Journal d’un traileur confiné : comme un funambule qui se rend compte qu’il a le vertige
La suite des 7 premiers jours de confinement de notre traileur…
Jours 8 et 9 du confinement
Après quelques jours assez difficiles, j’ai l’impression de m’habituer un peu à tout ce bazar. Est-ce de la résilience ou simplement un temps fort avant un nouveau temps faible à venir ? Aucune idée. J’aimerais que ce soit la première option, mais soyons lucides. Ou peut-être que le grand ciel bleu depuis lundi aide aussi. Certains disent qu’ils vivraient mieux le confinement s’il faisait gris dehors, je reste convaincu du contraire. Pas sûr qu’un ciel nuageux ne soit pas plus fort que la frustration de ne pas pouvoir profiter du soleil.
Toujours dans l’optique d’essayer de sortir la tête de l’eau, j’essaie de lister un peu tout ce que je voudrais faire après le confinement. D’un point de vue social, j’aurais bien envie d’organiser une énorme fête chez moi avec toutes les personnes qui me manquent actuellement. Voyons le bon côté des choses, le temps que j’ai devant moi pour organiser ça est assez important.
D’un point de vue sportif maintenant ; si 2020 est au mieux déjà planifiée, au pire trop incertaine, j’ai commencé à regarder déjà ce que j’aimerais faire en 2021. Mais pas un ultra à côté de chez moi ; je me dis que si j’ai plus d’un an pour préparer ça, j’ai aussi un an pour mettre un peu de côté et faire ça bien. Compte tenu de mon niveau et d’un seuil de progressivité à respecter, et après avoir regardé diverses vidéos, j’hésite fort entre aller faire la Grande Course des Templiers ou le Lavaredo Ultra Trail. Ce sont deux régions que j’aimerais beaucoup découvrir. Le Lavaredo étant en juin et les Templiers en octobre, les deux sont bien sûr envisageables (faut juste que je gagne au loto entre temps). J’irais bien en Islande ou dans les Highlands écossais, mais restons raisonnables.
Pour ceux qui ont fait le Lavaredo et/ou les templiers, lequel vous me conseilleriez en priorité ?
Un peu à l’image de ce que j’avais noté ces derniers jours, chaque journée qui passe ressemble à une journée de gagnée contre la contamination.
Beaucoup de gens pètent un câble à la perspective de rester chez eux. Alors, je vais être totalement transparent, je suis clairement privilégié ; à part mes deux chats et ma fille à mi-temps pour le moment, j’ai une grande maison où je suis seul et où j’ai un panorama permanent et absolument magnifique sur la ville de Liège. Et alors que beaucoup ont pour seule hâte de pouvoir sortir à nouveau, je commence à me demander si je ne vais pas devoir me forcer pour le faire. Ayant toujours eu une nature plutôt casanière, sortir juste pour aller faire du sport, bosser et récupérer mes courses me suffit largement. En décembre 2011, je venais d’arriver en Belgique, et par manque de bol, je m’étais retrouvé juste à côté d’une fusillade qui avait eu lieu sur la place Saint Lambert. Et je me souviens, les jours qui sont suivi, j’ai vraiment dû me forcer à ressortir. En 2016, après les attentats de Bruxelles (sachant que j’étais à Bruxelles à ce moment là), la perspective de me retrouver dans des lieux publics avec du monde me foutait les jetons, mais genre sévère. Alors autant vous dire que l’attente dans le sas de départ au marathon de Paris deux semaines après fut salutaire, mais sûrement plus épuisante que le marathon en lui-même. Alors ici, si on doit se méfier des gens qu’on croise et du moindre bouton pour faire passer au feu vert le petit bonhomme sur un passage piéton, ça craint. C’est pour ça que je dois me forcer à sortir, pas tant parce que je suis accroc au sport (même si, ne nous mentons pas, c’est probablement le cas), mais parce que si je ne le fais pas, je risque de me renfermer encore plus et de me méfier de tout et de tout le monde.
En parallèle à ça, je dois bien avouer que j’ai hâte de pouvoir commencer la prépa de l’ultra du mois d’août. Peut-être parce que c’est la seule chose de la vie d’avant qui pourrait ramener un zeste de normalité. Et aussi parce que j’ai hâte de pouvoir retourner dans les Hautes Fagnes. Je sais que je vous saoule avec ça, mais si vous avez l’occasion d’y aller au moins une fois dans votre vie, faites le. Il n’y a aucun endroit pareil.
J’espère qu’on tirera des conclusions de cette crise, qu’on sera un peu plus sociables. Globalement, je pense qu’on en sortira grandis ; quand je vois le bien que ça faisait de voir mes collègues en visio ce matin, les solutions qu’on arrive à trouver à des problèmes qui auraient semblé insolubles il y a encore deux mois, je me dis qu’il y a de l’espoir. Et plus généralement, sur beaucoup de groupes Facebook, on trouve de la bienveillance et de la tendresse parfois à des endroits qu’on n’attendrait pas. Et ça c’est cool.
Le problème est qu’en temps de crise, on a aussi droit à des comportement absolument dégueulasses. Ce matin, à la radio, j’entendais une dame dont la fille était infirmière, et qui avait reçu un mot anonyme sur sa voiture dans lequel un voisins lui demandait de partir le temps du confinement pour qu’elle ne contamine pas l’immeuble. Bien sûr, vous vous en doutez, ça n’était pas signé. Une telle attitude de collabo mérite au mieux du mépris, au pire d’être tondu à la libération. Comme vous pouvez vous en douter, ça m’a mis hors de moi Par chance, dans la demi-heure qui suivait, sur RMC, j’ai eu la chance et le bonheur d’entendre chez Bourdin une des personnes que je tiens le plus en admiration en ce bas monde, en la personne d’Emmanuel Hirsch.
J’ai eu l’énorme privilège de le rencontrer et de le côtoyer il y a une dizaine d’années. Il était directeur de l’Espace Ethique à l’AP-HP et je faisais un master en éthique médicale et bioéthique. On s’est assez vite bien entendus, il m’a pris sous son aile et a été mon directeur de mémoire. Je n’ai, à ma connaissance, quasiment connu personne avec une telle intelligence, avec un tel coeur, avec un tel sens de l’autre. Rien que de ré-entendre sa voix m’a réchauffé pour la journée, alors que le contenu de ce qu’il disait avait quelque chose de rafraichissant, d’une humanité absolument incommensurable.
Enfin, je crois que j’ai eu ma première crise de rire tout seul en lisant sur twitter le journal d’un confiné, par Matteu Maestracci. Allez le lire, c’est à hurler !