Victoire au sommet, sourire sur la ligne d’arrivée, sponsor bien visible, photo virale.
Acheter un gilet fluo pour courir pendant la chasse

Le trail élite aime les images héroïques. Mais que se passe-t-il entre deux podiums ? Entre deux saisons “réussies” ? Dans les creux, les silences, les blessures ? La vérité, c’est que les carrières des athlètes de haut niveau en trail sont d’une extrême fragilité, exposées à des pressions permanentes, à des attentes démesurées, et à des corps trop souvent poussés au bord de la rupture.
Le trail, un sport qui encense la résilience mais nie les limites
Le trail vend de la liberté, de la nature, de l’humilité. Mais à l’échelle élite, il fonctionne sur les mêmes logiques d’usure que n’importe quel sport de haut niveau. Le mythe du coureur ou de la coureuse “capable d’endurer” dissimule mal la réalité : épuisement nerveux, syndrome RED-S, surentraînement, douleurs chroniques, burn-out sportif, blessures à répétition. Le corps encaisse… jusqu’au moment où il ne peut plus.
Des carrières courtes, entre pics de forme et coups d’arrêt
Peu d’élites trail tiennent plus de trois à cinq saisons au plus haut niveau sans interruption. Ce n’est pas qu’elles sont moins fortes. C’est que le système ne laisse pas de place au temps long. Le calendrier s’est densifié. Les attentes se sont durcies. Et tout pousse à aller plus vite, plus loin, plus longtemps.
Ceux qui performent sont visibles. Ceux qui s’arrêtent disparaissent. Et rares sont ceux qui osent dire, publiquement, qu’ils préfèrent renoncer à une course plutôt que de tout casser. Parce que dans le trail aussi, ne pas être là, c’est perdre sa place.
L’UTMB comme révélateur de l’impasse
L’UTMB, devenu le point culminant symbolique du trail mondial, cristallise une tension qui traverse tout le haut niveau : malgré la médiatisation, la préparation minutieuse et l’expérience, la course reste impitoyable pour ceux qui s’y présentent diminués ou simplement humains. Pour y arriver, il faut des années de construction, un corps solide et une progression maîtrisée. Et pourtant, chaque édition est le théâtre de déceptions cuisantes.
François D’Haene : quand même une légende doit renoncer
En 2025, par exemple, François D’Haene — quadruple vainqueur de l’UTMB et l’un des plus grands traileurs français de tous les temps — a été contraint à l’abandon après environ 68 km. Il revenait après plusieurs années d’absence et visait un cinquième titre historique. Mais une douleur persistante à la hanche droite est devenue insupportable sur le terrain, l’obligeant à jeter l’éponge alors que le peloton entrait dans sa phase la plus exigeante.
C’est ce paradoxe qui frappe : des carrières construites dans la durée, des palmarès solides, et pourtant un corps qui flanche au moment décisif. Cela montre que même les plus grands ne sont pas à l’abri de la fragilité physique et de la difficulté absolue que représente un ultra comme l’UTMB.
Mathieu Blanchard : abandon tactique avant la Diagonale
En 2024, Mathieu Blanchard, l’un des grands favoris, a lui aussi été contraint à l’abandon, au Lac Combal (70 km). Il souffrait d’un problème au tendon d’Achille et a préféré renoncer pour ne pas compromettre la suite de sa saison, notamment la Diagonale des Fous. Malgré une préparation pointue, la lucidité a pris le pas sur l’orgueil.
Encore une fois, même un athlète confirmé, souvent proche du podium, peut être broyé par la dureté de l’épreuve. C’est aussi cela, l’UTMB : un révélateur impitoyable des limites physiques, même chez les meilleurs.
Le cas Albon : une illustration, pas une exception
Ces abandons spectaculaires rappellent que même les icônes du trail peuvent être mises en échec. Mais il y a aussi d’autres athlètes, moins célèbres, qui vivent les mêmes ruptures silencieuses. C’est là qu’intervient le cas d’Henriette Albon.
En 2023, elle gagne Les Templiers. En 2024, elle enchaîne les podiums. En 2025, elle se prépare pour l’UTMB. Tout semble logique, cohérent, prometteur. Pourtant, à la fin de l’été, Henriette Albon ne prend pas le départ.
Pourquoi ? Parce que son corps a dit non. Blessure sérieuse, au pire moment. Et derrière cette blessure, un passé lourd : une période marquée par un déficit énergétique relatif (RED-S), deux ans d’alertes, de fatigue, de doutes. Alors qu’elle monte en puissance, que le monde du trail commence à la reconnaître comme une figure solide du circuit, elle choisit de renoncer. Pas par faiblesse. Par lucidité.
Henriette Albon n’est ni la première, ni la dernière à vivre cela. Ce qui rend son cas précieux, c’est qu’il est visible, documenté, raconté. Là où beaucoup s’éteignent sans bruit, elle continue de s’exprimer, de s’entraîner, de préparer l’avenir. Mais la mécanique reste la même : montée rapide, attente forte, pression UTMB, corps en tension, arrêt forcé.
Et surtout, ce qu’elle montre — à travers ses choix — c’est qu’il est possible de dire non. De refuser l’escalade. De préserver la suite. D’envisager l’ultra non pas comme un sprint vers le sommet, mais comme une construction durable.
En résumé, le trail running est jeune, en plein essor, et il attire de plus en plus de talents. Mais il est temps de reconnaître que le modèle actuel n’est pas soutenable pour ses élites.
Si on continue à glorifier ceux qui s’alignent blessés, à ignorer les signaux d’alerte, à ne valoriser que les finishers et les records, alors les corps continueront de céder — en silence.
D’Haene, Blanchard, Albon : trois trajectoires différentes, un même constat. À ce niveau, personne n’est intouchable. En ne courant pas l’UTMB, Henriette Albon a peut-être offert au monde du trail un geste plus puissant que bien des podiums : celui de préserver, de différer, de durer.
Lire aussi
- Transgrancanaria en direct : après 110 km de course aucun français devant
- Salomon : pourquoi les modèles S-Lab sont si fragiles ?
- Trail : attention à ne pas rendre vos muscles trop fragiles..
- Quelles chaussures de trail avec des articulations fragiles ?
- La récupération en trail : quand utiliser le chaud, quand utiliser le froid ?





