Un scandale qui secoue le trail.
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Dans une vidéo qui a fait le buzz, le fondateur de la Clinique du Coureur adopte un ton professoral et paternaliste.
Selon lui, « les réseaux sociaux se déchaînent », « une tonne de faussetés circulent », et il faut « remettre les choses en ordre » pour que tout le monde comprenne enfin. Le problème, c’est que ce cadrage laisse entendre que spectateurs et médias auraient mal compris l’affaire – alors que le cas Joyline Chepngeno a été largement relayé, analysé et compris par la communauté trail.
Et c’est peut-être bien ce qui dérange : tout le monde a compris que ce n’est pas juste « un cas de dopage de plus » au Kenya.
Tout le monde a compris que cette affaire menace de faire vaciller un petit écosystème – celui d’un groupe, d’un sponsor, d’une organisation de course – qui se retrouve obligé de se justifier. Cette vidéo ressemble moins à une leçon de pédagogie qu’à une tentative de contrôle du récit : « au secours, ça parle de partout, il faut rassurer et éteindre l’incendie avant que tout explose. »
Joyline Chepngeno a été contrôlée positive à la triamcinolone après sa victoire à Sierre-Zinal, lors d’un test antidopage en compétition. Résultat : elle est suspendue deux ans, son coach Julien Lyon et tout le team Milimani Runners sont bannis de Sierre-Zinal, et son podium à l’OCC 2025 a été annulé par l’UTMB. Salomon, qui soutenait ce groupe, a dû réagir publiquement pour préciser sa position et réaffirmer ses engagements en matière de lutte antidopage.
Dans ce contexte tendu, la vidéo de Blaise Dubois se veut une mise au point.
Autour de lui, deux intervenants clés — le médecin Yann Schmitt et le coach Julien Lyon — qui expliquent avoir séjourné au Kenya et travaillé avec le groupe Milimani Runners. Face caméra, ils décrivent une décision « personnelle » et « impulsive » de l’athlète, parlant d’une « trahison de confiance ». Ce récit concentre donc l’essentiel de la responsabilité sur Joyline Chepngeno, tandis que le rôle des structures qui l’encadraient reste en arrière-plan.
Un discours qui dédouane tout le monde sauf l’athlète
Pendant près de quarante minutes, les trois hommes détaillent la molécule incriminée, racontent les coulisses du groupe Milimani Runners et évoquent la misère sociale des athlètes kenyans.
Tout est dit, sauf l’essentiel : qui est responsable ?
Joyline Chepngeno, suspendue deux ans, devient dans ce récit la seule fautive. Elle aurait agi seule, par « impulsion », sans prévenir personne. On nous répète qu’elle a « trahi la confiance » de son coach, qu’elle a agi de son plein gré. Tout le système autour d’elle sort blanchi – l’encadrement médical, le management, le sponsor, l’organisation de Sierre-Zinal.
Un discours paternaliste qui minimise le problème
Au lieu de poser les bonnes questions – qui a suivi son problème de genou, pourquoi aucune AUT n’a été demandée, quelles sont les procédures internes de Salomon – la vidéo insiste sur l’ignorance de l’athlète et la nécessité de « mieux éduquer » les Kenyans. Ce discours, répété depuis des années, finit par ressembler à une excuse collective pour ne pas remettre en cause les structures qui bénéficient des victoires de ces athlètes.
La misère sociale est réelle, mais elle ne justifie pas le silence sur les responsabilités partagées. Dire qu’il faut « plus d’éducation » revient à infantiliser des coureurs adultes, qui sont assez grands pour comprendre les règles si on les leur présente clairement.
Deux poids, deux mesures dans le monde du trail
Ce qui choque le plus, c’est le contraste avec d’autres cas récents. Quand un athlète européen comme Stian Angermund est contrôlé positif, on respecte sa parole, on le laisse revenir, on évite de laver son linge sale en public. Quand il s’agit d’une femme kenyane, tout le monde se presse pour expliquer à quel point elle s’est mise elle-même dans le pétrin.
Cette vidéo, en cherchant à « rétablir les faits », révèle surtout la tendance du milieu à se protéger lui-même et à renvoyer toute la faute sur l’athlète. Elle confirme ce que beaucoup perçoivent déjà : un double standard qui touche plus durement les athlètes africains, et un racisme systémique qui reste difficile à nommer dans le monde du trail.
Au fond, cette vidéo ne parle pas seulement de Joyline Chepngeno. Elle parle d’un système qui se protège.
Les trois intervenants — tous impliqués de près ou de loin dans le projet Milimani et le dispositif Salomon — ne sont pas des observateurs neutres. Ils connaissent l’athlète, ils l’ont suivie dans ses blessures et ont contribué à structurer le projet. Leur récit met l’accent sur la faute individuelle et minimise la responsabilité collective, ce qui soulève une vraie question d’impartialité.
Derrière le discours sur l’éducation et la prévention, il y a aussi une volonté évidente de sauvegarder un projet, des financements, des carrières. Et cela interroge : qui assume réellement les responsabilités collectives ?
Ce qui choque encore plus, c’est le ton paternaliste, parfois condescendant, avec lequel on décrit les athlètes kenyans comme « naïfs » ou « mal éduqués ». C’est du mépris de classe et, d’une certaine façon, une forme de racisme systémique : le problème serait toujours du côté de ceux qui courent, jamais de ceux qui organisent, encadrent, financent et profitent des victoires.
Joyline Chepngeno est peut-être coupable d’une erreur, mais cette affaire révèle à quel point le monde du trail préfère protéger son image que questionner ses propres structures. Tant qu’on ne regardera pas ce système en face, les mêmes histoires continueront de se répéter
Source
Cet éditorial se base sur des propos publics disponibles dans la vidéo de Blaise Dubois. Il reflète une analyse critique et ne constitue pas une accusation formelle. Les personnes citées bénéficient de la présomption d’innocence et les faits mentionnés s’appuient sur les informations disponibles à ce jour.
Conformément à l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, toute personne ou organisation citée dans cet article dispose d’un droit de réponse. Si Blaise Dubois, Yann Schmitt, Julien Lyon ou leurs représentants souhaitent apporter des précisions ou corrections, nous publierons leur réponse intégralement.
Ce texte relève de la liberté éditoriale et de la liberté d’expression garanties par la loi. Il s’agit d’une analyse journalistique et d’un commentaire d’actualité basé sur des informations publiques et sur la vidéo mentionnée. Il ne constitue en aucun cas une accusation pénale.
Illustration : captures d’écran de la vidéo publiée par Blaise Dubois sur YouTube.
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