Ce qui, il y a quelques années, passait pour du “radicalisme vert” commence à s’imposer comme une évidence dans le monde du trail.
Les prises de position jugées excessives, les alertes sur les vols long-courriers pour courir un ultra, les critiques contre les “gros barnums” de la montagne… tout cela dessinait en réalité une tendance de fond.
Aujourd’hui, cette tendance se traduit par des décisions très concrètes : chartes environnementales locales, encadrement des événements outdoor, remise en question de certains modèles de course. Le Plateau d’Hauteville, dans l’Ain, en est un bon exemple. Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir sur trois dynamiques : les signaux précurseurs, le rôle des médias, et la traduction politique de ces débats.
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La “pureté militante” est un signal d’avance
L’expression « pureté militante », utilisée par Hugo Clément en ce jour de Noël pour critiquer certaines positions écologistes jugées trop rigides, a marqué les esprits.
Elle sert souvent de raccourci commode pour disqualifier tout ce qui semble aller « trop loin » au nom de l’écologie.
Dans le trail, cette grille de lecture se transpose assez facilement : refuser de prendre l’avion pour une course, renoncer à un projet exotique, ou interroger frontalement la cohérence écologique de certains événements sont autant de positions qui ont longtemps été moquées ou marginalisées.
Cela fait 5 ans que, dans le monde du trail, ces débats de « puristes » ont pris chair avec des figures très identifiées.
L’exemple de Xavier Thévenard est emblématique. En 2020, le Jurassien expliquait déjà qu’il ne voyait plus de sens à faire des dizaines de milliers de kilomètres en avion pour courir une course à l’autre bout du monde. Il évoquait explicitement sa réticence à retourner sur des épreuves comme la Hardrock aux États-Unis, et affirmait qu’on a “tout ce qu’il faut” près de chez soi.
À l’époque, ce type de discours tranchait déjà avec l’imaginaire dominant du trail : collection de dossards mythiques, voyages lointains, circuits mondiaux, storytelling autour de destinations exotiques. Ceux qui osaient dire “non” à un long-courrier étaient parfois regardés comme des empêcheurs de rêver, voire des donneurs de leçons. On a d’ailleurs été les premiers à critiquer sa démarche avant de la comprendre et aujourd’hui nous nous en excusons sincèrement.
Avec un peu de recul, on voit que ces prises de position ont joué un rôle de signal précurseur. Elles ont mis en lumière la contradiction centrale du trail moderne : se revendiquer “sport nature” tout en reposant sur un modèle très carboné, notamment pour les élites mais aussi pour une partie du peloton amateur.
Six ans plus tard, à l’aube de 2026, depuis que les médias martèlent les mêmes alertes, le discours se déplace
Si ces sujets ont fini par s’installer dans le débat public du trail, c’est aussi parce qu’ils ont été relayés et approfondis par les médias, écologistes comme spécialisés.
Les dérives du trail en 2026 dénoncés par les médias engagés
Du côté des médias écolos, un article de Reporterre sur “les dérives du trail, loin des promesses de sport nature” a contribué à poser le problème en des termes très clairs : entre massification des événements, pression touristique sur certains territoires et communication “verte”, l’image du trail ne correspond plus toujours à sa réalité matérielle.
Dans le même registre, Charlie Hebdo a publié un texte au titre volontairement brutal sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, présenté comme l’archétype d’un modèle où des coureurs aisés, obsédés par la performance, finiraient par “abîmer” l’environnement plus qu’ils ne le respectent. L’objectif n’est pas de refaire ici le procès d’une course en particulier, mais de noter que ces critiques existent, qu’elles sont argumentées, et qu’elles circulent bien au-delà du cercle militant.
Ce type de papiers a deux effets : il bouscule l’autosatisfaction d’un milieu qui se pensait spontanément « vert », et il installe dans l’opinion l’idée que le trail peut, lui aussi, être source de nuisances.
Cette remise en question est d’autant plus nécessaire que le trail bénéficie, depuis longtemps, d’un a priori favorable. Courir en montagne, en forêt ou sur des sentiers donne l’impression d’une pratique naturellement vertueuse. Cette image, pourtant, masque une réalité plus complexe.
Le trail n’est pas intrinsèquement écologique. Il le devient — ou non — selon ses usages, son organisation et le modèle sur lequel il repose.
À grande échelle, certaines épreuves impliquent des déplacements massifs en avion, mobilisent des infrastructures lourdes, concentrent des milliers de personnes dans des milieux fragiles et s’inscrivent dans une logique de performance et de rareté qui encourage la multiplication des destinations lointaines.
Mais même à une échelle plus locale, l’impact n’est jamais nul. Érosion des sols, dérangement de la faune, pression accrue sur des zones sensibles, enchaînement d’événements sur des territoires déjà très sollicités : pratiquer en pleine nature ne garantit pas, en soi, l’absence de nuisance.
