine à optimiser. Le rêve devient une courbe de rendement.
Et cette évolution soulève une autre question : va-t-elle exclure tous ceux qui ne peuvent pas — ou ne veulent pas — s’offrir ces outils ? Le trail ne risquerait-il pas de reproduire les logiques d’élitisme déjà présentes ailleurs ? Si seuls les plus connectés gagnent, alors le sport ne récompense plus le courage ou l’abnégation, mais l’accès à la technologie.
Ce n’est pas que le trail devient scientifique.
C’est qu’il devient scientifique *par défaut* — et ceux qui refusent cette évolution deviennent marginaux. Une révolution silencieuse est en cours.
A l’avenir faudra-t-il rejeter les data pour le trail
Faut-il rejeter les data ? Certainement pas. Il serait absurde d’ignorer les apports de la science, surtout quand ils permettent de courir mieux, plus longtemps, avec moins de blessures. Mais il est essentiel de préserver ce qui fait l’essence du trail : la liberté. Le droit à l’imprévu. L’acceptation de ne pas tout maîtriser. Si le sport devient une simple exécution d’un script prédéfini, alors il cesse d’être une aventure.
Joseph Mestrallet lui-même en est conscient. Il l’affirme : « Je ne représente qu’un pour cent de la performance. » Mais ce un pour cent est stratégique. C’est lui qui fait basculer une course, qui construit la victoire, qui crée l’histoire. Et c’est justement là que réside l’enjeu : faut-il laisser un algorithme écrire l’histoire du trail ?
En résumé, le trail n’est pas (encore) un sport de robot
Mais il pourrait le devenir, si on ne garde pas à l’esprit que la performance n’est pas une fin en soi. La beauté du trail, c’est aussi l’échec, l’inattendu, le craquage, le retour de l’arrière. Ce n’est pas seulement un graphique bien lissé. Ce sont les cris, la boue, les choix hasardeux, les erreurs, les dépassements.
Alors oui, le trail est devenu trop scientifique. Et c’est maintenant qu’il faut décider si on veut qu’il le reste… ou qu’on veut réinjecter un peu d’humanité dans chaque foulée.
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Cet article relève d’une réflexion journalistique libre, inspirée de l’entretien publié dans Mile & Stone (épisode n°60 du podcast, “Joseph Mestrallet : D’ici cinq ans, l’utilisation des data sera obligatoire pour gagner l’UTMB”). Il ne s’agit ni d’un plagiat, ni d’une reproduction intégrale. Aucune intention de diffamation ou de dénigrement n’est visée à l’encontre des personnes, entreprises ou marques citées. Ce contenu est produit de bonne foi, dans le respect du droit à l’information, à l’analyse critique et à la liberté d’expression journalistique.






