La manière dont les records du 10000m masculin et du 5000m féminin sont tombés à Valence ont de quoi interpeller. Entre Cheptegei qui explose tout et éparpille l’ancien record façon puzzle et Gidey qui explose tout alors qu’on n’en avait pas entendu parler plus que ça, ça ne va pas. C’est dans ce contexte que Mahiedine Mekhissi a été interrogé par l’Equipe. Quand un triple médaillé olympique donne son avis, on a tendance à l’écouter. Son constat est malheureusement sans appel.
A la question de savoir ce que lui inspirait les deux nouveaux records du monde, sa réponse est claire :
« C’est bien, ça va servir d’électrochoc. À un moment, il faut que les gens prennent conscience que ce n’est pas normal. Que tous les records du monde tombent grâce à la nouvelle technologie, comme ça, on va pouvoir agir. Comme l’a fait la natation, en supprimant les combinaisons il y a une dizaine d’années. Il y avait des records à chaque course. Je sais qu’il faut vivre avec son temps, évoluer avec le progrès technologique, mais là, ce n’est pas du sport. Je ne me reconnais pas dans cet athlétisme-là. »
Je n’aurais clairement pas pu mieux le dire. Le problème, c’est qu’on va avoir (s’il n’y a pas de changement) un athlétisme à deux vitesses,
– un où s’affronteront les technologies (ils feront des temps de dingue, mais personne n’en aura rien à faire, et tant mieux)
– et un où s’affronteront les athlètes. C’est à cet égard que je me dis que le trail a toutes ses chances de sortir la tête haute de ce bazar.
En effet, sur un ultra, la chaussure aidera, mais je ne vois pas comment élaborer un modèle aussi technique qu’un équivalent à l’ALphafly alors même qu’on arpente une quantité de sentiers différents. Pour le dire autrement, un modèle peut être technique si seulement il est lié à une seule surface. Vous pouvez éclater vos records en Alphafly sur route, mais allez faire la Saintélyon avec, vous verrez que ça ne vous servira absolument à rien.
Prenons un autre exemple, celui de la diagonale des fous. Vous allez courir au niveau de la mer, à haute altitude (où, de nuit, on descendra à 3 degrés), sur des sentiers hyper techniques, dans des endroits où le taux d’humidité avoisinera les 100%, et en fin de course, sur des roches qui dépassent les 50 degrés. Une paire de chaussures peut-elle permettre de faire exploser votre temps avec autant de sols différents ? J’ai beaucoup de mal à y croire.
Aussi, si World Ahtletics ne légifère pas (car ici, on ne va pas se mentir, ils se sont juste adaptés aux modèles de Nike pour que ceux-ci entrent dans les clous), le trail à tout à y gagner, car c’est là que les vrais athlètes se donneront rendez-vous, où le dopage technologique aura moins voix au chapitre. Je ne dis pas qu’il n’y en aura jamais, mais a priori, jamais via les chaussures.
C’est également dans le trail que les records auront encore un peu de sens. Car parti comme on est, en athlétisme, à chaque championnat, plein de records vont tomber à chaque fois et il n’y aura absolument plus aucune saveur. Personnellement, si je vois un mec faire 9’40 au 100m, ça me procurera bien moins d’émotions que le 9’58 de Bolt. Car, comme le dit Mahiedine Mekhissi
avec les nouvelles pointes, « la propulsion générée n’est pas naturelle, on gagne du pied immédiatement ; Certains disent que tu peux gagner trois secondes par kilomètres sur un 10000 ».
J’espère qu’il exagère, mais je crains qu’il n’aie raison…