C’est précisément ce décalage — entre l’image d’un sport « proche de la nature » et les effets réels de certaines pratiques — que ces articles viennent mettre en lumière. Non pour disqualifier le trail, mais pour rappeler qu’un sport dit « nature » n’est pas automatiquement neutre pour l’environnement.
Le greenwashing dans le trail
Parallèlement, des médias spécialisés trail comme le notre ont commencé à examiner de près la manière dont certains événements utilisent le vocabulaire écologique. Notre edito sur le Tahiti Moorea Ultra Trail, qualifié de cas d’école de greenwashing, en fournit un bon exemple.
Notre article rappelle un fait simple : organiser une finale de circuit à des dizaines d’heures d’avion de l’Europe implique mécaniquement une empreinte carbone très élevée. Face à cette réalité, la course met en avant des dispositifs de “compensation” : journée éco-citoyenne, participation financière pour soutenir une association, discours valorisant la “responsabilité” des participants.
Notre texte souligne la contradiction : le cœur du modèle (envoyer des coureurs à l’autre bout du monde) n’est pas remis en question, tandis qu’on demande aux participants de “faire leur part” pour atténuer l’impact symbolique. L’écologie devient alors un habillage moral, plus qu’un critère structurant.
En attaquant le problème par ce biais – le greenwashing –, nos analyses touchent un point sensible : l’image de marque des événements, mais aussi celle des athlètes et influenceurs associés.
Des jeunes influenceurs très suivis, pas toujours réceptifs… mais durablement exposés au débat
Un autre point ressort de plus en plus nettement dans les analyses récentes : une partie de la nouvelle génération du trail, très visible sur les réseaux sociaux, semble peu concernée par la question de l’empreinte carbone. L’idée qu’une saison sportive puisse représenter dix ou onze tonnes de CO₂ n’est pas perçue comme un problème en soi, ni comme un signal à interroger.
Ce désintérêt affiché envoie un message clair : la priorité reste l’expérience personnelle, la visibilité, la performance ou l’aventure, indépendamment de son coût environnemental. Pour les observateurs extérieurs, c’est un mauvais signal. Non pas parce qu’il faudrait attendre de ces athlètes ou influenceurs qu’ils soient exemplaires, mais parce qu’ils participent, volontairement ou non, à normaliser un modèle très carboné auprès d’un public jeune et prescripteur.
Or ce décalage est précisément celui que les médias spécialisés commencent à documenter de manière plus systématique. En mettant des chiffres sur les trajectoires individuelles, en calculant l’empreinte carbone d’une saison ou d’un circuit, ils déplacent le débat : on ne parle plus d’intentions ou de discours, mais de faits mesurables.
Même lorsque ces influenceurs se montrent indifférents à ces critiques, ils ne peuvent plus les ignorer totalement. Ces analyses s’installent dans l’espace médiatique, circulent, sont reprises, commentées, et finissent par structurer le regard porté sur le trail de haut niveau. À mesure que ces travaux se multiplient, il devient de plus en plus difficile de promouvoir un projet, une carrière ou un circuit mondial sans que la question écologique soit posée — sinon par conviction, au moins par contrainte médiatique.
Ces contre-force existent donc bel et bien.
Une partie du trail le plus visible — jeunes athlètes, influenceurs, circuits mondialisés — continue de fonctionner comme si la question climatique était secondaire, voire hors sujet.
Les chiffres sur l’empreinte carbone n’y provoquent ni remise en question immédiate, ni inflexion visible des trajectoires individuelles.
Mais c’est précisément là que le débat change de nature. L’écologie ne progresse pas parce que tous les acteurs seraient convaincus, mais parce que d’autres leviers prennent le relais. Pendant que certains s’en désintéressent, les médias spécialisés continuent de documenter, de chiffrer et de rappeler les contradictions du modèle. Ils installent ces questions dans le débat public du trail, de manière répétée, factuelle et difficile à balayer d’un revers de main.
Dans le même temps, des collectivités commencent à traduire ces constats en règles concrètes. Elles ne cherchent pas à transformer les mentalités individuelles, mais à fixer un cadre commun. C’est dans cette logique qu’apparaissent des chartes environnementales, des conditions d’autorisation plus strictes, et un encadrement renforcé des sports de nature.
Autrement dit, même face à l’indifférence ou à la résistance d’une partie du milieu, le terrain se déplace. L’écologie gagne du terrain non pas par consensus, mais par structuration : médiatique d’abord, politique ensuite.
C’est dans ce contexte qu’il faut lire ce qui se passe sur le Plateau d’Hauteville, dans l’Ain. Là, on ne parle plus seulement d’opinions, mais d’une charte écolo portée par une collectivité, avec des effets concrets sur les sports de nature.
