Courir en forêt n’est pas un sport à risque. C’est le port d’une arme qui l’est. Pourquoi les arguments des chasseurs qui circulent en boucle sont bidons ?
Avec l’ouverture de la chasse, il faut s’équiper pour courir en sécurité
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Un argument éculé qui revient sans cesse : « arrêtez de vous plaindre, renseignez-vous avant d’aller courir »
Au fil de nos articles, nous avons déjà démonté plusieurs clichés des pro-chasse :
– oui, on a le droit de courir même pendant une battue,
– non, les accidents de chasse ne se comparent pas aux accidents de voiture,
– ou encore non, la sécurité n’est pas “l’affaire de tous” mais bien celle des chasseurs.
Aujourd’hui, nous revenons sur une autre rengaine, toujours brandie pour minimiser les risques : si un traileur se sent menacé, il n’a qu’à « se renseigner » avant d’aller courir.
Nous rappelons aussi que notre travail se concentre sur la sécurité des sentiers et la pratique du trail. Nous ne dérivons pas vers d’autres débats périphériques comme la régulation cynégétique, le plaisir de tuer, l’entretien des chemins ou le sexisme dans certains discours pro-chasse. Notre ligne reste claire : parler de la sécurité des coureurs, rien que de la sécurité.
Un renversement absurde des responsabilités
Dès qu’on évoque la sécurité en période de chasse, la réponse est toujours la même : « les traileurs n’ont qu’à se renseigner ». Cette injonction, répétée comme une évidence, est pourtant totalement trompeuse. Ni la loi, ni la pratique, ni le simple bon sens ne permettent de faire porter sur un coureur la responsabilité d’éviter les balles. Celui qui choisit de manipuler une arme doit, lui seul, garantir la sécurité de tous.
C’est précisément ce que rappelle le cadre légal français.
Le cadre légal est sans équivoque
Le Code de l’environnement impose que toute action de chasse s’exerce dans des conditions qui assurent la sécurité publique. Le Code pénal ajoute que mettre en danger autrui par imprudence engage directement la responsabilité du tireur. La logique est limpide : c’est au chasseur de prouver sa prudence, pas au traileur de s’écarter.
Et si la loi pose déjà cette hiérarchie, elle s’appuie sur une distinction encore plus fondamentale entre liberté et exception.
Courir est un droit, chasser une dérogation
Le Conseil d’État l’a rappelé : circuler en forêt est un droit fondamental. La chasse, elle, n’est qu’une exception temporaire, tolérée sous conditions. Inverser cette hiérarchie en demandant aux promeneurs ou aux coureurs de se plier aux contraintes des chasseurs est une manipulation : la liberté d’aller en forêt est première, l’acte de chasser est secondaire.
Mais au-delà de ce principe, un problème pratique se pose immédiatement : comment « se renseigner » ?
L’asymétrie du risque
Un traileur qui croise un chasseur ne met jamais sa vie en danger. L’inverse n’est malheureusement pas vrai. Cette asymétrie suffit à trancher : la charge de prudence doit reposer sur celui qui porte une arme potentiellement mortelle. C’est d’ailleurs la position constante de la jurisprudence française.
Et pendant que la France tergiverse, d’autres pays ont déjà mis en place des solutions.
« Se renseigner » : une injonction impossible
Même avec la meilleure volonté du monde, comment un traileur pourrait-il vérifier les zones de battues ? Depuis 2019, les fédérations promettent une application nationale. Elle n’existe toujours pas. Les panneaux sont souvent absents, mal posés ou retirés trop tôt. Les battues peuvent être décidées ou prolongées au dernier moment. L’imprévisibilité est totale, et l’argument du renseignement préalable devient donc absurde.
Cette imprévisibilité révèle en réalité une asymétrie fondamentale des risques.
Des solutions existent ailleurs
Plusieurs pays européens montrent que d’autres choix sont possibles : jours sans chasse en Espagne, interdiction totale dans le canton de Genève, zones protégées en Italie. La France reste figée dans une logique où c’est toujours à l’usager désarmé de s’adapter, et non au chasseur d’assumer sa responsabilité.
Or, si l’on veut vraiment améliorer la sécurité, ce n’est pas du côté des coureurs qu’il faut chercher mais bien du côté des contrôles et de la régulation.
Le vrai débat : contrôle et régulation
Les rapports de l’OFB et du Sénat soulignent que certains accidents sont liés à l’alcool ou aux stupéfiants. Pourtant, les contrôles sont quasi inexistants. Imagine-t-on demander à un piéton de vérifier si le conducteur qui s’apprête à traverser est sobre ? Bien sûr que non. Alors pourquoi culpabiliser un coureur qui ne fait qu’exercer son droit fondamental de circuler en forêt ?
Demander aux traileurs de « se renseigner » avant d’aller courir, c’est déplacer la responsabilité de ceux qui portent une arme vers ceux qui n’ont que leurs baskets. Le droit, la morale et la sécurité publique disent exactement l’inverse : c’est au tireur de prouver sa prudence, pas au coureur d’anticiper le danger.
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