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Il a grandi sans électricité, courait pieds nus dans la montagne… et aujourd’hui il brille à l’UTMB
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De la chaleur étouffante des plantations du nord argentin aux crêtes du Mont-Blanc, son parcours est une véritable leçon de vie
Il existe des histoires qui dépassent l’imagination. Des récits de vie si improbables qu’ils semblent sortis d’un film. Et pourtant, celle que vous allez découvrir est bien réelle. Elle commence dans un hameau oublié, perdu dans la jungle montagneuse à la frontière entre l’Argentine et la Bolivie.
Là-bas, les routes ne mènent nulle part. L’électricité n’est jamais arrivée. L’eau ne sort pas des robinets, car il n’y en a pas. Les maisons sont faites de terre séchée, de planches et de tôles. Et la seule lumière, c’est celle des bougies. On s’endort à 20 h parce qu’il fait noir. On se lève au lever du soleil pour s’occuper des cochons, des poules, du potager.
C’est dans ce décor hors du temps qu’un garçon est né, le dernier d’une fratrie de six. Curieux, éveillé, déterminé. Très tôt, il veut apprendre. Il supplie ses parents pour aller à l’école, alors qu’il ne sait ni lire ni écrire. À quatre ans, il accompagne ses grands frères. À cinq ans, il connaît déjà l’alphabet.
L’école au bout du sentier
Pour rejoindre l’unique salle de classe du hameau, il faut marcher. Traverser des ruisseaux. Monter dans la forêt. Parfois courir. Il y a une seule maîtresse pour tous les niveaux. Parfois, il est le seul élève dans sa classe. La professeure met trois heures à venir depuis la ville d’Orán. Elle passe par la Bolivie, traverse un fleuve, puis marche plusieurs kilomètres. Pour enseigner à une poignée d’enfants.
Mais lui adore ça. Il aime les livres. Il aime les chiffres. Il aime comprendre. Et surtout, il aime courir dans la montagne en rentrant. C’est sa récréation, son terrain de jeu. Sans le savoir, il commence à former le corps et l’esprit d’un futur athlète.
Quand son frère aîné termine l’école primaire, la mère prend une décision radicale : déménager. Quitter ce village sans avenir. Direction Aguas Blancas, un bourg modeste à cinquante kilomètres. Ils partent avec quelques poules, des couvertures et un espoir : offrir une vie meilleure aux enfants.
La découverte de la lumière
Quand ils arrivent en ville, le jeune garçon ne remarque pas les voitures ni les magasins. Ce qui le bouleverse, c’est la lumière. Celle des ampoules. Celle qui permet de lire après 20 h sans user une bougie. Pour la première fois, il peut rêver sans compter les minutes.
Mais l’adaptation est rude. Il découvre la différence sociale. À l’école, les autres enfants se moquent de lui. De ses vêtements. De son accent. Il encaisse. Il travaille. Et un jour, un professeur remarque son potentiel en mathématiques. Il lui parle des olympiades. Il l’entraîne. Et il gagne.
C’est le début d’une autre aventure. Il prend l’avion pour la première fois. Participe à des compétitions nationales. Découvre les grandes villes, les escalators, les centres commerciaux. Mais surtout, il entend parler d’une école à Bariloche qui forme les meilleurs ingénieurs du pays. Une école difficile, mais gratuite. Il se le promet : un jour, il y entrera.
Objectif Balseiro
Personne ne connaît son plan. Il s’inscrit en école d’ingénieur pétrolier à Cipolletti, dans le sud de l’Argentine. Il y rejoint ses sœurs, déjà installées là. Il travaille. Il étudie. Il économise. Puis un jour, il tente sa chance. Direction Bariloche. Huit heures d’épreuves. Des entretiens. Des tests psychologiques. Et il est admis.
À 20 ans, il devient étudiant en ingénierie nucléaire dans le plus prestigieux institut d’Amérique latine. Il reçoit une bourse. Pour la première fois, il a assez d’argent pour remplir un caddie au supermarché. Mais ce rythme intense a un prix. Il prend du poids. Il perd en énergie.
Alors il décide de se remettre à courir. Une fois. Puis deux. Puis tous les jours. Il redécouvre les sensations de son enfance. Les sentiers. L’effort. La liberté. Et il tombe amoureux du trail running.
La révélation en montagne
Il court d’abord pour le plaisir. Puis pour la performance. Un jour, un entraîneur le remarque et lui propose de s’occuper de lui. Il accepte. Il progresse. Très vite. Il gagne une première course. Puis une autre. Puis la « 4 Refuges », une des plus dures d’Argentine.
En parallèle, il obtient son diplôme. Puis un emploi dans le nucléaire. Mais quelque chose lui manque. Il veut explorer ses limites. Il postule pour un master en Big Data… en Espagne. Et il est pris.
L’Europe, la confrontation, la consécration
Il s’installe à Malaga. Découvre un monde où le trail est structuré, professionnel. Il s’accroche, participe aux premières compétitions. Il réalise vite que le niveau est plus relevé, mais il ne lâche rien. Il progresse. Il s’entraîne chaque matin. Il travaille à mi-temps l’après-midi.
Et puis, un jour, le rêve se concrétise : il est sélectionné pour participer à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. La plus grande course de trail au monde. 171 kilomètres. 10 000 mètres de dénivelé positif. La boucle autour du Mont-Blanc. Une épreuve impitoyable.
Il s’aligne au départ. Il court sans relâche. Il souffre. Il doute. Mais il avance. Jusqu’à la ligne d’arrivée. Il boucle la course en 21 h 59. Treizième. Le meilleur classement jamais obtenu par un Argentin.
Deux ans plus tard, il revient. Et confirme. Il termine quinzième. Il enchaîne les championnats du monde. Il fait partie des meilleurs traileurs du continent.
Aujourd’hui, il vit à Barcelone. Il s’entraîne chaque matin. Il travaille comme analyste. Et il continue de rêver.
Son nom ? Gabriel Rueda.
Il y a dans le parcours de Gabriel Rueda une force tranquille qui impressionne. Son palmarès, étalé sur deux saisons pleines entre l’Amérique du Sud et l’Europe, le place aujourd’hui parmi les coureurs d’ultra-trail les plus réguliers de la planète.
En 2025, il termine 15e de l’UTMB en 22 h 11, deuxième de la VDA à Val d’Aran, 14e de la Transvulcania, 1er à Trencacims, 10e à Chianti… tout en continuant à progresser sur le plan professionnel avec une carrière dans le Big Data. Mais au-delà des classements, c’est l’alignement entre sa vie, son histoire et sa pratique du trail qui marque. Le garçon qui courait pieds nus dans les sentiers de Salta est resté fidèle à ce que la montagne lui a appris : l’humilité, la patience, la gratitude. Chaque ligne d’arrivée est pour lui un hommage à la nature, à sa famille, à son enfance sans rien, mais avec l’essentiel.
PHOTOS DE Gabriel Rueda
En s’installant en Espagne sans jamais couper le lien avec sa terre natale, Gabriel Rueda incarne une génération de traileurs globaux, mais enracinés. À l’heure où le trail running devient un sport de chiffres, de performances et d’images, il rappelle que courir en montagne peut aussi rester un chemin de vie.
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