Haut-Bugey Agglomération a engagé une démarche globale de transition écologique :
- travail sur l’économie circulaire (réduction des déchets, formation des élus, charte pour les événements écoresponsables) ;
- intégration de clauses environnementales dans les marchés publics ;
- inscription de ces engagements dans un Contrat de Relance et de Transition Écologique ;
- mise en place de chartes de bonnes pratiques pour les usages en milieu naturel (canyon, escalade, sports outdoor…), avec un souci explicite de préservation de la biodiversité et des continuités écologiques (Trame Verte et Bleue).
Concrètement, cela signifie que les organisateurs d’événements de pleine nature – y compris de trail – doivent désormais composer avec des règles plus strictes :
- attention aux périodes sensibles pour la faune et la flore ;
- respect des zones fragiles identifiées par les gestionnaires ;
- gestion rigoureuse des déchets ;
- réflexion sur le format des courses et le nombre de participants.
La charte n’est pas un texte purement symbolique : elle sert de référence pour autoriser, encadrer ou ajuster des projets. Elle implique aussi les professionnels, via des engagements spécifiques (plateforme LocalBiz, règles éthiques et environnementales, possibilité de résiliation en cas de non-respect).
Autrement dit, ce qui était porté par des tribunes, des interviews ou des éditos se retrouve désormais dans un cadre normatif local. Les demandes “écolos” ne restent plus au stade de la pétition de principe ; elles structurent concrètement l’organisation des sports de nature sur un territoire.
Dire que “les écolos obtiennent gain de cause” ne signifie pas que le trail serait devenu exemplaire du jour au lendemain.
Les circuits internationaux existent toujours, les voyages lointains aussi, et les grandes marques continuent de capitaliser sur l’imaginaire de l’aventure.
Mais plusieurs choses ont changé :
- La critique est installée. On ne peut plus ignorer les arguments sur l’empreinte carbone, le greenwashing ou la pression sur les milieux naturels. Ils sont documentés, relayés, débattus.
- Des figures du milieu portent le message. Quand un athlète comme Xavier Thévenard explique publiquement qu’il ne voit plus de sens à traverser la planète pour une course, il ouvre une brèche dans le récit dominant.
- Les médias spécialisés prennent position. Des éditos comme celui sur le Tahiti Moorea Ultra Trail montrent qu’on peut être un média de trail et adopter une ligne exigeante sur l’écologie, sans se contenter de reprendre le discours des organisateurs.
- Les collectivités locales se saisissent du sujet. Avec la charte d’Hauteville, l’écologie n’est plus uniquement une affaire de bonne volonté individuelle, mais un cadre partagé qui s’impose à tous les acteurs d’un territoire.
Au croisement de ces quatre dynamiques, les demandes longtemps caricaturées comme de la “pureté militante” prennent une autre dimension. Elles deviennent des références pour juger de la crédibilité d’un projet de course, d’une politique de territoire, ou d’un partenariat entre une marque et un athlète.
En résumé, le débat est loin d’être clos — mais le terrain a déjà changé
Les tensions restent fortes entre désir d’aventure lointaine et sobriété, entre promotion touristique et préservation, entre storytelling et réalité physique des émissions de CO₂. Sur ce point, rien n’est réglé, et personne ne prétend que le trail serait devenu exemplaire.
Mais si l’on se demande comment les écolos obtiennent gain de cause dans le trail, la réponse est désormais claire. Ce n’est ni par l’adhésion générale, ni par un changement soudain des mentalités individuelles. C’est par un déplacement progressif du cadre.
D’abord, des alertes minoritaires, moquées ou disqualifiées comme de la « pureté militante ». Puis des prises de position incarnées, reprises et documentées par les médias. Ensuite, des chiffres, des enquêtes, des analyses qui rendent le débat impossible à ignorer. Enfin, des collectivités qui traduisent ces constats en règles concrètes, en chartes, en conditions d’autorisation.
Hauteville illustre précisément cette dernière étape. Un territoire qui n’attend pas que tout le monde soit convaincu, mais qui commence à arbitrer, à poser des lignes rouges, et à dire : ici, on organise des sports de nature, mais pas n’importe comment.
C’est ainsi que l’écologie gagne du terrain dans le trail : non pas par consensus, mais par structuration. Médiatique d’abord, politique ensuite.
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Cet article est une analyse journalistique réalisée à partir de sources publiques (articles de presse, entretiens, documents de collectivités). Il ne vise pas à mettre en cause l’honneur ou la bonne foi des personnes citées, mais à éclairer les débats autour de l’impact environnemental du trail et des sports de pleine nature, dans un cadre d’information et d’intérêt général.






