Trois ans après sa déclaration restée célèbre lors de l’UTMB 2022 — “Gagner, ce n’est pas finir premier” — les mots de Kilian Jornet résonnent encore dans le monde du trail. Mais à mesure que la discipline se démocratise et que les niveaux se resserrent, cette philosophie soulève une question : est-il vraiment crédible de prôner le dépassement de soi plutôt que la victoire… quand on est soi-même au sommet depuis vingt ans ?
En août 2022, Kilian Jornet remporte l’UTMB pour la quatrième fois. Malade du Covid-19 quelques jours avant, peu préparé spécifiquement pour la course, le Catalan s’impose pourtant face à Jim Walmsley et Mathieu Blanchard après une gestion parfaite de ses efforts.
Interrogé peu après, il lâche cette phrase qui marquera les esprits : « Gagner, ce n’est pas finir premier. » Pour lui, la vraie victoire est intérieure : elle consiste à aller au bout de soi-même, à franchir ses propres limites, qu’importe le chrono.
lien rémunéré i-run
La philosophie de Kilian Jornet divise : légitime… ou déconnectée ?
Trois ans plus tard, cette vision continue de séduire. Mais elle interroge aussi. Peut-on réellement affirmer que la place importe peu, quand on n’a cessé d’être premier ? Kilian a gagné l’UTMB, la Hardrock, la Western States, il détient des records de vitesse en montagne, et continue d’influencer l’évolution du matériel avec sa marque NNormal.
Dire que gagner ce n’est pas être premier quand on domine tout, c’est un peu comme dire que l’argent ne fait pas le bonheur en vivant dans un chalet en Norvège avec sponsoring à six chiffres.
La réalité des coureurs “normaux”
Pour beaucoup de traileurs amateurs, le trail est au contraire un espace de performance relative, où chaque place gagnée compte, où finir avant la barrière horaire est une victoire concrète, et où les sacrifices personnels pour s’entraîner ne peuvent pas se contenter d’un simple “j’ai tout donné”. Loin du haut niveau, les coureurs n’ont pas le luxe de relativiser une contre-performance — ils s’y sont trop investis.
Dans ce contexte, les mots de Kilian peuvent paraître déconnectés, même si l’intention est noble.
Une sincérité malgré tout incontestable
Pour autant, difficile de douter de la sincérité de Jornet. Dès 2022, il expliquait vouloir faire moins de courses, privilégier les projets personnels, et penser une pratique plus responsable, à rebours de la massification du trail. Son retrait progressif du circuit élite depuis 2023 confirme qu’il ne joue pas un rôle : il vit ce qu’il dit.
Sa phrase n’était peut-être pas une leçon, mais une manière de dire que même au sommet, on peut choisir un autre regard sur la compétition.
“Gagner, ce n’est pas finir premier” : une phrase qui sonne comme une vérité universelle… mais qui, sortie de la bouche du plus grand traileur de l’histoire, sonne aussi comme un luxe inaccessible. En 2025, elle inspire autant qu’elle irrite. Peut-être faut-il y voir non une injonction, mais un rappel : dans un sport qui glorifie trop souvent les podiums, on peut aussi courir pour soi — et parfois, c’est encore plus dur.
Lire aussi
- Marathon de Paris : un 42km ça vaut plus rien
- Week-end choc : le volume et la récupération sont la clé
- Un protocole de dopage légal (par Henriette Albon)
- C’est marrant que ultra-trail se retrouve à côté de masculinisme dans le dictionnaire
- Quand courir simplement devient trop compliqué…
-
Cet article repose sur des déclarations publiques de Kilian Jornet diffusées en 2022, notamment dans le cadre du podcast Dans la Tête d’un Coureur. Il propose une analyse éditoriale et un point de vue subjectif assumé sur la réception de ses propos, dans le respect du droit à la critique et à l’information.