À quoi pense-t-on quand on achète ses premières chaussures de running ou de trail ?
Au bien-être, à la santé, à l’idée de se reprendre en main ? Peut-être. Mais en 2025, il faut bien le reconnaître : on pense aussi à Strava, aux photos finish, aux likes, à la montre GPS, au dossard qu’on annoncera fièrement à ses collègues. Courir, aujourd’hui, c’est rarement anodin. Et ce n’est plus forcément pour soi qu’on le fait.
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Ce phénomène a un nom : l’hétéronomie.
Un mot un peu barbare pour désigner une réalité bien connue des sociologues du sport. Courir pour les autres. Pour l’image. Pour répondre à des injonctions. Pour coller à ce que les autres attendent de nous. Bienvenue dans l’ère du coureur connecté, surexposé, et parfois déconnecté de ses propres besoins.
Hétéronomie : courir pour les autres
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Ce n’est pas juste une dérive individuelle. C’est un phénomène insidieux qui s’est glissé dans la course à pied sans qu’on le voie venir. À force de courir pour les applis, pour les stats, pour les autres, on finit par ne plus savoir pourquoi on court. On perd le plaisir, on se blesse, on se compare. L’hétéronomie, c’est ce poison discret qui transforme un moment pour soi en obligation sociale.
La fin du jogging anonyme
Il fut un temps où la course à pied se pratiquait à l’écart des regards. Un vieux short, un t-shirt publicitaire, un footing discret au parc. On ne parlait pas de chrono, encore moins de VO₂ max. Aujourd’hui, cette silhouette appartient presque au passé. La démocratisation du running a été accompagnée par une montée en gamme spectaculaire : équipement technique, parcours optimisés, compétitions à foison… et surtout, partage numérique systématique.
Le coureur du dimanche a muté. Il est devenu un coureur « visible », traqué par ses propres données, comparé en permanence aux autres. Et même les débutants se sentent parfois obligés de sauter des étapes. Objectif marathon. Objectif ultra. Objectif UTMB. Mais pourquoi ? Pour qui ?
Le poids du regard social
Là encore, les explications sont claires : les réseaux sociaux ont tout changé. Ils ont donné à chacun une scène, un public, un miroir. Strava, Instagram, TikTok… Tout devient narration, storytelling, construction d’une identité. Et tant pis si cette image est parfois loin de la réalité. Tant pis si l’on se blesse à force de vouloir « suivre le plan ». Tant pis si le corps dit stop. Ce qui compte, c’est ce qu’on montre.
Le sociologue Williams Nuytens résume bien le phénomène :
“Beaucoup commencent à courir en pensant au regard des autres. Ce n’est pas propre au sport, mais dans la course à pied, c’est particulièrement visible.”
Et c’est d’autant plus piégeux que les plateformes renforcent ce mécanisme. Strava, avec ses kudos, ses segments, ses comparaisons entre amis. Instagram, avec ses photos de dossards et de finishers héroïques. Résultat : on court pour appartenir. Pour exister dans une norme sociale de la performance.
Il n’y a plus de coureurs du dimanche, le danger du « trop, trop vite »
La tentation est grande d’en faire trop. Trop vite, trop loin, trop intense. Surtout quand on débute. Car l’hétéronomie n’est pas un problème réservé aux élites ou aux influenceurs. Elle touche aussi les coureurs du quotidien, ceux qui veulent bien faire, mais se retrouvent happés par une spirale d’objectifs démesurés.
Le corps, lui, ne suit pas toujours. Tendinites, fractures de fatigue, épuisement mental. Les médecins du sport constatent une hausse inquiétante des blessures liées à une surcharge d’entraînement… chez des coureurs qui, parfois, n’ont même pas un an de pratique. “Le vrai problème, c’est l’absence de cadre”, explique un médecin du sport. “Beaucoup courent sans plan, sans coach, sans progressivité. Ils copient ce qu’ils voient. Mais ce qu’ils voient, ce n’est pas toujours la réalité.”
Le trail, nouveau miroir de la performance
Pour beaucoup, le trail représente un échappatoire. Un retour au naturel, à la liberté, à la déconnexion. Pourtant, les mêmes logiques s’y reproduisent. Partage de traces GPX, glorification des gros dénivelés, photos de crêtes à l’aube. Même en montagne, l’hétéronomie veille. Courir un ultra devient une validation sociale, un passage obligé pour exister dans la communauté des coureurs.
Ce n’est pas le trail qui est en cause, mais la manière dont on l’aborde. S’y lancer par envie, par curiosité, par plaisir, est une chose. S’y précipiter pour “faire comme les autres” en est une autre. Et dans ce second cas, le risque est de courir à côté de soi.
En résumé, personne ne dit qu’il ne faut plus partager, plus se fixer d’objectifs, plus se mesurer.
Ces dynamiques peuvent être motivantes, inspirantes, stimulantes. Mais elles doivent rester des outils, pas des carcans. À force de courir pour les autres, on en oublie pourquoi on a mis ses baskets la première fois.
Courir, au fond, c’est un moment pour soi. Un acte simple, un souffle, une foulée. On n’a pas besoin de tout raconter. On n’a pas besoin d’être parfait. Ni rapide. Ni régulier. Ni même toujours motivé. On peut courir mal, lentement, trop peu, sans montre, sans camelback, sans compression. L’essentiel, c’est de ne pas se perdre en chemin.
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